"Oh maintenant, compromis à fond... Ennazifiés jusqu'à la glotte... Et alors ?... Faut jamais se montrer difficile sur les moyens de se sauver de l'étripade…"
En octobre, Moka nous invitait, dans le cadre de la sixième édition des Classiques fantastiques, à se pencher sur la vie de château. Sortir de mes étagères où il dormait depuis des années, le roman de Louis-Ferdinand Céline, D’un château l’autre, était donc une évidence. Mais après cinquante pages d’une lecture rendue pénible par l’aigreur hargneuse et redondante qui caractérise le texte, j’ai jeté l’éponge. Je me suis alors souvenue d’une adaptation graphique acquise il y a quelques années... Plus précisément, "La cavale du Dr Destouches" s’inspire librement de la trilogie célinienne qui regroupe, en plus de D’un château l’autre, Nord et Rigodon.
1944. Les troupes américaines progressent inéluctablement vers Paris, régulièrement bombardé par la RAF. Ça sent le roussi pour l’occupant et ses sympathisants. Parmi ces derniers, notre Dr Destouches, qui ne compte plus les lettres de menaces et d’insultes que lui vaut son positionnement pour le moins ambigu pendant l’Occupation. Il est temps de quitter la capitale, avant que "ceux qui veulent sa peau le repassent aux arènes, le dépècent en public". Tous trois munis d’un passeport en bonne et due forme fourni par une relation bien placée, Céline, sa femme Lucette et leur chat Bébert prennent la fuite, bientôt rejoints par l’acteur Robert Le Vigan, dit La Vigue, ami du couple et collaborateur notoire, qui vient de quitter le tournage des Enfants du paradis. C’est le début d’une cavale qui les emmène de Baden-Baden à Berlin, puis à Sigmaringen, dont le château, curieux assemblage de pastiches de différents styles, héberge le gouvernement de Vichy en exil.
Ils croisent à l’occasion de leur fuite nazis décomplexés et dignitaires pervers, dont certains se livrent à d’ignobles débauches. C’est un univers sombre et sordide, implanté dans un décor de faste que le contexte rend décadent. Le dessin, en noir et blanc, se mue subtilement pour coller au propos, se fait tantôt réaliste, tantôt caricatural pour accentuer la dimension aussi hideuse que grotesque de certains protagonistes, voire fantasmagorique.

Les épisodes de cette débandade laissent parfois la place à un Céline narrateur, en un temps qui leur est ultérieur. L’écrivain, vieilli et négligé, ajoute alors certains commentaires à son récit, qui témoignent de sa volonté de donner sa version des faits, de s’expliquer, et ces allers-retours rendent l’intrigue parfois un peu confuse. Il y apporte sa vision pessimiste du monde, son dégoût d’une humanité méprisable et pathétique. Acrimonieux et grossier, il suscite peu de sympathie. L’ouvrage s’attache toutefois à mettre en avant l’ambiguïté de ce Dr Destouches capable d’une surprenante compassion en soignant des pauvres, des clandestins ou des déserteurs, signant des certificats pour dispenser du STO, ou se faisant passer lors d’un contrôle pour le proche d’une femme dont les papiers ne sont pas en règle. Céline est ici montré, plus que comme un salaud, comme un opportuniste qui ne pense qu’à sauver sa peau, un homme qui ne se soumet à aucune morale si ce n’est la sienne.

L’objet livre est très soigné, d’un format généreux (non pas épais, mais grand), et j’ai pris beaucoup de plaisir à en découvrir le dessin précis et expressif. Le texte, fidèle au ton célinien, est féroce et cynique, empreint d’une énergie due à la dimension populaire, voire crue, du parler du héros. Je suis en revanche un peu restée sur ma faim quant au contenu, sans en être surprise : condenser trois romans en moins de cent pages contraint à certains raccourcis susceptibles de laisser au lecteur un sentiment de superficialité.
Heu... Même s'i y a un chat, je vais en rester là. ^_^
RépondreSupprimerJe déteste Céline, l'homme comme l'écriture et je n'ai jamais pu lire plus de 10 pages du fameux voyage...
RépondreSupprimerJe serais moins catégorique que les copines, ce roman graphique pourrait m'intéresser... et je ne dis pas qu'un jour je ne relirai pas Céline.
RépondreSupprimerÇa m’a l’air très intéressant surtout quand ça montre la complexité psychologique des êtres, même les plus odieux. Mais je pense que ça m’agacerait trop de lire cet ouvrage, surtout en cette période.
RépondreSupprimerJe garde en tête ma lecture éblouie et fascinée du Voyage au bout de la nuit. J'avais 17 ans ... Ce livre fut pour moi un vrai choc littéraire, un livre fondateur. Mais j'en resterai là.
RépondreSupprimerJ'ai lu "voyage au bout de la nuit" il y a longtemps. Je ne connaissais pas encore très bien le personnage sinon je ne l'aurais pas lu je crois. L'histoire de la fuite et du voyage vers l'Allemagne a été rediffusé il n' y a pas longtemps à la radio, ça devait être Philippe Colin, toujours intéressant. On y abordait aussi le côté soin des pauvres à Sigmaringen. Etonnant.
RépondreSupprimerJe boycotte Céline depuis toujours. Concernant cet album, on voit grâce aux extraits que tu as choisis que les illustrations sont très expressives.
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