"Connemara" - Nicolas Mathieu
"Chaque famille a ses égouts."
Hélène est revenue vivre à Cornécourt avec son mari Philippe et leurs deux filles. Elle avait pourtant tout fait pour fuir la médiocrité de sa ville natale et d’une famille dont les bonheurs modestes et les manies de classe moyenne lui faisaient honte. Elle a pris ses distances à coup de diplôme et de hautes études de commerce, est devenue à Paris cette femme fantasme et performante qu’elle rêvait d’être, puis a fait un burn-out. Elle sent depuis s’immiscer dans son couple le poids, même s’il est tu, des concessions qu’à dû faire son conjoint en quittant un poste en or et de fabuleuses perspectives professionnelles. Ce nouveau départ est malgré tout placé sous d’excellents auspices : chacun d’eux occupe un poste à responsabilités copieusement rémunéré, leurs filles sont en bonne santé, et tout ce petit monde vit dans une belle maison d’architecte avec dressing. Pourtant, Hélène se sent minée par un vague manque, par la conscience latente mais permanente du temps qui a fui, la laissant moins fraîche et plus lourde. D’une étape à l’autre, effort après effort -le boulot, les enfants-, la vie s’est focalisée sur la gestion du quotidien, gouverné par l’impératif de l’efficacité. Et elle voit bien la distance qui la sépare de son assistante Lison, drôle de gamine aussi maline qu’effrontée, qui enchaîne les flirts avec désinvolture, et finit par la convaincre de s’inscrire sur une application de rencontres.
Mais c’est hors des réseaux sociaux qu’elle assouvit finalement son besoin de renouveau, en croisant par hasard Christophe Marchal, camarade de lycée avec qui son amie d’alors, la charismatique Charlotte, avait eu une aventure. Lui n’a jamais quitté Cornécourt, il y a fait sa vie, qui dernièrement part en morceaux, lui laissant un sentiment de gâchis et de lassitude. Depuis que sa femme Charlie l’a quitté, il vit chez son père qui peu à peu perd la tête, ce qui donne à son ex, inquiète de savoir leur fils sous la garde régulière de ce papy défaillant, un motif supplémentaire de conflit. Ex champion de hockey sur glace à la gloire aussi fulgurante qu’éphémère, il exerce un modeste emploi de commercial, ses loisirs se réduisant grosso modo à boire trop de bières avec ses deux anciens potes de lycée Greg et Marco. Lui aussi a vieilli, il arbore ses premiers cheveux blancs et est devenu plus massif qu’athlétique. Pourtant, quand elle le revoit, Hélène, comme une gamine, a un coup de chaud…
L’inversion des rôles -l’idée de l’insignifiante première de la classe devenue femme d’affaires pleine d’aplomb séduisant le champion qui n’est plus- l’excite. Ils entament, comme nourris d’un supplément d’adolescence et d’insouciance, une liaison torride, l’auteur alternant le récit de ces retrouvailles tendres et enflammées avec celui de la jeunesse de ses héros.
Nicolas Mathieu démontre d’un roman à l’autre qu’il est l’écrivain du "lot commun", de la "banale affaire", celui qui dit ces existences sans flamboyance ni tragédies qui passent sous les radars, leur succession de joies ordinaires et de drames prévisibles. Sa tendresse pour la normalité même de ses personnages, et sa capacité à y traquer ce qui à la fois les singularise et les inclut dans le grand magma humain lui permettent généralement d’éviter les écueils de la simplification et de la platitude. Je précise "généralement" parce que je dois bien avouer que cette fois, ça n’a pas complètement pris en ce qui me concerne. J’ai pourtant d’abord retrouvé avec plaisir l’écriture de l’auteur, et son talent pour donner corps à ses protagonistes ou à ses décors par quelques références habilement choisies, provoquant chez le lecteur un sentiment de familiarité et d’admiration face à la véracité des images ainsi convoquées. Seulement, même si j’admets qu’il frappe souvent juste dans son évocation des remous adolescents ou du désenchantement accompagnant la maturité, je ne me suis guère senti d’affinités avec l’héroïne et ses ambitions de working-girl, et me suis rapidement lassée de ses séances de galipette avec son hockeyeur défraichi. J’ai trouvé par ailleurs que sa capacité, évoquée ci-dessus, à dresser portrait par une succession de caractéristiques, manquait parfois de subtilité, avec pour résultat un effet "catalogue", à deux doigts du cumul de poncifs.
