LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"La fuite de Monsieur Monde" - Georges Simenon

"Tout ce qu’elle avait dit au commissaire était vrai, mais il arrive que rien ne soit plus faux que la vérité".

Suite de ma découverte de Georges Simenon, avec dans l’ordre la lecture du tome 1 de l’anthologie publié chez Omnibus, regroupant des romans publiés en 1945. Et "La fuite de Monsieur Monde" compte pas mal de points communs avec "La fenêtre des Rouet", à commencer par la dimension a priori insignifiante de son personnage principal.

Ce jour-là, Norbert Monde a quarante-huit ans. Mais personne n’y a pensé. Ni sa femme, encore au lit au moment de son départ pour le bureau, ni son fils, qui l’y rejoint plus tard sans même prendre la peine de passer lui dire bonjour, ni sa fille, qui l’appelle dans la journée parce qu’elle est, comme d’habitude, à court d’argent. Même son vieux et fidèle caissier a oublié l’événement…

Norbert est l’héritier et le dirigeant d’une entreprise florissante d’import-export, créée par un de ses aïeux plus d’un siècle auparavant. Il vit dans la maison achetée par son grand-père, où le quotidien est régi selon un emploi du temps précis déterminé par Mme Monde. Sa relation avec ses proches est faite d’une distance motivée par une pudeur devenue une habitude. C’est un homme qui craint en permanence de ne pas être à sa place, de gêner les autres, et qui par honte dissimule sa sensibilité. Il vit comme dérivant, consentant, dans le flux tranquille, protecteur mais mortifère, d’une routine sans joies ni drames qu’il a lui-même contribué à installer.

Pourtant, ce jour-là, il n’est bien nulle part. Il se sent fatigué, mal à l’aise dans ses vêtements, rêve de bord de mer, de flânerie sous le soleil du Midi en pantalon de flanelle blanche. Non pas que Monsieur Monde ressente des regrets, de la révolte. Il n’éprouve même pas de colère envers cette existence faite de sommes d’efforts laborieux, pour d’abord obtenir son bachot malgré son caractère d’enfant rêveur que ses camarades surnommaient Boule de Gomme en raison de sa corpulence, puis pour rattraper les folies de son père, coureur de jupons dispendieux mais charismatique, adoré par ses proches, qui avait bien failli faire couler l’entreprise familiale, et enfin pour élever seuls ses deux enfants, suite au départ, en catimini, de sa première épouse.

Non, il n’en veut à personne. Seulement, lui qui aime l’ordre et la propreté ressent soudain comme un besoin d’encanaillement, de se plonger dans cet univers de la rue qui à la fois le dégoûte et le fascine, de vivre, enfin. Alors il fait raser sa moustache -quelle indécence ! dirait sa femme-, troque son impeccable et coûteux costume contre des vêtements d’occasion, et prend le large, sans rien dire à personne, vers le sud et la mer.

Monsieur Monde disparaît, devient Désiré Clouet, fraie avec le monde de la nuit dont il rencontre les oiseaux, discret mais attentif aux autres, s’encanaillant par procuration au contact d’une faune aux figures gouailleuses et attachantes.

"La fuite de Monsieur Monde" est un texte court, mais il s’y passe encore bien des choses, qu’il est inutile de développer ici. L’intrigue est riche de rebondissements, peut-être un peu trop dans sa dernière partie, mais on suit avec plaisir et intérêt jusqu’à sa conclusion le parcours de cet homme en quête de ce qu’il n’a jamais osé être.

Comme dans "La fenêtre des Rouet" Georges Simenon y traque les enraiements et les sursauts vitaux qui agitent ceux auxquels on ne s’intéresse jamais, êtres a priori lisses et ennuyeux, qu’il parvient à rendre singuliers et mémorables.

Et c'est une dernière participation à l'édition 2021 du Mois Belge, chez Anne.


Et c'est une nouvelle colonne du Petit Bac d'Enna de complétée, dans la catégorie "Voyage".


