LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"Désolations" - David Vann

"On peut choisir ceux avec qui l'on va passer sa vie, mais on ne peut pas choisir ce qu'ils deviendront."

L’Alaska… Promesse d’une vie simple et rude au sein de la nature sauvage. Représentation fantasmagorique d’une société scandinave ancestrale et guerrière installée à force de sain labeur dans un univers hostile... Voilà ce que vint y chercher Gary, laissant en plan ses études de langues anciennes dans une université californienne sous prétexte d’une année de repos qui serait mise à profit pour préparer sa thèse. Il emmena avec lui Irene, sa petite amie de l’époque. Et les voilà trente ans plus tard, jeunes retraités habitant les berges d’un lac glaciaire dans cette Alaska qu’ils n’ont finalement jamais quitté, parents de Mark et Rhoda, dorénavant adultes et indépendants.

Terre d’enclaves de désespoir où viennent s’échouer ceux qui n’ont pas trouvé leur place ailleurs pour y végéter dans des villes sales et minuscules, l’Alaska a pourtant dès le début foulé aux pieds l’idée romantique que s’en faisait Gary. Mais comme de nouveau obsédé par son fantasme d’alors, il rêve d'un retour à un état plus instinctif, de se réaliser dans l’accomplissement de tâches physiques en construisant de ses mains une cabane en rondins sur une île au milieu du lac, dans laquelle il compte vivre avec Irene… Projet quelque peu bancal, tant Gary travaille dans l’improvisation et l’approximatif, sans paraître réaliser la dimension rudimentaire et inconfortable de leurs futures conditions de vie. Il démarre d’ailleurs la construction de la cabane au mauvais moment, juste avant l’arrivée d’un hiver précoce qui fait sentir ses premières rigueurs. En allant transporter un premier lot de rondins pendant une tempête, Irene attrape un méchant rhume qui lui laisse de lancinantes migraines prenant des proportions démesurées, et auxquelles les médecins ne trouvent aucune explication physiologique… elle se gave d’antalgiques et d’anti-douleurs qui la mettent dans des états comateux. Une manière sans doute inconsciente de se révolter contre l’idée de Gary qui contrairement à ce qu'il prétend, n’est que la sienne, mais elle se garde bien de l’exprimer à haute voix, persuadée que son époux tirera prétexte de leur désaccord pour la quitter. Or, orpheline depuis l’enfance suite au suicide de sa mère et à la disparition de son père, Irene en a gardé une hantise de l’abandon.

Mais malgré ses efforts pour se montrer conciliante, la construction de la cabane tourne peu à peu à l’affrontement…

Pendant ce temps Rhoda, fille fiable et pleine de sollicitude s’inquiète, voit que quelque chose cloche chez sa mère sans mettre le doigt sur l’ampleur du phénomène qui est sur le point de faire exploser le couple que forment ses parents. Elle-même est sur le point de réaliser son rêve, se marier avec Jim, un dentiste un peu plus âgé qu’elle qui va la sortir de la médiocrité pour une vie confortable et facile, mais le manque d’enthousiasme de ce dernier face à leur prochaine union la laisse perplexe et mal à l’aise… Il faut dire que son promis a compris grâce à Monique, une amie de Mark aussi belle et jeune qu’elle est indépendante et volage, qu’il ne pourrait sexuellement se contenter d’une seule femme…

David Vann place ses héros à un moment de leur vie où les regrets, les réminiscences de leurs rêves enfuis, les plongent dans une amertume vaine et agressive. La moindre contrariété prend des proportions tragiques, les efforts pour tenter de redonner un sens à l’existence se révèlent épuisants et stériles. Leurs tentatives illusoires pour rattraper les espoirs d’une jeunesse qu’avec le recul ils idéalisent, les poussent à rendre l’autre responsable de la médiocrité de leur présent, sans réaliser leur propre fourvoiement, se mentant à eux-mêmes sur la fragilité des élans qu’ils n’ont pas eu le courage de concrétiser.

Un récit plombé par le ressentiment et le désespoir, l’auteur semblant s’appliquer à détruire toute lueur d’optimisme, à démontrer la rareté de toute intention bienveillante ou altruiste dans les relations entre ses personnages, et pour la seule qui fait montre de quelque générosité et de souci des autres (Rhoda), on soupçonne assez vite que cela va mal tourner… Cette absence de pitié de l’auteur envers ses personnages, alliée à l’hostilité de l’environnement glacial qui tient lieu de cadre à l’intrigue, font de "Désolations" un roman fort et désespérant.


Un autre titre pour découvrir David Vann : Sukkwan Island

Commentaires

  1. Mouais, pas envie de trucs désespérants... ^_^

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    1. Dans ce cas, ce n'est pas le moment en effet, sauf si tu cherches du "rafraîchissant" (dans tous les sens du terme...) !

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  2. Quand je vois ta conclusion, c'est exactement à cause de cela que je ne lis pas cet auteur, qui par ailleurs est charmant lorsqu'on le rencontre. On l'imagine plus écrivant des bluettes que des horreurs et pourtant ...

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    1. Comme quoi, il ne faut pas se fier aux apparences ! Je connais mal sa biographie, mais je crois qu'il a été traumatisé par le suicide de son propre père. J'ai d'ailleurs appris après avoir lu Désolations que le personnage de Jim est inspiré de son père, et que c'est ce héros que l'on retrouve dans Sukkwan Island (qui bien qu'écrit avant, se passe après Désolations).
      En tous cas, tu peux en effet passer ton chemin si tu n'as pas envie de noirceur !

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  3. A l’époque j’avais conclu mon billet ainsi « On ressort lessivé par la lecture de ce livre éprouvant et le mythe de la cabane au fond des bois en prend un sérieux coup, mais c’est à ce prix parfois qu’on se frotte à la littérature. » Au total j’ai lu 5 romans de l’écrivain mais depuis « Aquarium » j’ai arrêté….

