"Et vous passerez comme des vents fous" - Clara Arnaud
"On n’explique pas avec les mots à quel point la montagne peut suffire à un homme, remplir toute son existence, la déborder, même, envahissant ses rêves."
Nous sommes en Ariège, dans le Couserans, "vallée enclavée aux marges d’un monde et au début d’un autre, peuplée d’êtres de lisière". Ses habitants, natifs ou d’adoption, sont viscéralement attachés à cet univers où la parole est rare et la montagne souveraine. Des écolos ayant rompu avec l’urbanité y côtoient ceux du cru, qui souvent les considèrent avec un mépris moqueur. Il faut dire que "la ville", et par extension l’Etat, ne sont pas ici en odeur de sainteté, avec leurs bureaucrates qui, bien qu’à mille lieux des préoccupations des locaux, leur imposent leurs décisions.
C’est plus précisément dans le village d’Arpiet, monde forclos où tout le monde se connait, que débute le roman. C’est là que vit Gaspard, qui après avoir passé plusieurs années à Paris, a retrouvé ce territoire où il est né et dont il était nostalgique, pour s’y faire berger. Il a été formé par Jean, vieil homme bourru attaché aux traditions, issu d’un temps où les gardiens de troupeaux, connaisseurs séculaires de la montagne et des bêtes, étaient écoutés comme des oracles. Les bergers sont dorénavant des employés passant d’une estive à l’autre, conduisant des troupeaux que la concurrence néo-zélandaise contraint à accroitre déraisonnablement, pour qui les brebis ne sont plus que des numéros. Gaspard, fort de la philosophie du temps long et de la proximité avec les bêtes que lui a transmise Jean, compose avec les mutations du monde moderne en s’efforçant de s’y soumettre au minimum. Mais c’est avec l’angoisse au ventre qu’il prend cette année le chemin de l’estive, traumatisé par un drame vécu lors de la saison précédente.
Jules aussi est d’Arpiet mais il y voit le jour un siècle avant Gaspard, alors que la vallée est un territoire de pauvreté dont il rêve de s’extraire. Pour atteindre ses ambitions, il compte devenir montreur d’ours, une tradition dans la région. Il parvient à capturer une femelle qu’il commence à dresser, avec l’Amérique en point de mire…
Alma, elle, n’est pas ariégeoise. Elle est à la fois de partout et de nulle part, trimballée depuis l’enfance au gré des pérégrinations parentales. Devenue docteure en biologie comportementale, elle a écumé les septentrions du monde pour observer les ours, qui la passionnent. Adepte de "la science qui tâche", elle aime la part d’irréductible mystère du sauvage, où l’homme n’est qu’un surcroit. Son goût pour le terrain l’a incité à se spécialiser en éthologie, et c’est à ce titre qu’elle intègre l’équipe qui suit la réintroduction de l’ours dans la vallée du Couserans, où l’on avait désappris à cohabiter avec l’animal, devenu source de tensions et de polémiques exacerbées depuis une tragédie que l’on impute à la Negra, une grande ourse sombre venue d’Espagne, dont Alma souhaite étudier le comportement et les déplacements.
L’intrigue alterne entre le berger, la scientifique et le montreur d’ours (personnage le moins présent, et dont j’ai trouvé l’intérêt assez limité), dans une volonté un peu trop évidente d’aborder les différents aspects de la thématique du rapport entre l’homme et le sauvage qui traverse le récit, dont la dimension romanesque est parfois amoindrie au profit d’une démarche didactique. Pour autant, c’est sans réticence que je me suis laissée porter par la plume de Clara Arnaud, notamment grâce à son talent pour nous transporter dans ces paysages de montagne qui constituent autant un refuge qu’une prison, territoire d’isolement et de verticalité, de magnificence et de danger. De même, le quotidien du berger est évoqué sans enjolivement, avec les contraintes et les difficultés qui imposent d’être en alerte jour et nuit -les risques de maladies et d’accidents, la crainte des prédateurs, les conditions météorologiques… Il représente ainsi l’un des aspects de notre posture vis-à-vis d’un monde sauvage perverti par l’anthropisation quasi généralisée d’un territoire qui après avoir subi les transformations inhérentes aux activités humaines, souffre de ses effets sur le climat : la canicule y devient la norme, d’abondantes rivières sont devenues des ruisseaux, l’herbe s’y raréfie…
Je ne parviens pas à savoir si ce livre pourrait me plaire, j'aime beaucoup le titre, le fait que ça se déroule en Ariège mais pour le reste...
RépondreSupprimerLa thématique est aussi très intéressante, et abordée par l'auteur de manière instructive, sans doute un peu trop... mais je retiens de cette lecture un sentiment globalement positif.
SupprimerVous avez toutes les trois apprécié ce roman et surtout le style d'écriture ainsi que la description des paysages. Je retiens ce titre à cause de la montagne et surtout à cause de vos 3 avis unanimes !
