LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"Une saison pour les ombres" - R. J. Ellory

"Il commençait à comprendre que les fantômes étaient en lui et que, même s’il partait au bout du monde, ils l’attendraient encore."

Je règle d’emblée mes comptes avec l’unique (et léger) bémol que je souhaite exprimer à l’issue de cette lecture : le fait de retrouver une structure narrative strictement identique à celle utilisée dans deux autres titres de l’auteur lus ces derniers mois, a créé un sentiment de redondance (et m’a quelque peu questionné sur la propension de R. J. Ellory à céder à la facilité). Ceci dit, la recette fonctionne, alors… L’auteur utilise donc cette fois encore des événements du passé pour faire écho au présent, et contraindre son personnage principal à affronter ses traumatismes enfouis et les conséquences de ses manquements.

Jack Devereaux apprend que son frère Calvis vient d’être arrêté pour avoir violemment agressé un homme dont la vie est en danger. C’est ainsi qu’après vingt-six ans d’absence, il est de retour à Jasperville, ville du Québec érigée dans le seul but d’exploiter les richesses de son sous-sol, aux dépens d’autochtones spoliés de leur terre.

C’est une ville isolée, de désolation et de froid extrême -"le trou du cul du monde, mais gelé jusqu’à l’os"-, où l’unique représentant gouvernemental, un envoyé de la Sûreté du Québec, change tous les deux ans.

C’est là que s’installent les Devereaux en 1969. Comme tant d’autres, le père est venu pour travailler chez Canada Iron. Son épouse, institutrice, a suivi, accompagnée de son père William qui, impliqué dans une obscure affaire d’escroquerie, a dû fuir l’Angleterre quelques années auparavant. Le couple a trois enfants : une fille -Juliette- et deux garçons.

Le récit alterne entre les démarches entreprises par Jack pour tenter de comprendre le geste de son frère, et des épisodes du passé qui nous replongent dans son enfance. Il a gardé de ces années 1970 des souvenirs de faim et de souffrance, ainsi qu’une profonde mélancolie. Elles ont été marquées par le lent délitement de la solidité paternelle vaincue par l'alcool, par le glissement du grand-père William, qui les abreuvait de légendes horrifiques mettant en scène monstres et esprits, dans la démence, et surtout par la perte. Celle de certains de ses proches, mais aussi celle de jeunes filles dont la mort n’a jamais été élucidée. Par manque de moyens, et en l’absence d’éléments tangibles, on en a conclu à des accidents, leurs cadavres déchiquetés laissant penser à une attaque d’animal.

Jack a tout fait pour oublier ce passé et les promesses, faites alors, qu’il n’a jamais tenues. Il a fui sa ville mais aussi ses responsabilités, et réalise après toutes ces années avoir été naïf, et surtout s’être menti à lui-même autant qu’aux autres : il a cru tout laisser derrière lui, mais a en réalité été poursuivi par des fantômes et des remords qui l’ont empêché de vivre. Affronter la réalité qui, après toutes ces années, le rattrape, est d’autant plus douloureux.

C’est dans ce terreau de la vulnérabilité des êtres que R. J. Ellory exprime le mieux son talent. Il sonde, triture, ausculte pour les mettre au jour les mécanismes inconscients de la culpabilité et de la désespérance suscitée par les drames ou les inaccomplissements. L’atmosphère qui imprègne le récit est à l’unisson de l’état d’esprit de son héros. Jasperville, sous ses apparences de ville ouvrière et chaleureuse où on se serre les coudes, est plombé d’une menace insaisissable et néanmoins oppressante, que suscitent notamment l’isolement et le manque de lumière. On finit par être de cette contrée reculée comme si le reste n’existait plus, piégé, dans l’impossibilité d’entrer en contact avec le monde extérieur. 

S’y ajoute l’empreinte laissée par les morts inexpliquées des jeunes filles et des fantasmes, auxquels cette ambiance était propice, qu’elles ont entretenus, fantasmes nés de peurs parfois irrationnelles, mais aussi devenant prétexte à expliquer la violence insupportable mais bien réelle à laquelle nous confronte parfois l’existence.

