"Un roman russe" - Emmanuel Carrère
"Toute ma vie je me suis considéré comme pas normal, exceptionnel, à la fois merveilleux et monstrueux, ce qui est ordinaire quand on est adolescent mais inquiétant à mon âge."
Pendant le montage du film, alors qu’il fête ses quarante-trois ans, sa mère lui fait remarquer qu’il a atteint l’âge de son grand-père, Georges Zourabichvili. L’ombre de ce géorgien né à la fin du XIXème et dont la famille s’est exilée en France pèse sur ses descendants, les plombe d’une angoisse honteuse qu’entretiennent le silence et le déni qu’a posés la mère sur cette figure paternelle. L’homme, qui a pendant la Seconde Guerre mondiale sympathisé avec les Allemands, a mystérieusement disparu à Bordeaux en 1944, probablement abattu par des résistants. Surpris de l’erreur commise pas sa mère -l’historienne et académicienne Hélène Carrère d’Encausse-, dont le père avait quarante-six ans lors de sa disparition, Emmanuel Carrère se donne trois ans pour doter ce fantôme d’une "sépulture". Il doit pour cela, entre autres, réapprendre le russe.
La trajectoire du livre s’inscrit ainsi entre l’histoire de l’improbable retour du hongrois et celle de l’impossible retour de Georges Zourabichvili, que sa fille n’a pourtant jamais cessé d’espérer. Ignorant de ce qu’il y aura entre ces deux points, Emmanuel Carrère fait le pari de le trouver à Kotelnitch… S’y insèrent notamment les hauts et les bas de son aventure amoureuse avec Sophie, femme belle et radieuse avec laquelle il connait une communion sexuelle inédite. Leur relation est toutefois rendue compliquée par les emportements de l’auteur, provoqués par son besoin d’exclusivité et ses angoisses.
"Un roman russe" raconte ainsi deux ans de sa vie, doublement marqués par cette passion instable et une quête identitaire visant à mettre le doigt sur ce qui lui échappe et le mine, en lien, suppose-t-il, avec la part obscure de l’inconscient familial et la dépendance affective qui l’attache à sa mère.
A partir d’un matériau hétéroclite -légendes et souvenirs familiaux, correspondance entre ses grands-parents maternels, rencontres parfois mémorables avec les citoyens de Kotelnitch, cogitations personnelles ou confidences érotiques…-, Emmanuel Carrère parvient à la fois à écrire l’intime et, comme il le souhaitait au départ, aller vers les autres, faisant coexister en une parfaite cohésion les pans multiples et a priori dépareillés de son texte, sans doute parce que l’ensemble est cimenté par une même démarche : celle d’un questionnement permanent sur ce qui se cache derrière les faits et sur ce qui les provoque, y compris de manière inconsciente. Une démarche par ailleurs fondée sur l’évidence de la littérature comme ce qui permet à la fois d’affronter et de supporter le poids d’une douleur de vivre qui sinon, pense-t-il, lui serait fatale.

J'ai lu son dernier, là je sens qu'il faut une pause.
RépondreSupprimerVendu ! Ce sera mon prochain E. Carrère !
RépondreSupprimerVendu ! Ce sera mon prochain E. Carrère !
RépondreSupprimerJe ne sais plus si je t'ai dit que j'ai lu deux fois "Le royaume" cet été. Et il faudra une troisième pour que j'arrive à écrire un billet dessus... On y trouve aussi le Carrère agaçant qui tient toute la place et pourtant, la réflexion est très intéressante.
RépondreSupprimerIl fait partie de ses romans que je n'ai pas encore lu, (j'ai lu à peu près les mêmes que toi) et il est sur ma liste d'achats en poche... à suivre donc !
RépondreSupprimerCelui-ci m'attire davantage que son dernier roman... Ton dernier paragraphe me refroidie quand même mais je vois que ce n'est pas rédhibitoire puisque tu suis l'auteur depuis un moment.
RépondreSupprimerUn titre de l'auteur qui ne me tente toujours pas.
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