RépondreSupprimerOui, comme Aifelle et Kathel, j'ai surtout apprécié l'immersion en milieu montagnard. Et on suit l'intrigue avec facilité, même si j'aurais aimé qu'elle soit traitée avec plus de subtilité..
SupprimerCe livre avait tout pour me plaire, je l'ai donc tenté. Je l'ai rapidement trouvé démonstratif et surtout, la langue m'a horripilée. Je n'aime pas ce pseudo poétique qui s'emploie quand il s'agit de décrire la nature (et un peu tout d'ailleurs). J'ai dû lire une centaine de pages et jeter l'éponge.
RépondreSupprimerJe te rejoins sur l'aspect démonstratif (que j'avais aussi relevé, mais dans une moindre mesure, à la lecture de La verticale du fleuve). En revanche, l'écriture ne m'a pas gênée, j'ai trouvé que les descriptions sonnaient juste..
SupprimerCela fait longtemps que je veux le lire et qu'il est dans mes listes mais jamais disponible dans ma médiathèque en ville, ce qui confirme qu'il a un succès certain...Merci de vos avis unanimes
RépondreSupprimerIl finira bien par se libérer (et tu dois pouvoir le réserver ?).. Dans l'ensemble une bonne lecture, qui procure une expérience immersive dans un cadre montagnard à la fois rude et magnifique.
SupprimerEn effet je pourrai le réserver, mais le souci en ville quand je réserve c'est que je n'ai que deux jours pour venir le chercher cela implique que j'ai la voiture (c'est à plus de 20 km), et le temps !! Du coup je ne réserve de livres que dans la médiathèque de ma petite ville où j'habite parce que là j'y passe devant quasiment tous les jours, donc si le livre n'est pas dans les rayons, je me débrouille autrement...c'est compliqué quand on habite en campagne !
SupprimerJe comprends, on ne se rend pas toujours compte quand on vit en ville... mais la campagne a aussi ses avantages (notamment celui de pouvoir observer des chardonnerets dans son jardin :))
SupprimerJ'avais beaucoup aimé aussi, pour la description de l'environnement et du métier de berger, entre autres.
RépondreSupprimerNous nous rejoignons complètement sur ce point, on voit que l'auteure a voulu coller au plus près de la réalité. De mémoire, lors de son passage à La Grande Librairie, à l'occasion de la sortie de ce titre, elle avait précisé avoir passé un long moment dans la région.. j'ai recommandé ce titre (avant de le lire) à des amis qui ont une maison de famille dans le Couserans, et ils ont trouvé qu'elle restituait très bien l'ambiance des lieux, et le caractère de habitants..
SupprimerJ'ai tendance à suivre Sandrine, l'ours pris ainsi m'agacerait?
RépondreSupprimerPour le coup, je n'ai pas grand-chose à lui reprocher sur le fond, concernant son approche sur la cohabitation avec l'ours. Bien qu'amenées de manière un peu didactique, les différentes postures sur la réintroduction de l'animal m'ont paru assez justes, et leur multiplicité évite de tomber dans la caricature = les enjeux contradictoires et la complexité qu'ils apportent à la question sont bien développés.
SupprimerJ'ai un souvenir un peu mitigé de ma lecture. J'avais globalement aimé, mais une partie m'avait plus ennuyée, celle de Jules, j'ai trouvé qu'elle ne s'insérait pas bien au reste. Mais je ne regrette pas du tout de l'avoir lu.
RépondreSupprimerComplètement d'accord avec toi sur ce montreur d'ours, qu'elle aurait à mon avis pu supprimer sans que cela nuise à l'ensemble du texte...
Supprimerwaow quand je vois tous les commentaires, tout le monde l'a lu.. contente de voir que tu as aimé, et même le style (je pense au commentaire de Sandrine) bon pour ma part, j'ai déjà lu plusieurs romans sur l'ours et l'homme, et l'Ariège ne m'attire pas particulièrement et j'ai un gros souci avec les romans didactiques, je déteste ça ! mais je suis dans la thématique, car je viens de finir Beartooth de Callan Wink, ça se passe à Yellowstone et il y a des ours ... ;-)
RépondreSupprimerBon, je ne te le recommande pas du coup.. ah oui, Callan Wink, je garde un très bon souvenir de son recueil de nouvelles. J'attends ton billet avec curiosité...
SupprimerQu'est ce que j'ai aimé ce roman ! Je trouve qu'il est réussi en tous points, décor, personnages, propos, narration... Du coup j'ai lu son précédent, La verticale du fleuve et j'ai été déçue parce qu'il a pas mal de défauts qui noient le propos. Mais vu comment elle a corrigé tout ça pour aboutir à Et vous passerez comme des vents fous je suis confiante pour le prochain.