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    1. Conclusion en effet très juste ! Tu as arrêté par lassitude ou par "overdose" de noirceur ?
      J'ai justement Aquarium sur mes étagères...

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    2. Par lassitude un peu mais surtout parce qu'Aquarium ouvre un nouveau cycle (c'est ce que j'en ai déduit à la lecture) qui ne me plaisait pas.....

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    3. Bon, je suis allée lire tes billets sur les titres que tu as lus.. Goat Moutain m'intrigue car il a l'air intense, mes tes bémols sur son aspect "grand-guignolesque" me freinent un peu. Et comme tu n'as pas non plus été complètement emballé par Impurs... eh bien je vais rester sur Aquarium !

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  4. J'ai lu Sukkwan Island sans adoration. J'ai l'impression à te lire que l'auteur s'ingénue à plomber l'ambiance au point de la rendre complétement irréaliste. Et c'est ce côté excessif qui m'a tant éloignée de Sukkwan Island. Je ne suis ni fan ni attirée par tant de noirceur factice.

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    1. C'est vrai qu'il a, en tous cas dans ses romans, une vision très pessimiste de la vie et une approche très cynique des relations qui lient les individus... mais je n'ai pas trouvé pour autant que cette noirceur était factice. J'ai plutôt le sentiment qu'il choisit de s'attarder sur ceux pour lesquels cette noirceur est une réalité... mais c'est sûr que je ne lirais pas que ça, cela pourrait devenir sérieusement déprimant !

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  5. Je vais passer mon chemin pour le moment...
    Je n'arrive pas à lire certains ouvrages en ce moment, j'ai tenté un "essai" : "L'âme du musicien" et je n'ai pas pu m'accrocher, j'ai besoin de légèreté (pas de romance non plus ça m'éneeeeeeeeeeeeeeeeeeerrrrrrrrrrrrrrrrrve"

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    1. Je viens d'abandonner un titre moi aussi (un indien, qui ne m'accrochait pas après plus de 100 pages, sachant qu'il en compte presque 600..). Légèreté, hum, je cherche mais comme ça je ne vois pas (je réalise que je lis plutôt du plombant !), ah si un polar de Camilleri ou de Carlos Salem, ça peut être sympa !

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  6. J'avais tenté un David Vann il y a quelques années mais l'écriture ne m'avait absolument pas plu (je ne me rappelle même plus quel titre j'avais tenté). Ce que tu dis de Désolations pourrait vraiment me plaire mais j'hésite du coup.

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    1. C'est un auteur qui divise assez, j'ai l'impression... certains de ses titres semblent très violents.. en tous cas, j'ai aimé pour l'instant les deux que j'ai lus, mais c'est vrai qu'ils sont très sombres.

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  7. je garde un souvenir très fort de S.island, je le lirai peut-être

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    1. Dans ce cas tu devrais aimer aussi celui-là, même s'il est peut-être un peu moins violent que S Island.. quoique...

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  8. J'avais lu celui-ci à sa sortie, forte de l'expérience de Sukkwan Island. Si je l'ai trouvé trouvé très bien, je n'ai pas retrouvé l'impression de saisissement du premier.

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    1. Je comprends, l'un des éléments marquants de Sukkwan Island est en effet la douche glaciale que provoque .. (bon je ne vais pas spoiler, on ne sait jamais, si quelqu'un passe par là et ne l'a pas lu..) ! Ici, on est plus dans une tension diffuse, qui monte peu à peu, et on s'attend tout de même plus ou moins à la conclusion. Mais j'ai beaucoup aimé aussi.

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  9. J'avais eu un avis très mitigé sur Sukkwan Island, mais celui-ci, j'y ai adhéré complètement. C'est mon préféré de cet auteur que je ne parviens pas à apprécier plus que ça... Enfin si, lui je l'apprécie, je l'ai rencontré, il est lumineux et charmant, le contraire de ses écrits. Mais son oeuvre ne me touche pas plus que ça. Hormis ce roman !

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    1. Je le connais mal, et c'est vrai que je m'étonnais de ne pas le voir plus que ça sur les blogs après la déferlante "Sukkwan Island".. je commence à comprendre que c'est un auteur qui divise, mais à vrai dire, cela m'intrigue plus qu'autre chose, d'autant plus que Marie-Claude est fan ! Je pense donc ne pas en avoir fini avec lui.

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  10. Comme beaucoup de lecteurs/trices, Sukkwann Island avait été pour moi une révélation, un choc. Mais ce second roman m'avait semblé encore meilleur, plus fort (si jamais ça te dit : http://www.incoldblog.fr/_post/2011/02/19/Bleak-cabin.html)

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    1. Je rajoute un lien vers ton billet, très riche ! Je ne sais pas si j'ai trouvé celui-là meilleur que Sukkwan Island, mes lectures sont trop éloignées l'une de l'autre pour que je les compare, et avec le recul, je n'ai gardé de Sukkwan Island que le choc de son rebondissement inattendu...

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  11. Deux lectures de cet auteur et à chaque fois un succès chez moi. (Mais j'ai un penchant pour le désespérant qui me rend aussitôt très réceptive à ses écrits.)
    Et quel choix que cette citation en début de chronique !

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    1. Comme toi, je suis preneuse des atmosphères sombres, désespérées, donc ça ne pouvait que coller ... ma prochaine lecture de cet auteur sera Aquarium, à voir si j'accroche autant...

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  12. J'aime toujours autant lorsque l'ambiance est désespérante... (Goran : https://deslivresetdesfilms.com)

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    1. Dans ce cas n'hésite pas, avec ce titre tu seras servi !

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