"Une machine comme moi" - Ian McEwan
"Devant nous trônait le jouet ultime, un rêve séculaire, le triomphe de l’humanisme -ou son ange exterminateur."
Nous sommes en 1982. Alan Turing n’est pas mort, Georges Marchais est président de la France, et les Beatles se sont reformés après 12 ans de séparation. La technologie a progressé à la vitesse V. Pour autant, si l’humanité est blasée par le progrès au point de ne plus s’en émerveiller, elle n’en est pas pour autant délivrée des traditionnelles problématiques sociétales. En plus du conflit aux Malouines qui s’amorce, le gouvernement de Margaret Thatcher doit en effet composer avec des mouvements sociaux provoqués par une inflation et un taux de chômage galopants, une recrudescence du racisme, de la pauvreté et des agressions.
Charlie est quant à lui passionné par les androïdes. Aussi, lorsque les premiers robots dotés d’une intelligence artificielle sont mis sur le marché, il saute sur l’occasion et dilapide ses dernières économies dans un exemplaire nommé Adam. Un personnage peu attrayant que ce Charlie, qui vit de boursicotages en ligne, et exprime une haute opinion de lui-même, se considérant comme inventif, généreux… et expert en amour. C’est pourquoi le comportement de Miranda, sa voisine du dessus, avec laquelle il entame une idylle, le laisse parfois perplexe. La jeune femme, de nature plutôt passive, manifestant un intérêt tranquille pour toutes ses propositions, semble cacher un secret…
L’intrigue est centrée sur la manière dont le trio que forment le couple et Adam s’apprivoise, interagit. Le robot imitant l’homme jusque dans l’expression de ses émotions, de ses douleurs, il suscite chez son propriétaire une forme de trouble, et des réactions elles-mêmes guidées par une sorte de réflexe mimétique. Ainsi, bien que persuadé qu’Adam n’éprouve ni sentiment ni douleur, Charlie ne peut s’empêcher de l’interroger sur ses impressions, adhérant ainsi par automatisme à l’imitation, au leurre.
Et bientôt le robot manifeste ses propres volontés, refuse d'être désactivé, et se prétend amoureux de Miranda…
Une intrigue dont l’auteur tire prétexte pour questionner sur ce qui caractérise l’humanité et le vivant, et sur la capacité de l’homme à reconsidérer sa place dans une société où les avancées technologiques tendent à redéfinir une organisation basée sur le travail. Une fois l’être humain délivré des tâches confiées aux robots, sera-t-il libéré ? Pourra-t-il consacrer son temps à s'adonner à l'amour, à l'amitié, à la philosophie… à la quête d’un nouveau sens à sa vie ? Difficile à croire, compte tenu du besoin de transgression de l’homme, de sa propension à la violence, de sa soif de domination, de sa cupidité…
C’est avec beaucoup d’humour -et aussi du suspense, ajoutant à son intrigue le piment d’une affaire judiciaire-, que Ian McEwan utilise ainsi le "personnage" d’Adam pour renvoyer l’homme à ses limites, à ses défaillances, imaginant des androïdes censés être moralement supérieurs à l’homme incapables d’intégrer l’ignominie et la violence humaines, démunis pour faire face au chagrin et à la douleur.
L'homme mérite-t-il le progrès si lui-même ne progresse pas ? Faut-il d’ailleurs rêver d’une humanité "parfaite", dans la mesure où l’imperfection de l’homme et sa complexité même sont inextricablement liés à ses réussites (sa créativité, son empathie…) ?
Un bon roman sans aucun doute possible !
RépondreSupprimerIan McEwan n'écrit que des bons romans, a minima !
SupprimerUn billet qui donne envie pour un auteur qui me plaît bien.
RépondreSupprimerTu y retrouveras ce qui selon moi est la plus grande force de McEwan: son respect du lecteur, qui se traduit une manière toujours intelligente de traiter ses sujets sans tomber dans le didactisme, tout en nous divertissant..
SupprimerLes deux protagonistes humains ne sont guère romanesques, cela m'avait gênée au début du roman, et puis, on comprend que leur fadeur, leur peu d'amplitude est justement ce qui va permet de poser le propos ... J'avais bien aimé cette question de la perfection morale de la machine face à leurs mensonges, humains, trop humains ?
RépondreSupprimerC'est vrai que ces deux-là manquent de relief, mais tu as raison, cela va dans le sens du propos de l'auteur. J'ai moi aussi apprécié ces questions posées par l'intrigue, et la variété de la réflexion qu'elles induisent. Je trouve notamment intéressant de se demander comment l'homme occupera son temps si un jour les machines lui permettent de se décharger de la plupart des tâches... et il a une manière toujours fine et drôle de poser ses hypothèses.
SupprimerJe n'ai pas encore trouvé le temps de lire cet auteur. Je ne commencerai peut-être pas par une uchronie. Je ne suis pas très cliente.
