LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"Les sentiers obscurs de Karachi" - Olivier Truc

"Karachi n'est plus une ville. Mais un cri de détresse. Qui résonne. Des quatre côtés. On ne tire plus en l'air à Karachi. Les balles atteignent désormais les rêves des habitants…"

Olivier Truc s’est inspiré pour écrire son roman d’un tragique fait réel : l’attentat du 8 mai 2002 qui, à Karachi, coûta la mort à onze techniciens français de la Direction des constructions navales (DCN), fleuron de l’industrie française basé à Cherbourg. Les victimes étaient venues apporter la dernière touche à la livraison d’une commande de trois sous-marins, qui avait en 1995 suscité un premier scandale autour d’une affaire de rétrocommissions ayant servi à financer la campagne électorale du candidat Balladur à la présidentielle. Des Pakistanais liés à Al-Qaida furent condamnés puis remis en liberté en 2009, ce qui fut considéré comme un affront par les familles des agents décédés.

Les personnages qu’il met en scène, prétexte à imbriquer secrets d’Etats et secrets de famille, sont en revanche fictifs. 

Il adosse son intrigue à deux parallèles. Le premier est temporel, et consiste en l’alternance de deux comptes à rebours de quelques semaines, l’un qui en 2002 s’achemine vers l’attentat, l’autre déroulant les jours qui nous rapproche du vingtième anniversaire de sa commémoration.

L’autre parallèle est géographique, et se traduit par les allers-retours de l’intrigue entre Cherbourg et Karachi.

Tous ces pans sont reliés par le personnage de Jef Kerral, jeune journaliste cherbourgeois qui se morfond dans un quotidien local, et rêve d’aventureux reportages à l’étranger. Marc, le père d’un de ses amis, est un des blessés ayant survécu à l’attentat. Rongé d’amertume, il est obsédé par l’évidente volonté d’étouffer l’affaire qui a poussé à bâcler l’enquête, et a empêché que justice soit rendue. Jef admire cet homme, fasciné par l’aura dramatique qui l’entoure, fascination qu’il oppose au mépris qu’il éprouve pour son père, lui aussi employé de la DCN, mais ayant adopté suite à l’attentat une attitude de soumission loyale, refusant de faire des vagues.

Chargé de couvrir la commémoration de l’attentat pour son journal, Jef parvient à convaincre son employeur de le laisser partir à Karachi afin d’y préparer un article sur l’amitié entre Marc et son homologue pakistanais de l’époque de l’attentat, l’officier mécanicien Shaheen Ghazali. C’est ainsi qu’il rencontre la belle Sara Zafar, officier de la marine Pakistanaise, qui doit le mettre en relation avec ce dernier, qui depuis le drame n’est plus que l’ombre de lui-même.

L’auteur déploie pleinement à partir de ce moment la face pakistanaise de son récit, en nous immergeant dans la touffeur de cette ville grouillante et tentaculaire qu’est Karachi, dans un contexte de montée de l’islamisme, le départ des Américains de l’Afghanistan ayant revigoré ses groupes talibans. Près de vingt millions d’habitants y subissent une chappe de puanteur, de poussière et de pollution qui a éradiqué, à l’exception des corbeaux et des milans, tous les oiseaux. Karachi concentre toutes les contradictions du Pakistan. Gangrénée par l’autoritarisme des mollahs et des militaires, par les gangs, les affrontements entre les divers groupuscules d’obédience religieuse et la misère, c’est aussi une ville de poètes, et de résistants de l’ombre à l’obscurantisme et à la violence. Sa "géographie noire" nous rappelle qu’ici, le risque d’attentat est quasi quotidien. Au moment de l’arrivée de Jef, une école a été la cible du douzième de l’année, faisant une cinquantaine de morts, dont trente enfants. 

Le roman est ainsi instructif, par son aspect géopolitique et cette incursion en terre pakistanaise. Je suis plus réservée sur sa construction narrative, trop schématique, et sur la dimension romanesque de l’intrigue, souvent prévisible et nuisant à mon avis à la crédibilité de l’ensemble (je ne comprends pas ce qui a notamment poussé l’auteur à y introduire une histoire d’amour qui m’a paru complètement incongrue)…


Un autre titre pour découvrir Olivier Truc : Le cartographe des Indes boréales

Une lecture commune avec Doudoumatous et Le Bouquineur dans le cadre de l'activité "Sous les pavés, les pages" :

Commentaires

  1. Oui, le côté romanesque, c'est pour attirer qui, quand le reste est bien?

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    1. C'est ça : la partie "policière" se suffisait à elle-même. J'ai malgré tout pris du plaisir à ma lecture, notamment pour cette immersion urbaine, très réussie.

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  2. Ton résumé me laissait à penser que ta conclusion serait plus positive ... La "géographie noire" de la ville semblait bien tricotée avec des problématiques assez complexes et très contemporaines.

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    1. La "géographie noire" de la ville semblait bien tricotée avec des problématiques assez complexes et très contemporaines : mais oui, cet aspect est réussi, dommage que l'auteur ait cru nécessaire de rajouter des éléments de fiction qui étaient à mon avis dispensables. Je retire dans l'ensemble un avis malgré tout positif de cette lecture. Disons que comme je l'ai lu il y a un petit moment, et qu'il s'achève sur une note "romance", cette dernière m'est restée en mémoire, et c'est peut-être un peu injuste vis-à-vis du reste de l'ouvrage !

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  3. je ne connais de l'auteur que sa trilogie sur la laponie qui m'avait bien plu
    je note celui là car je ne déteste pas ce genre de thriller

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    1. Et c'est un thriller efficace, en même temps qu'il est, par son contexte et son décor, très intéressant... j'ai beaucoup aimé, sur un tout autre thème, Le cartographe des Indes boréales, qui devrait également te plaire...

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  4. Je n'ai lu qu'un roman de cet auteur et je l'avais apprécié, alors que ce n'est pas mon genre de lecture.

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    1. Celui-ci est très différent de Le cartographe des Indes boréales, que j'ai beaucoup aimé, mais il se rapproche sans doute davantage du reste de son œuvre, plutôt étiquetée "polar". Je tenterai peut-être le 1e volume de sa trilogie lapone...

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  5. Je suis plus attirée par ses romans sur le Grand Nord. J'ai lu le premier , j'en ai d'autres à découvrir.

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    1. Je ne suis pas contre une incursion en Laponie non plus...

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  6. Je me rends compte que je n'ai pas beaucoup insisté sur l'atmosphère de la ville alors qu'elle est très bien décrite dans le roman

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    1. Et moi, en vous lisant, j'ai réalisé que j'avais complètement laissé en plan l'aspect "enquête" du récit !! C'est bien, comme ça on se complète...

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  7. Ah les histoires d'amour qu'on ajoute sans doute pour aguicher les lecteurs ! J'ai déjà eu cette impression plusieurs fois !
    C'est encore un auteur que je dois découvrir...

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