J’ai en revanche apprécié le regard féroce et narquois qu’il porte sur l’univers professionnel des grandes boites de conseils et de communications, et par extension sur le secteur tertiaire en général, soulignant l’abus des anglicismes, la réunionite, les théories managériales et les principes d’organisation qui changent d’une année à l’autre, le temps passé à justifier ce que l’on fait plutôt que de le faire… Tout cela dans le but d’afficher une image de rendement et de modernité en inadéquation, bien souvent, avec une réalité moins reluisante, celle de tâches dénuées de sens, et de la désagréable sensation de se faire enfumer à coups de boniments censés faire passer des discours creux pour des communications d’importance capitale donnant aux salariés l’illusion qu’on les implique dans la grande marche de l’entreprise.
Il m’a semblé, pour conclure, que la principale question qui traverse ce roman et celle de la définition du bonheur. Est-il indissociable de la réussite ? Si oui, qu’entend-on par ce terme ? Et comment s’affranchir des références que fixent en la matière les diktats sociétaux pour trouver la voie de ses propres aspirations ?
C'était ma première lecture de Nicolas Mathieu et j'ai abandonné. Je ne m'intéressais pas aux personnages ni.au milieu professionnel évoqué. A 100 pages j'ai jeté l'eponge.
RépondreSupprimerJe te renvoie au commentaire de Kathel, ci-dessous, auquel je souscris parfaitement. J'ai vraiment préféré à ce titre les trois autres que j'ai lus. Tu pourrais lui donner une deuxième chance avec "Rose Royal", qui est très court, puisque c'est une nouvelle, mais qui permet d'apprécier tout le talent de l'auteur pour camper des personnages mémorables.
SupprimerJ'ai eu très envie de lire ce roman lorsqu'il est paru et puis, au fil du temps et des avis lus sur les blogs, mon envie s'est un peu émoussée.
RépondreSupprimerTu peux passer... en revanche, si tu n'as pas lu ses autres titres, je t'encourage à le faire... "Aux animaux la guerre" peut faire une très belle proposition pour l'activité sur le monde du travail :)
SupprimerToujours pas lu et ce n'est donc pas ton billet qui va me convaincre de courir me le procurer...
RépondreSupprimerIl est franchement dispensable, j'avoue avoir été déçue...
SupprimerComme Aifelle, j'ai abandonné en route. Aucune affinité avec les personnages, qui m'ont paru en effet a la limite de la caricature. C'était mon premier Nicolas Mathieu, je n'ai pas retenté depuis...
RépondreSupprimerJ'aurais pu l'abandonner aussi, mais j'ai tout de même aimé certains de ses aspects. Et comme pour Aifelle, je t'invite à suivre le conseil de Kathel, qui pourrait être le mien !
SupprimerJ'avais beaucoup aimé "leurs enfants après eux" et donc j'ai lu celui-ci au printemps dernier après avoir lu pas mal de critiques positives ou non. J'ai trouvé qu'il y avait des longueurs en particulier dans les descriptions concernant les milieux professionnels sur lesquels je ne connaissais rien et en particulier pour Hélène qui ne m'intéresse pas du tout mais je l'ai lu tout de même et j'aime bien son écriture simple et réaliste :)
RépondreSupprimerJe te rejoins sur le personnage d'Hélène et sur les longueurs, même si c'est plutôt la relation de la liaison entre les deux héros qui a fini par me peser.. moi aussi j'aime l'écriture de Nicolas Mathieu, mais j'ai trouvé que cette fois, il n'échappait pas toujours à une certaine facilité. Si tu n'as pas lu Aux animaux la guerre, je te le conseille.
SupprimerPour Aifelle et Sacha : c'est dommage que vous ayez commencé par celui-ci qui n'est pas son meilleur, à mon avis (assez partagé). Leurs enfants après eux ou même Rose Royal sont bien plus prenants.
RépondreSupprimerJ'avais été contente de retrouver son écriture, mais moyennement intéressée par ces deux personnages, disons, pas sur la longueur du roman. (pas d'avis sur monblog)
J'aurais pu écrire mot pour mot ta réponse à Aifelle et Sacha !
SupprimerEt les longueurs étaient pour moi liées à mon manque d'intérêt pour les personnages, justement, que je n'avais pas spécialement envie de retrouver d'un moment de lecture à l'autre (et ça, ce n'est pas très bon signe)..
Je suis en retard. Je suis en train de finir le livre. Je reviendrai demain commenter ton avis..merci en tout cas pour ta proposition de LC. Elle m'a permise de sortir ce roman de ma PAL. Il y était depuis trop longtemps !
RépondreSupprimerJ'ajouterai le lien vers ton billet quand il sera publié, ce n'est pas grave :)
SupprimerJ'avais bien aimé la satire du fonctionnement des boites de com ... Et aussi des petites choses sur les villes de province, ( je suis d'ailleurs un peu étonnée que tu n'ajoutes pas ce titre à l'activité urbaine, je m'en souviens peut-être mal, mais il me semble que l'espace périphérique est un des sujets de ce livre, en tout cas, c'est ce qui m'avait touchée). mais mis à part cela, pour une fois, les personnages, surtout Hélène, ne m'avaient pas convaincue .
