"Qui après nous vivrez" - Hervé Le Corre

"J’étais là quand tout a commencé vraiment à finir."

Moitié du XXIème siècle, dans "un monde finissant qui n’en finit plus", où l’on s’étonne que le soleil se lève encore chaque matin... Un monde dévasté, parsemé de forêts de troncs morts, calcinés...

Les êtres y survivent -ou pas- en se jetant dans l’errance, en quête d’un abri, de nourriture, tentant d’échapper aux brutes en quête de proies, auxquelles l’époque est propice. La mère de Léo n’a pas su leur échapper. Des années auparavant, il a assisté impuissant à son viol puis à son meurtre. A douze ans, il en garde un profond traumatisme et la conviction de son irrémédiable vulnérabilité, persuadé qu’il n’acquerra jamais ni la force ni la beauté de son père Marceau. Ils ne sont pas seuls. Nour et sa fille Clara, du même âge que Léo, rencontrées au cours de leurs pérégrinations, les accompagnent. Aucun désir ni aucune tendresse ne lient les deux adultes, focalisés sur un impératif de survie qui n’autorise au mieux qu’une sollicitude neutre, une camaraderie asexuée. 

Le récit alterne, en remontant l’ascendance maternelle de Clara, avec deux autres époques, prémices de ce présent cauchemardesque.

Rebecca, la grand-mère que Nour n’a pas connue, a vécu le moment de bascule qui a suivi les épidémies aux millions de morts, la fin des promesses d’une technologie qui rendrait les hommes maîtres du monde, les guerres du pétrole livrées par des robots, les pénuries d’eau et de nourriture, la submersion des terres et les grands incendies… elle a été la dernière de leur lignée à vivre en ville, avec Martin, et leur fille Alice, qui n’était encore qu’un bébé. Leur monde en déséquilibre permanent ne tenait plus debout que par la pauvreté du plus grand nombre, jusqu’à la panne d’électricité qui, contrairement aux précédentes, a duré. Ont suivi de nouvelles émeutes, très violemment réprimées, au cours desquelles Martin a disparu. Il a alors été temps, pour Rebecca, de fuir, sans destination précise…

Les moments où nous retrouvons, des années plus tard, Alice (et sa fille Nour) nous emmènent au sein du Domaine, communauté placée sous un régime tyrannique proclamant son autorité sur tous les croyants des grandes religions, et ayant ramené la femme au rang d’esclave.

Maître du noir sordide et plombant, Hervé Le Corre s’essaie donc ici à l’anticipation, et vous aurez aisément déduit du résumé qui précède que ce n’est pas non plus très réjouissant. Le message est clair, et d’ailleurs énoncé par l’un des personnages : voici le monde qui nous guette à ignorer les alarmes et à laisser les riches puissants continuer à jouir de leurs domination, à réagir face à la "science instinctive du saccage, (à) l’obstination bestiale dans l’erreur, (au) talent toujours renouvelé du massacre" en achetant des climatiseurs et des téléphones neufs, en prenant l’avion, en acceptant d’être à travers nos écrans les témoins passifs et résignés des guerres et des désastres humanitaires se déroulant ailleurs… 

Bien sûr, j’ai souvent pensé à "La route", supposant que la référence, évidente, au roman de Cormac McCarthy - un père et son fils en errance dans un monde post-apocalyptique …- était volontaire… Or, je n’ai pas du tout aimé "La route", et j’avoue que vu le sujet de celui-là, je ne m’y serai jamais embarquée s’il n’avait été écrit par Hervé Le Corre, dont j’étais curieuse de cette incursion dans un genre qui lui est inhabituel. Je ne le regrette pas. Est-ce parce que son histoire est plus proche de nous que celle de "La route", implantée dans un futur que l’on devine très éloigné, que l’on y trouve malgré son désespérant contexte des manifestations familières de la vie, un chant d’oiseau ici, le bourdonnement d’un insecte là, ou encore le rafraichissant souffle d’air sorti d’un bois ? Malgré la noirceur, Hervé Le Corre s’obstine à chanter la persistance, même infime, de la beauté, que perçoivent aussi ses héros, mais aussi celle de leur humanité, des espoirs qui les tiennent encore, du bonheur auquel Nour croit toujours, de l’évasion permise à Léo par la lecture d’un vieux roman du XXème siècle...

En nous attachant à ses personnages, et en entretenant l’attente angoissée du lecteur quant à leur devenir, l’auteur évite ainsi de réduire son roman à un simple cri d’alarme culpabilisateur et démoralisant…


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Commentaires

  1. Noir sordide et plombant? Mais des qualités cependant, je le sens.

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    1. Oui, l'écriture de Le Corre est impeccable, avec juste ce qu'il faut de lyrisme... j'ai apprécié, une fois de plus.

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  2. La SF postapocalyptique ne m'inspire pas trop, cela me semble trop sombre et sans espoir... et puis j'ai plein d'autres livres de SF à lire sur ma PAL.

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    1. Je ne te mentirai pas, c'est bien plombant, même si l'espoir n'est pas totalement absent...

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  3. ça a l'air sombre et effrayant car pas irréaliste. J'aime beaucoup ta conclusion qui pourrait me faire sauter le pas moi qui ai tendance à éviter les textes trop moralisateurs ou tellement sombre qu'on occulte toute lumière.

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    1. C'est même très réaliste, à vrai dire... on sent bien qu'à l'origine du roman, il y a chez l'auteur un sentiment d'impuissance provoqué par notre passivité face à la dévastation en cours...

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  4. Je n'ai lu qu'un roman d'Hervé Le Corre, polar historique, que j'avais trouvé très sombre. Je ne suis pas sûre de me risquer un jour dans celui-ci.

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    1. Je viens d'aller vérifier chez toi, c'est Après la guerre que tu as lu. C'est avec ce titre que j'ai découvert l'auteur et j'avais beaucoup aimé, même si (ou parce que) c'est très noir, oui...

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  5. Jamais lu cet écrivain, il est temps que je l'essaie. Je note.

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    1. Oui, il est temps, je crois bien qu'il te plairait...

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  6. Je ne suis pas encore remise de ma première lecture de Le Corre il y a un an... Est-ce que je te compte ce titre comme participation à Objectif SF 2025 ?

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    1. Oui, je me souviens de ton expérience... et pour avoir vu l'auteur plusieurs fois sur des salons, il est très intéressant mais très peu jovial...

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