"La chambre silencieuse" - Herbjørg Wassmo
"Peu de gens découvrent la beauté dans la réalité. C'est dommage. Elle rayonne dans les petites chambres, dans l’illégalité. (…) Bien peu acceptent de la reconnaître s'ils la rencontrent par hasard en des lieux où elle n'est pas admise et admirée."
L’intranquillité pourtant subsiste, sourde mais tenace.
Le soulagement lié à l’incarcération d’Henrik est nuancé par la maladie de la tante Rakel, dont elle s’est a priori remise mais qui a assombri l’éclat de cette femme toujours solide et rayonnante, et a laissé dans son sillage une sensation malaisante. Et puis son beau-père, autour duquel plane une chape de silence, et que seule sa mère va visiter en prison, reviendra un jour…
Le passé, enfin, l’a marquée de son empreinte, et Tora ne peut s’en libérer complètement : elle vit dans le mensonge et le silence, hantée par un secret qui la dévalorise sans cesse à ses propres yeux, et par les questionnements qui en découlent : comment survivre ? Vaut-il mieux pour cela être seule ou entourée ? Comment concilier l’innommable agression faite à son intégrité avec les commandements moraux et religieux qui gouvernent le monde ?
Je repense, en rédigeant ce billet, au commentaire laissé par Athalie suite à mon avis sur le premier volet de la trilogie de Tora : "Certaines publications qui fleurissent depuis quelques temps sur la problématique du féminisme me paraissent bien fades par rapport à son œuvre, qui ne rentre pas dans une catégorie, plus ou moins à la mode et où, parfois le propos "modernisé" de destins féminins tombe à plat. Ça m'agace et j'ai de plus en plus tendance à les fuir. Il vaut mieux lire Wassmo !"
Je le trouve très juste. La condition féminine est omniprésente, dans l’œuvre de Wassmo, mais elle nous y sensibilise et exprime sa révolte sans discours ou théorie. Elle décrit des existences, dont elle extirpe, sans que sa volonté de le faire transparaisse, le détail d’événements quotidiens, d’attitudes, qui disent la dureté, les humiliations, le ravalement au statut d’une infériorité qui contraint à la soumission et au silence. Chaque indice est criant, dit la difficulté d’être femme dans un monde où elles n’ont pas la parole. Et c’est aussi la violence d’une condition sociale qu’elle met ainsi en évidence, dédiant par exemple de longues lignes à la description des mains de Soleil, qui à elle seules expriment la rudesse d’une vie dédiée aux autres et au travail. Soleil que l’on retrouve donc en même temps que Tora, qui déjà semble adulte, et fait elle aussi des projets, pour fuir le foyer et la fourmillante fratrie que sa mère neurasthénique et maladivement pieuse laisse à son entière responsabilité. Soleil l’infatigable, qui économise en vue de financer une formation professionnelle, travaillant sans relâche, gérant des frères et sœurs incapables de se débrouiller sans elle, arrondissant son salaire en accordant à son patron des privautés dont elle ne mesure pas la perversion…
Et puis il y a Ingrid, la mère de Tora, solitaire et débrouillarde, qui trime pour un salaire de misère dans un atelier où ne règne aucune solidarité, que son mariage avec Henrik soumet au poids des jugements faciles.
Je découvre avec intérêt l'avis d'Athalie inclus dans ton billet, vu ainsi, ça me dirait bien, mais là je dois rattraper le tome 1?
RépondreSupprimerC'est quand même mieux de le lire avant, oui, et en plus il est très bien.
SupprimerAh la la ces pauvres pauvres femmes ! Oui, j'ai lu le billet comme un feuilleton mais j'ai assez peur de connaître la suite. Non mais je lirai les romans aussi, un jour, un jour.
RépondreSupprimernathalie
Moi aussi j'ai peur de connaître la suite, mais j'en ai aussi très envie !
Supprimerje partage l'avis d'Athalie et le tien sur un féminisme qui m'insupporte un peu en comparaison en effet avec des auteures comme celle ci
RépondreSupprimerj'ai lu plusieurs livres d'elle mais pas celui là, je vais devoir l'ajouter à ma longue trop longue liste mais c'est un ajout qui fait plaisir
C'est que tout le monde n'a pas le talent de Wassmo, écrivaine majeure pour moi et qui mériterait le Nobel. Il me semble qu'on accepte plus facilement la médiocrité sur d'autres sujets que le féminisme. Signe de grandes attentes ?
Supprimer@Dominique : si tu la connais et l'apprécie déjà, nul doute que tu seras emportée par Tora et consœurs...
Supprimer@Agnès : bonne question... il me semble que c'est aussi, d'une manière générale, une question de talent, celui de savoir mettre une intrigue au service d'un propos sans tomber dans la démonstration.
oui, tu as raison, il y a des portraits de femmes magnifiques dans cette œuvre.
RépondreSupprimerEt elles sont toutes très différentes, et toutes touchantes à leur manière..
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RépondreSupprimerEst-ce que l'on accepte plus facilement la médiocrité sur d'autres sujets que le féminisme ? Je rejoins Ingannmic, le sujet importe peu, je pense, c'est la démonstration qui est insupportable lorsqu'elle est médiocrement romancée. Mais effectivement, sur des thématiques "à la mode" comme l'écologie, le statut des femmes, la transidentité, c'est aussi l'urgence de l'attente qui rend les répétitions de clichés et de "y a qu'a" particulièrement exaspérantes.
Les personnages de Wassmo sont très forts parce qu'ils sont pris dans une toile complexe, sociale et intime. Et puis, c'est juste beau à lire !
Bonne continuation avec le troisième tome !
Oui, j'ai hâte de retrouver Tora, même si je soupçonne encore des moments difficiles !
SupprimerÇa semble être une expérience de lecture puissante, mais n'ayant encore rien lu de cette auteure, je pense plutôt commencer par une non-série pour la découvrir.
RépondreSupprimerDans ce cas, Cent ans est très bien.
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