RépondreSupprimerTon enthousiasme rejoint celui de mes amis ariégeois à qui j'ai signalé ce livre, et qui l'ont aimé sans bémols également. J'ai fait le chemin dans l'autre sens, en lisant d'abord La verticale du fleuve, que j'ai vraiment apprécié, malgré, là aussi, un côté parfois démonstratif.. je crois l'avoir préféré à celui-là, peut-être en raison de son contexte social plus "tendu".
SupprimerPour l'atmosphère montagnarde et ce superbe titre, je tenterai sans doute cette lecture.
RépondreSupprimerMalgré mes bémols, je ne regrette pas ma lecture, qui a été très fluide et plaisante...
SupprimerJ'ai beaucoup aimé ce roman qui n'enjolive rien en effet. Il est vrai que la partie sur le montreur d'ours est la moins intéressante mais je crois que c'est ce qui a déclenché l'écriture de ce livre.
RépondreSupprimerJe suis dépitée : j'ai eu accès pendant 2/3 minutes à ton blog, hier, le temps de laisser un commentaire, pour être aussitôt de nouveau bloquée (par les règles de sécurité de mon PC pro)...
SupprimerJe ne me souvenais plus que l'écriture de ce titre avait été motivé par le montreur d'ours, mais maintenant que tu le dis, je crois me souvenir qu'elle en avait parlé lors de son passage à La Grande Librairie..
j'ai beaucoup aimé ce livre pour son honnêteté . je n'ai eu aucune réserve .
RépondreSupprimerJe ne me souvenais plus que tu l'avais lu, je viens d'ajouter un lien vers ton billet (que j'avais pourtant commenté)..
SupprimerCe livre est dans mes projets de lecture depuis sa parution, donc déjà depuis un an et demi... Donc un jour...
RépondreSupprimerIl mérite qu'on s'y attarde, malgré ses "petits" défauts, ne serait-ce que pour cette immersion montagnarde..
SupprimerJ'aime beaucoup la couverture et l'immersion dans ce milieu montagnard qu'on tend soit à idéaliser soit à assombrir semble intéressante.
RépondreSupprimerOui, la couverture est très belle, et le titre aussi .. et l'auteure rend très bien les sentiments ambivalents que suscite la montagne, entre crainte et fascination.
SupprimerCe titre me fait penser aux livres de Paolo Cognetti qui parlent tous de la montagne : Les huit montagne, Sans jamais attendre le sommet ou encore Garçon sauvage... Les as-tu lu ?
RépondreSupprimerNon, je n'ai pas lu cet auteur, pourtant repéré sur les blogs.. mais c'est un (vague) projet. Je suis pour l'instant en pleine épuration de ma pile existante !
SupprimerJ'avais lu il y a quelques années son récit de voyage à cheval en Arménie et Géorgie, intitulé Au détour du Caucase. Si je croise ce roman en bibli je le prendrai, malgré le côté un peu trop didactique que tu signales.
RépondreSupprimerC'est une grande voyageuse, visiblement ! Je sais qu'elle a aussi vécu au Honduras, et en Chine...
SupprimerC'est un problème complexe qui doit donner un roman qui l'est également. On peut penser que si elle n'avait pas abordé systématiquement tous les points de vue, on le lui aurait reproché.
SupprimerC'est vrai que sa démarche est pertinente, et qu'elle a pour résultat de brosser un tableau très complet des enjeux du sujet, c'est juste que d'un point de vue narratif, ça aurait pu être un peu plus subtil..
SupprimerC'est dommage ce côté démonstratif au détriment du romanesque !
RépondreSupprimerCela reste un bon roman... Mais si tu dois n'en retenir qu'un, retiens Aliène !
SupprimerMoyennement tentée ... Et comme je suis moi aussi en phase d'épuration, (beaucoup d'emprunts à la place de beaucoup d'achats), un coup de hasard me permettra, peut-être, de satisfaire une curiosité titillée, quand même, par les avis divergents.
RépondreSupprimerIl me semble que tu risquerais d'être gênée par l'aspect démonstratif du récit...
SupprimerJ’abonde dans ton sens (et celui d’autres) sur l’aspect un peu trop didactique. Le roman a cependant le mérite d’aborder la thématique de l’ours sous divers points de vue et reflète assez bien la réalité que j’ai pu rencontrer, ici, en Ariège où je travaille… en lycée agricole (et le sujet y est fort sensible !).
RépondreSupprimerMerci pour ces précisions précieuses, venant de quelqu'un du terrain ! J'ai fait lire ce titre à un couple d'amis qui possède une maison de famille dans le Couserans, et y passe beaucoup de temps. Ils m'ont aussi confirmé la véracité de l'atmosphère et du contexte dépeints par Clara Arnaud. Malgré sa dimension un peu démonstrative, je trouve que c'est un très bon roman.
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