RépondreSupprimerJ'ai hésité pour l'activité sur les villes, et de relire, à l'instant, ton billet, me fait changer d'avis : je l'ajoute au récap ! Et on est d'accord sur ce personnage dont nous ne partageons peut-être pas suffisamment les aspirations pour le trouver ne serait-ce qu'intéressant...
SupprimerOh zut ! C'est un de mes auteurs préférés et j'ai adoré ce roman (peut-être un peu moins que Leurs enfants après eux), je ne sais pas si on peut parler de poncifs, je m'y suis vraiment retrouvée souvent dans ces lignes...
RépondreSupprimerMais ce n'est pas grave, je crois que de nombreux autres lecteurs l'ont aimé.. ! Il faut dire que mes attentes étaient très fortes, suite à ma lecture de ses autres titres. Pour les poncifs, j'ai trouvé qu'il les évitait de justesse. Je crois que ce qui m'a surtout gênée, c'est la répétition, d'un roman à l'autre, de cette mécanique narrative consistant à décrire les lieux et les individus en une série de caractéristiques qui souvent sonnent juste, je te rejoins. J'aurais aimé qu'il me surprenne davantage, sans doute..
SupprimerJ’ai beaucoup aimé Aux animaux la guerre et, comme la barre est haut, j’ai un peu peur d’être déçue par ses romans suivants... Mon prochain sera Rose Royal.
RépondreSupprimerC'est une excellente idée, il est très bien !
SupprimerJ'avoue n'avoir, pour l'instant, jamais été très tentée par cet auteur malgré l'enthousiasme qu'il suscite et ton billet ne fait rien pour arranger les choses.^^ Si l'envie me prenait tout de même de le lire un jour, je ne commencerai donc pas par celui-ci.
RépondreSupprimerComme indiqué ci-dessus en réponse à Aifelle, tu ne prends pas trop de risques à tenter Rose Royal, très court, et très bon...
SupprimerPeut-être que l'auteur a fait le tour de ce genre de personnages et qu'il devrait passer à autre chose...
RépondreSupprimerJe pense qu'il y a de ça oui, les personnages, les contextes et la manière de les dépeindre sont toujours un peu les mêmes. Sera-t-il capable de se renouveler ?...
SupprimerJ'ai bien aimé cette lecture. Je comprends ce que tu entends par la variété des thèmes abordés. J'ai au contraire trouvé que ce traitement montrait aussi à quel point chaque trajectoire humaine était dépendante de tous ces éléments et la façonnait. Merci en tout cas pour cette LC qui m'a permis de sortir ce livre de ma PAL dans laquelle il y était resté trop longtemps.
RépondreSupprimerJ'aurais sans doute davantage apprécié ma lecture si cela avait été mon premier Mathieu.. du moins sur la forme. Parce que j'ai aussi eu un peu de mal avec ses personnages, que je n'ai pas trouvé très intéressants..
SupprimerAvis mitigé pour moi aussi. Anne-yes
RépondreSupprimerMoi je l’ai aimé… moins que son chef d’œuvre « leurs enfants après eux » mais j’en garde un bon souvenir, pas si mitigé …(Une Comète)
SupprimerLa plupart des lecteurs de Nicolas Mathieu semblent en tous cas d'accord pour dire que ce n'est pas là son meilleur roman.... à voir ce qu'il nous réserve à l'avenir..
SupprimerIl est dans ma pal depuis un bout de temps mais ton avis mitigé ne me donne pas envie de me précipiter...^^
RépondreSupprimerJ'ai vu sur ton blog que tu as lu Leurs enfants après eux, que tu trouvais déjà un peu caricatural... dans ce cas, je te conseillerais plutôt de poursuivre la découverte de l'auteure avec Aux animaux la guerre ou Rose royal.
Supprimer« Leurs enfants après eux »est à mon sens un chef-d’œuvre … quelle claque ce livre. Oh là là…( Une Comète)
SupprimerJe l'ai beaucoup aimé aussi :)...
Supprimerj'avais apprécié ce roman mais moins que le précédent "leurs enfants après eux", mais il est vrai que les personnages étaient un peu caricaturaux
RépondreSupprimerJe ne les ai pas trouvés tant caricaturaux qu'ennuyeux, à vrai dire... c'est sans doute pire !
SupprimerCoucou ! Merci pour cette belle chronique, et ta manière de raconter. Autant de sujets qui m'intéressent, à un certain âge de la vie où tout semble à la fois plus figé et plus incertain. J'ai l'impression que ce roman parle aussi des transfuges de classe : quitte-t-on vraiment sa classe sociale ? ou seulement pour un temps ? Bref, si je le retrouve à la bibliothèque, je l'emprunterai sûrement !
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