Commentaires

  1. J'en parlais récemment avec mon Tatoué en lui disant que je n'avais jamais lu Simenon. Il serait temps de m'y mettre. Reste le plus difficile: choisir un titre parmi son Œuvre prolifique.

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    1. Je n'avais pas non lu Simenon jusqu'à l'année dernière, malgré mes presque 50 ans, et le fait que la bibliothèque de mes parents en était pleine (sans doute ai-je rejeté l'auteur par une de ces inconscientes volonté de différenciation qui nous font parfois faire des choses stupides !). Et oui, la question qui se pose une fois que l'on a décidé de franchir le pas, c'est "par où commencer ?". Alors, pour éviter de choisir (et par une sorte de "tout ou rien" sans doute un peu pathologique), j'ai décidé de me lancer dans son anthologie en 25 volumes, qui par ailleurs fait du plus bel effet dans une bibliothèque... bon, j'en suis au 2e titre du 1er volume, mais j'ai toute la vie devant moi, après tout !

      Sinon, j'ai noté que L'affaire Saint-Fiacre et Le chat recueillaient de nombreux suffrages très positifs.

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    2. Oui ces 2 titres sont magnifiques. De plus l'un est un Maigret et pas l'autre, donc les deux facettes de l'écrivain. PS: l'adaptation cinéma du Maigret avec Gabin est magnifique elle aussi....

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    3. Je ne crois pas l'avoir vue, je note aussi..

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  2. C'est un auteur que j'aime bien. Je ne connaissais pas ce titre. Il faudrait que j'en lise d'autres...

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    1. "Je ne connaissais pas ce titre"... tu m'étonnes ! Il y en a tellement, cet auteur suffirait à combler plusieurs années d'une vie de lecteur !!

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  3. Mais oui, penser à Simenon pour 2022...

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    1. C'est même bien d'y penser tout le temps, je crois... sans doute que je n'attendrai pas le prochain mois belge pour y retourner !

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  4. Je n'ai pas lu ce roman mais il en a tant écrits.... Simenon est réellement un "grand", tous ses bouquins de Simenon ne sont peut-être pas du même niveau, mais il n'y a rien de mauvais et toujours un grand plaisir de lecture - lui aussi, par son écriture, joue une petite musique que j'aime beaucoup...

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    1. C'est vrai, il a une plume à la fois directe et précise qui fait facilement naître les images, et nous plonge en un rien de temps dans ses univers.

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  5. Encore une tentation! Et dire que je n'ai pas encore lu les autres Simenon que je me suis promise de lire "à cause de" toi.

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    1. Disons que c'est un prêté pour un rendu (moi j'ai ma petite liste de titres de l'est toujours dans le sac !!)..

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  6. Faudrait que je m'équipe de cette anthologie, pour faire comme toi, en lire un ou deux par an, ce serait un plaisir !

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    1. Je précise juste qu'elle fait 25 volumes, et je commence à me dire qu'en en lisant un ou deux par an, je risque de ne pas en voir le bout... après c'est vrai qu'on n'est pas obligé de lire les 25 !!

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  7. J'ai lu beaucoup de ses polars dans ma jeunesse mais j'ai encore beaucoup à découvrir. Je serais curieuse de voir si j'aime toujours autant ses romans.

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    1. J'en serais curieuse aussi ! Jeune, c'est un auteur qui ne me faisait pas du tout envie, je l'associais à des ambiances vieillottes... alors que pour l'instant, même si certains éléments matériels des deux titres que j'ai lus révèlent qu'ils n'ont pas été écrits hier, les textes n'en sont pas du tout "datés". Centrés sur la psychologie des personnages, tout en étant assez factuels, ils ont une dimension intemporelle (et j'aime bien lire des livres où il n'y a pas de téléphone portable !).

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  8. Je reluque souvent sur les Omnibus, que je trouve superbes. Je vais m'en faire offrir un, pour l'année prochaine ;-) Merci pour toutes tes participations !

