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"La neige était sale" - Georges Simenon

"Au fond, ils ont tous un peu peur de lui parce qu’il est en train d’aller jusqu’au bout."

Je ne pouvais laisser passer un Mois belge sans la lecture d’un roman dur de Simenon…

C’est un titre où contexte et personnage principal s’imbriquent dans une intrigue plombée de grisaille et de cruauté. Dans la France de l’Occupation, Franck est comme un poisson dans l’eau. A dix-neuf-ans à peine, il offre une apparence a priori peu impressionnante, avec sa grosse tête bouclée sur un corps petit et mince. Il est pourtant effrayant. C’est un individu sans morale, paresseux, brutal et sournois, qui n’a de pitié pour personne, et n’en veut pas pour lui-même. Il est comme dénué de tout sentiment. Le plus étonnant chez lui, c’est son calme : il ne s’agite et n’élève jamais la voix.

Il vit chez sa mère qui tient un bordel à domicile, au troisième étage d’un immeuble où personne ne les salue, car ils inspirent le mépris. Les filles ont entre seize et dix-huit ans. Plus âgées, Lotte n’en veut pas, et sauf exceptions, elle ne les garde pas plus d’un mois. Pingre et antipathique, la tenancière sait mater les filles. Aimant être servie, elle s’arrange toujours pour en garder une la nuit, "la plus pauvre ou la plus bonasse", qui gagne alors le droit de porter la robe de chambre en pilou violet qui généralement leur pend jusqu’à terre, et d’assouvir les besoins sexuels du fils, qui lorsqu’il n’abuse pas des prostituées de sa mère, se rince l’œil par la lucarne qui donne sur la chambre où elles officient. 

Il faut préciser que la maison présente certains avantages en ces temps de restrictions. Dire qu’on y mange bien est un euphémisme : les accointances avec l’occupant permettent d’y "bouffer du matin au soir", y compris les denrées les plus rares.

Mais revenons-en à Franck. Franck qui veut être remarqué, que le destin s’occupe de lui, et qui traîne régulièrement Chez Timo, un bar du quartier où il écoute Kromer, un dur, se vanter de ses exactions -il aurait notamment étranglé une fille. D’ailleurs, chez Timo, tout le monde semble avoir tué au moins un homme, sauf lui, ce qui lui procure un très désagréable sentiment d’infériorité. Voilà comment lui vient l'idée d'assassiner celui que l’on surnomme "L’Eunuque", un sous-officier allemand aux cheveux gars et plein de bourrelets, client régulier de chez Timo.

On suit, de méfaits en méfaits, cet antipathique personnage, qui pour se prouver, sans doute, qu’il est un homme, joue avec le feu, porté par la conviction de sa puissance. Son absence d’humanité et son cynisme atterrent d’autant plus que les allusions à quelque blessure d’enfance sont trop brèves pour fournir, si ce n’est une justification, au moins une explication à cette froideur et à cette méchanceté. 

L’auteur plante une atmosphère à l’unisson de son héros, comme s’il contaminait son environnement d’une noirceur sordide. 

Glaçant.

"C’est drôle. Il a passé la plus grande partie de sa vie -ô combien la plus grande !- à haïr le destin, d’une haine quasi personnelle, au point de le chercher dans les coins pour le défier, pour s’empoigner avec lui."


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Commentaires

  1. Pour ma part, j'ai lâché un Simenon cette année, plombant...

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    1. Certains de ses romans peuvent en effet être très durs...

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  2. Celui-là, je suis sûre de ne pas l'avoir lu ; une histoire aussi moche je m'en souviendrais !!

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    1. Et encore, j'en dévoile finalement très peu sur l'intrigue. Le meurtre de l'allemand n'est que le début d'une série d'infamies !

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  3. Bon, j'ai complétement loupé le mois belge cette année ! Mais je retiens ce titre de Simenon, une atmosphère aussi poisseuse me tente bien. ( un peu perverse comme lectrice, j'avoue ...)

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    1. Perverse, je ne sais pas... en tous cas sans doute moins que moi puisque tu as décliné, pour Edogawa Ranpo ! J'avais noté ce titre dans une émission sur Simenon, écoutée me semble-t-il sur France Culture (mais sans certitude). Il était conseillé, avec "Les gens d'en face" (qui a aussi rejoint ma pile) pour faire connaissance avec les "romans durs" de l'auteur.

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  4. J'ai lu ce texte il y a très longtemps, quand j'étais jeune adolescente et je ne sais plus pourquoi mais je sais qu'il m'avait beaucoup dérangée... la scène d'ouverture, non ?

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    1. Il y a plusieurs scènes sordides, et je t'avoue avoir oublié celle du début. C'est d'une manière générale le personnage principal qui est dérangeant, par sa froideur et sa cruauté (celui de la mère n'est pas mal non plus ceci dit), mais aussi ce contexte de l'Occupation, qui génère une ambiance pesante.

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  5. Je préfère les romans " durs " de Simenon, mais celui-ci paraît terrible. Sans le cynisme, pour l'absence de notion du " bien et du mal ", ce que tu en dis, avec la période de l'Occupation, me fait songer au film Lacombe Lucien de Louis Malle.

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    1. Je l'ai vu il y a trop longtemps pour m'en souvenir, à vrai dire (à revoir, alors...). Ce qui est assez frappant ici, c'est la quasi osmose entre l'atmosphère, lourde et tendue, et la personnalité du héros.

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  6. "Glaçant" : à n'en pas douter ! On est déjà saisi à lire cette présentation...

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  7. Ah l'atmosphère envoutante des romans de Simenon !

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    1. Un envoutement quelque peu délétère mais, c'est sûr, on est pris ! Il a une capacité remarquable à planter un décor et une atmosphère en quelques mots..

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  8. Même pour un Simenon, ce roman semble très sombre, lire ton résumé m'en convainc...

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    1. J'ai lu peu de ses romans "durs" (c'est mon 5e, ce qui n'est pas si mal, sauf si on met ce chiffre au regard de sa bibliographie !) mais c'est vrai, celui-là est particulièrement plombant...

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  9. Quand j'aurai terminé de relire Steinbeck, je pense que je relirai Simenon que j'admire énormément.

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    1. J'aime aussi les deux, bien qu'ils soient très différents (et j'ai l'intention, après avoir relu A l'est d'Eden, de faire de même avec Les raisins de la colère)... et avec Simenon, il y a de quoi faire !

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  10. Non là vraiment je ne suis pas attirée. C'est le genre de roman où j'ai l'impression que l'auteur me plonge la tête dans les poubelles.

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  11. Je ne connaissais pas du tout ce titre de Simenon mais comme il en a écrit beaucoup, je n'ai lu qu'une petite partie de ses écrits... Je note ce roman policer...

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    1. Oui, difficile de venir à bout de sa gigantesque bibliographie... comme je l'ai écrit ci-dessus en réponse à Athalie, j'ai noté celui-ci suite à une émission radio (avec Les gens d'en face).

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  12. Brrr pas sûre d'avoir envie de rencontrer un tel personnage...

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    1. Et je confirme : il vaut mieux ne pas croiser sa route... !

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