RépondreSupprimerQuoooooooiiiiii ?! Pas lu McEwan ??! Il faut combler cette lacune au plus vite ! Tu peux commencer par Sur la plage de Chesil, qui est assez court, même si ce n'est personnellement pas mon préféré (mais je sais qu'il a été très apprécié par la plupart des lecteurs). Mon premier "choc" a été avec "Samedi", et puis j'ai adoré "Expiation", beaucoup aimé "L'intérêt de l'enfant", pas mal ri avec "Solaire".....
SupprimerUn bon roman comme tous les romans de Mc Ewan... Il fait partie de mes "valeurs sûres".
RépondreSupprimerNous sommes complètement en phase !
SupprimerPfff blogspot fait n'importe quoi (ou mon ordi?) le commentaire n'est pas passé, oh je disais juste que McEwan est un auteur à suivre de tout façon
RépondreSupprimerMais si c'est passé (mais avec la modération, il faut que je valide, ce que je ne fais pas tout de suite si l'ordi n'est pas allumé !). Et oui, comme dit Krol, c'est une valeur sûre..
SupprimerKazuo Ishiguro avait traité des interactions humains / robots humanoïdes dans son dernier roman "Klara et le Soleil". C'est un thème riche
RépondreSupprimerJ'avoue que je boude Ishiguro depuis ma cuisante déception avec "Auprès de moi, toujours"... Antoine Bello a aussi exploré ce sujet avec "Ada", que j'avais trouvé excellent.
SupprimerBonjour ! Je ne connais que 2 romans de cet auteur mais celui-ci semble assez original avec cette idée de progrès et d'intelligence artificielle, alors je m'empresse de le noter ! Bonne journée.
RépondreSupprimerJe confirme, c'est original, et de dérouler l'idée sous forme d'uchronie permet un parallèle intéressant entre progrès technique et limites humaines. Je crois que quel que soit le sujet dont s'empare McEwan, il le fait toujours avec talent !
SupprimerL'uchronie et l'anticipation permettent d'aborder des sujets de société passionnants. Je n'en lis pas assez souvent. Par exemple, je me promets toujours de lire Les robots d'Asimov... le temps me manque décidément !
RépondreSupprimerC'est le grand drame de tous les lecteurs, je crois, il y a tant à lire... mais McEwan est à mettre dans les priorités !
SupprimerExcellent comme toujours, Ian McEwan... je passe un mois anglais sans lui, et c'est bien dommage ! ;-)
RépondreSupprimerAh, je me garde toujours un de ses titres pour juin ! Le prochain sera probablement "Les chiens noirs".
SupprimerJe n'ai encore jamais lu cet auteur et ta chronique sur ce livre me donne bien de le découvrir avec celui-ci :)
RépondreSupprimerBonne journée !
Il est plaisant, et comme toujours avec cet auteur, les thèmes abordés le sont avec intelligence, et en plus ici avec beaucoup d'humour.. cela peut être une bonne introduction à son œuvre, oui, qui j'espère te convaincra d'aller plus loin (il faut lire Expiation, Samedi, Délire d'amour, L'intérêt de l'enfant...) !
SupprimerOh, je l'ai loupée, cette sortie ! Je n'ai pas toujours tout aimé de l'auteur, mon préféré reste Sur la plage de Chesil mais je n'ai pas apprécié Dans une coque de noix. Tu me donnes envie, là !
RépondreSupprimerIl est en poche, profites-en ! J'avais noté que "Dans une coque de noix" était moins apprécié que ses autres titres par la plupart de ses lecteurs habituels, je fais donc l'impasse sur celui-là...
SupprimerJE n'ai encore rien lu de cet auteur qu'on m'a déjà conseillé... J'adore les uchronies, je note celle-là :-)... tu conseilles pour découvrir l'auteur ?
RépondreSupprimerCe n'est pas mon préféré.. Sur la plage de Chesil est pas mal pour commencer car il est relativement court. Mais si tu te sens de te lancer tout de suite dans quelque chose de plus dense, je te conseille "Expiation", ou "Samedi" sans hésiter !!
SupprimerExpiation est mon préféré. Moins aimé la plage de Chesil surtout après l'avoir lu après Chutes de Oakes qui es t beaucoup plus fort. J'aime bien les questions posées à propos du robot sur l'humain. Cela me rappelle une nouvelle de Asimov où le robot ( pour qui l'homme est Dieu) finit par refuser d' être traité comme une machine et s'écrie : "je pense donc je suis"!
RépondreSupprimerJe te rejoins complètement à propos de "Sur la plage de Chesil", je suis étonnée de voir qu'il figure souvent parmi les titres préférés des lecteurs de McEwan, alors que je le trouve moins dense, moins complexe que d'autres romans comme Expiation, en effet.
SupprimerIci, il y a certes une réflexion sur la nature de l'IA et sur la manière dont doivent être considérées ces machines qui ressemblent à l'être humain, mais il m'a semblé que la présence du robot était surtout un prétexte pour renvoyer l'homme à ses propres limites.
Lu à l'époque du 1er confinement... Ces IA sont plus efficientes que nous. La preuve, quand elles prennent conscience de leur rapport au monde, elles sont capables de prendre la décision qui s'impose!
RépondreSupprimer(s) ta d loi du cine, "squatter" chez dasola
Oui, c'est du moins la thèse défendue par ce roman !
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