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    1. Oui, c'est vrai que les ouvrages sont en plus très attrayants, illustrés en couverture de photographies prises par Simenon dans le cadre de son activité de journaliste. A chaque occasion, je rappelle que je me suis lancée dans la constitution de l'anthologie, mais sans grand succès pour l'instant.. je me les offre moi-même, du coup, au compte-gouttes !

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  9. ah Simenon, je me souviens de l'émission 30 millions d'amis l'interviewant car il avait une race de chiens préférés (les bassets artésiens) bref du coup j'adore les Bassets et j'ai lu plusieurs de ses enquêtes avec Maigret tu me fais penser qu'il faut que j'y retourne ! (dont le St Fiacre) j'aime beaucoup l'atmosphère, et la simplicité.

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    1. Comme quoi, les raisons qui nous font aller vers un auteur peuvent être très variées ! C'est drôle, ce n'est pas un auteur que je t'aurais conseillé..

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  10. Ce n'est pas un auteur que j'apprécie, je me suis toujours ennuyée dans ses romans.

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    1. Dans ce cas, il ne faut pas insister, je crois que l'on retrouve un peu le même genre d'ambiance et le même style dans la plupart de ses romans !

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  11. Je n'ai lu qu'un Simenon (Le chat), lors d'un mois belge d'ailleurs, c'était l'occasion de le découvrir enfin. Il faudrait que je revienne à lui, j'avais beaucoup aimé.

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  12. Jamais lu Simenon de ma vie (idem pour Agatha Christie, mais je fais un malheureux mélange, là!). Les Maigret ne m'ont jamais tentée. Par contre, j'ai souvent eu de la curiosité pour ses romans. Et, bizarrement, je suis tombée par hasard sur ce titre, la semaine dernière. L'histoire me fait très envie. Les gens qui changent de direction en plein milieu de vie, ça me fascine. Et v'la que tu viens de le lire. Et que du même coup, je veux absolument le lire! On dirait que les astres sont bien alignées!

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    1. Mais oui, drôle de coïncidence, surtout lorsque l'on songe aux nombres de titres que Simenon a écrit, et au fait que celui-ci n'est vraiment pas, je crois, parmi ses plus connus !
      Je pense qu'il te plaira, je trouve que l'écriture nous entraîne dans une petite musique sobre mais prenante, à l'image du héros, ordinaire, sans flamboyance, que l'auteur parvient à rendre, le temps de son escapade, intrigant.

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  13. J'ai les Maigret bien alignés sur une de mes étagères, et mon homme s'est pris depuis quinze jours d'une étrange frénésie, il dévore du Simenon avec frénésie ... ^-^ Sinon, j'ai la même anthologie que toi ( le premier volume seulement et je lis une histoire de temps en temps. Je n'ai pas encore celle dont tu parles parce que je les prend dans le désordre. Mais presque à chaque fois, j'entends cette petite musique dont tu parles. Et je confirme, "le chat", le texte comme le livre, c'est du très bon !

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    1. Tu me diras ceux qu'il a préférés ! Ah, c'est embêtant, pour Le chat, je crois avoir vu qu'il était dans un des derniers volumes de l'anthologie, je vais devoir bousculer mon ordre de lecture, si je veux le lire avant ma retraite !

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  14. J'ai eu une période Simenon ; c'est vraiment un bon écrivain. Moi celui que j'avais particulièrement aimé ce n'est pas un chat mais un chien : Le chien jaune. Le thème de La fuite de monsieur Monde me plaît. Je ne l'ai pas lu.

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    1. J'ai noté aussi ce "Chien jaune" suite à billet enthousiaste, lu il a très longtemps.. (mais qui a dû me marquer, il faut croire !). Il y en a tant !, je crois qu'il faudrait que je me mette à en lire plus d'un par an...

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  15. Simenon , je croyais connaître jusqu'à ce que je le lise et que je découvre la qualité d'écriture mais c'est assez souvent tristoune.

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    1. Je n'en ai lu pour l'instant que 2, mais les 2 étaient plutôt tristes, oui. Et je te rejoins sur la qualité de l'écriture, elle est à la fois éloquente et efficace.

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