"Les naufragés du Wager" - David Grann
"Au-dessous de cinquante degrés de latitude, il n’y a plus de loi. Au-dessous de cinquante degrés, il n’y a plus de Dieu."
Septembre 1740. C’est l’époque des grandes conquêtes auxquelles se livre l’Europe pour acquérir des territoires toujours plus vastes et s’approprier richesses et ressources de contrées lointaines. Un conflit colonial opposant l’Espagne à l’Angleterre, cette dernière appareille une flotte pour aller s’emparer du trésor d’un galion espagnol -"la plus riche prise de tous les océans"- stationné dans la région du Cap Horn. C’est ainsi que l’escadre à laquelle appartient le Wager quitte Portsmouth avec à son bord quelques 250 officiers et hommes d’équipage, pour l’extrême sud du continent américain. La trace du bateau est perdue pendant 283 jours, période à l’issue de laquelle certains membre de l’équipage refont miraculeusement apparition sur les côtes du Brésil. Ils sont rapatriés en Angleterre où éclate alors un scandale dont la presse fait ses choux gras. Il est question d’abandons, de meurtres… voire de cannibalisme.
David Grann s’empare de cet historique fait divers, sur lequel il s’est documenté pendant cinq ans. A partir de journaux de bord, de rapports maritimes, de précis de marine ou d’études universitaires, il reconstitue l’épopée, aussi sombre qu’extraordinaire, du Wager et de ses passagers.
A vrai dire, cela commence mal avant même le départ. Une épidémie touche l’équipage, qui nécessite de trouver de nouvelles recrues, qu’on enrôle souvent de force (malheur au badaud dont la tenue s’apparente à celle d’un marin, il a tôt fait d’être pris pour un déserteur et embarqué fissa). Il en résulte une troupe hétéroclite, pour partie d’aspect pitoyable, constituée d’hommes souffreteux ou de fauteurs de trouble -voleurs, forçats…- mais aussi de dandys ou d’artisans de marine. Toutes les couches de la société se retrouvent ainsi sur les bateaux, qui accueillent plus d’hommes que leur capacité en prévision de la longueur du voyage et des combats qui s’annoncent. Parmi les principaux personnages du récit (notamment parce qu’ils ont laissé des écrits), figurent le futur grand-père du poète lord Byron, jeune gentilhomme alors enseigne de vaisseau, l’officier David Cheap, qui espère ardemment obtenir une promotion à l’occasion de cette longue expédition, ou encore John Bulkeley, canonnier expérimenté et débrouillard.
Le Wager est considéré comme le "bâtard" de la flotte car contrairement aux autres vaisseaux de la ligne, il n’est pas conçu pour la guerre. C’est un ancien navire marchand, une "monstruosité" longue de 37 m que l’on a transformé. Son capitaine Dandy Kidd est un homme aguerri mais superstitieux, et c’est la première fois qu’il obtient le commandement de son propre navire.
La flotte doit parvenir au Cap Horn en mars, saison supposée comme la plus propice, alors que c’est en réalité la période la plus dangereuse de toutes, où les vents d’ouest et les vagues atteignent une violence paroxystique. Lorsqu’ils y parviennent, c’est épuisés par une traversée de l’Atlantique désastreuse. L’extrême insalubrité des conditions de vie à bord, le manque d’approvisionnement en eau ou nourriture et une épidémie dévastatrice de scorbut ont considérablement réduit les équipages dont les membres restants sont malades, voire à l’agonie. Ce malheur a néanmoins favorisé l’ambition de David Cheap, qui a quitté le Centurion, où il exerçait initialement, pour prendre le commandement du Wager après le décès de son capitaine.
Mais le bateau ne résiste pas longtemps aux conditions dantesques qui l’accueillent en terre de Feu. Le Wager perd l’armada de vue, et s’échoue sur une île au large du Cap Horn. Déjà très faibles, les hommes y affrontent un environnement hostile, marqué par le froid, des pluies torrentielles et une mer déchainée qui semble couper toute issue. L’ïle offre par ailleurs peu de ressources. La survie s’organise, mais bientôt surgissent des dissensions. Certains remettent en cause, en l’absence de bateau, le commandement de David Cheap. Par la suite ce dernier, qui n’a jamais abandonné l’idée de poursuivre leur mission, et cherche le moyen de rejoindre l’escadre, devra s’opposer à la grande majorité des marins qui, regroupés sous la houlette de l’ingénieux Bulkeley, ne pensent qu’à trouver un moyen de rentrer chez eux.
On comprend sans peine l’intérêt porté par David Grann à cette histoire éminemment romanesque. Une traversée des mers les plus agitées du globe, un combat pour la survie qui s’accompagne de luttes intestines, des hommes au seuil de la mort qui réalisent l’un des périples les plus longs jamais accomplis par des naufragés… Il a très habilement reconstitué cet épisode, nous livrant un haletant récit d’aventure qui se prête par ailleurs à un passionnant questionnement sur ce qu’il advient de la civilisation lorsqu’elle en est réduite à la satisfaction de ses besoins primaires, et que "la faim exempte de toute compassion", mais aussi sur la manière dont la transmission des événements est soumise à la subjectivité et aux intérêts de ceux qui la portent.
D'autres titres pour découvrir David Grann : La note américaine - Le Diable et Sherlock Holmes
On aurait presque pu faire une lecture commune, je publie mon billet la semaine prochaine. Un avis moins positif, pourtant le sujet est tout à fait passionnant.
RépondreSupprimerJ'ai vu en effet qu'il était en cours de lecture, sur ton blog. J'attends ton avis avec impatience (avec des bémols sur le style, peut-être.. ?)
SupprimerCela fait plaisir de voir que le Wager continue son chemin ...
RépondreSupprimerJ'attendais sa sortie poche, pour le transporter plus facilement...
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