"Rose Royal" suivi de "La Retraite du juge Wagner" - Nicolas Mathieu
"Les gens qui nous plaisent ont toujours cet aspect familier, cet air de bibelot."
Rose a bientôt cinquante ans, et si son visage accuse les marques des années et des nuits blanches, elle a gardé une belle silhouette, et des jambes galbées dont elle est particulièrement fière. Rose est une femme indépendante. Elle a été mariée, il y a bien longtemps, a eu deux garçons dans la foulée, puis a divorcé. Elle a toujours travaillé et n’a jamais eu besoin de personne. Elle vit seule, dort mal et ne fait plus de projets de vacances. Mais si elle aime le sexe et flirter, elle refuse de se laisser marcher sur les pieds par quiconque. Les expériences l’ont aguerrie et l’ont délivrée de toute illusion concernant les hommes. Depuis toute petite, elle a dû composer avec cette violence toujours possible, ce despotisme buté qu’ils brandissent pour venger leur impuissance, leur orgueil blessé.
Alors, pour ne pas se laisser surprendre, pour que "la peur change de camp", elle a acheté un revolver, un calibre .38 qu’elle garde dans son sac à main.
Puis elle rencontre Luc, et pense avoir enfin trouvé un homme différent des autres...
Nicolas Mathieu associe avec talent brièveté et richesse. On retrouve dans "Rose Royal" cet environnement auquel il nous a familiarisés dans ses romans, coins de France délaissés, où vivent des citoyens dont on parle peu, "considérés de haut par les médias, qui (font) la chair à canon et le sang des fabriques, le gros du public de TF1 et les chiffres de l’abstention", qu’il évoque avec autant de tendresse que de lucidité.
L’histoire de Rose est aussi l’occasion d’évoquer mine de rien l’air de notre temps, ces existences productives et empressées vampirisées par la vitesse et la marchandisation des rapports humains, et ce paradoxe qui fait cohabiter développement galopant des moyens de communication et accroissement de la solitude et de la misère affective.
Et c’est avec beaucoup de justesse qu’il évoque la difficulté à aborder cet âge de la vie auquel le célibat et les nouvelles possibilités de rencontres peuvent donner l’aspect d’une nouvelle adolescence, tout en devant composer avec le poids d’un vécu qui, s’il rend plus fort, peut aussi avoir incrusté des traumatismes et des inquiétudes inhibantes.
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Dans "La retraite", il est aussi question d’une arme. Si bien que je me suis demandé si Nicolas Mathieu avait écrit ces deux nouvelles en s’inspirant du principe dramaturgique de Tchekhov, qui écrivait : "Il ne faut jamais placer un fusil chargé sur scène s'il ne va pas être utilisé. C'est mal de faire des promesses que l'on n'a pas l'intention de tenir".
Le juge Wagner a été mis à la retraite pour sa propre sécurité, son action dans l’antiterrorisme ayant suscité des velléités de vengeance au sein de la mafia corse. Il n’attend plus grand-chose de l’avenir, traine sa silhouette lourde et fatiguée dans les rues de son quartier de Colmar en surveillant ses arrières et en s’assurant d’avoir toujours une arme dans sa poche, fume deux paquets de cigarettes par jour -mais il a réduit- et picole plus que de raison.
La frénésie du métier lui manque, il s’ennuie.
Et puis il rencontre Johann, un jeune de banlieue, issu d’un milieu modeste et fruste où l’on n’espère rien d’un avenir aux contours flous. Alors lui aussi il traîne, mais c’est pour goûter au risque et à la transgression, prenant le cours d’une trajectoire toute tracée… à moins que le vieux juge ne parvienne à la redresser ?
Très bel avis, étoffé sans rien dévoiler. Merci pour cette lecture que j'ai vraiment beaucoup aimée.
RépondreSupprimerJ'y ai pris beaucoup de plaisir aussi. Ce Nicolas Mathieu excelle aussi bien dans le format court que long. Si tu n'as pas lu ses romans, je te les conseille vivement, ils devraient te plaire, on y retrouve cette fine analyse des personnages, évoqués avec autant de lucidité que de tendresse.
SupprimerJe me pose une question : on peut acheter une arme, là, comme ça, il faut un permis, non? (on n'est pas aux states ^_^)
RépondreSupprimerPour le juge, ça n'a pas été trop difficile à obtenir, tu te doutes bien, quant à Rose, je ne sais plus exactement dans quelles circonstances elle obtient la sienne, mais il me semble que c'est par une connaissance.. et je ne crois pas qu'elle ait son permis :) !!
SupprimerUn sans faute pour moi que ces deux courts textes !
RépondreSupprimerPour moi de même, tout comme pour ses deux premiers romans (et je suis sûre que Connemara me plaira aussi...).
SupprimerDeux novellas qu'il me tarde de découvrir. Après le "choc" Connemara, je préfère patienter encore un peu, histoire de ne pas gâcher le plaisir.
RépondreSupprimerElles devraient te plaire, on y retrouve tout ce qui fait qu'on aime les romans de Nicolas Mathieu...
SupprimerJ’ai adoré ... mais j’adore Nicolas Mathieu, trop de talent
SupprimerC’était Bea Comete
SupprimerCoucou Béa :).. nous sommes d'accord, je n'ai pas encore lu son dernier titre, mais j'ai vraiment aimé tout ce que j'ai lu jusqu'à présent. Le regard qu'il pose sur les êtres, les situations, est sans complaisance et pourtant toujours touchant.
SupprimerJe viens de commencer "Connemara" (premier contact avec l'auteur). J'attends de voir si je vais devenir fan ou pas de ce chouchou des blogs.
RépondreSupprimerJ'attends ton avis avec impatience, s'agissant d'une découverte pour toi (et n'ayant pas lu Connemara, du moins pas encore...). Je me trompe peut-être, mais je pense que c'est un auteur susceptible de te plaire, pour sa sensibilité exempte de tout misérabilisme.
SupprimerJe ne connaissais pas Nicolas Mathieu. Merci à vous deux, Ingannmic et Philisine Cave, pour cette découverte
RépondreSupprimerEt ce recueil est parfait pour quelqu'un qui souhaite découvrir l'auteur : tu y trouveras le ton et le genre de personnages qu'il met en scène dans ses romans, cela te donnera une bonne idée de ta compatibilité avec son écriture et ses thématiques.
SupprimerJe viens de commencer Connomara, et déjà complétement convaincue ! Et déjà hâte de faire connaissance avec Rose, je sens que je vais l'aimer cette femme. Cet auteur sait créer de sacrés personnages, comme dans Aux animaux la guerre, des "paumés magnifiques".
RépondreSupprimerJ'attends impatiemment ton avis sur Connemara (je ne suis pas sûre de pouvoir en attendre la sortie poche...). Je suis à deux doigts de considérer Nicolas Mathieu comme un incontournable (à ce jour, Jaenada est le seul dont j'achète les romans dès leur sortie...), il a c'est vrai un véritable don pour nous attacher d'emblée à ses personnages, et rendre ses univers immédiatement papables. "Leurs enfants après eux" est très bon aussi.
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