L’intrigue se déploie lentement, mais n’ennuie jamais, l’auteur entretenant un sens de l’ellipse qui ménage plusieurs surprises au cours du récit. Quant à la résolution de l’énigme relative aux jeunes mortes du passé, j’avais, mais ce n’est pas bien grave, deviné dès sa rencontre l’identité du coupable...


D'autres titres pour découvrir R.J. Ellory :

J'ai eu le plaisir de faire cette lecture en commun avec Miss Sunalee et Doudoumatous

Athalie et Sandrine ont également beaucoup aimé.

Commentaires

  1. Je n'ai pas lu autant de R.J. Ellory que toi, je ne peux donc pas avoir le même bémol, le mien serait plutôt sur la rapide résolution de l'histoire (je n'avais pas deviné qui était coupable). On est d'accord par contre sur les ambiances qui sont extrêmement bien décrites.

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    1. Comme je l'écris, cela ne m'a pas gênée longtemps, et c'est une structure narrative qui sert bien l'intrigue. A l'inverse, comme je connaissais l'assassin, je n'ai pas trouvé la résolution rapide...

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  2. Seul le silence est le seul roman d'Ellory que j'ai lu jusqu'à présent. J'avais beaucoup aimé. Et ce que tu dis de celui-ci me donne bien envie d'y retourner.

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    1. Il est dans la même veine que Seul le silence, du moins c'est ce qu'il m'a semblé, car ma lecture remonte à quelques années... En tous cas, tu peux y aller sans crainte, c'est un très bon roman.

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  3. Je vous rejoints complètement sur les ambiances. Ellory prend le temps de poser les jalons de son intrigue et s'attarde longuement sur la psychologie des personnages, le climat, etc. NB: Je n'avais pas deviné le coupable non plus.

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    1. Oui, le rythme et l'atmosphère sont très réussis, et les personnages complexes, Ellory maîtrise tous les aspects de son récit, c'est sans doute un de ses meilleurs titres que j'ai lu.

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  4. Ma lecture d'Ellory est plus étalée c'est peut-être pour ça que je le retrouve souvent avec plaisir, sans m'agacer de ses tics d'écriture. Ces villes retirées, abandonnées au froid sont vraiment propices à des huis clos inquiétants. Merci pour le lien.

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    1. Il faut peut-être que je laisse moi aussi passer plus de temps entre deux lectures de cet auteur... ou pas, puisque finalement, ça ne m'a pas gênée très longtemps.

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  5. Puisque je ne l'ai encore jamais lu, je ne serai pas gênée par la reprise de son schéma et devant cette belle unanimité, je ne peux que le noter!

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    1. Oui, il est excellent, c'est un très bon titre pour découvrir l'auteur.

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  6. Dis donc tu es fan de l'auteur!

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  7. "Papillon de nuit" et "Les anges de New York", j'ai bien aimé. "Seul le silence", je l'ai trouvé trop long; ça m'a ennuyé. J'attends un peu avant de continuer à lire l'auteur...

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    1. Du coup, je ne te conseille pas celui-là, dans lequel on retrouve le même genre de rythme et d'ambiance que dans "Seul le silence". "Vendetta" et "Les anonymes" se réclament davantage du genre policier, l'enquête y est plus présente, et le rythme plus vif..

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  8. Ah oui, tu en as lu pas mal de l'auteur ! Je n'ai lu que Seul le silence que j'avais trouvé bien mais pas au point de ressentir l'urgence de poursuivre avec lui. Il faudrait peut-être que j'en tente un autre pour voir. Les thèmes ici ne me parlent pas trop cela dit.

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    1. Tu peux dans ce cas peut-être tenter un de ses romans plus "policiers", comme "Vendetta" ou "Les anonymes"... J'avais bien aimé "Le chant de l'assassin" aussi, mais on y retrouve un peu les mêmes thèmes que dans celui-là, avec une relation fraternelle eu centre de l'intrigue, et les dramatiques conséquences de promesses non tenues.

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  9. Oui, cette fois ci, la recette fonctionne, oui l'intrigue se déploie lentement, mais efficacement parce que il y a un entrecroisement d'intrigues et de thèmes, fantasmes, souvenirs, légendes ... pas seulement des rebondissements gratuits et surgis de nul part comme dans le dernier titre de cet auteur. Mais, bon, tu sais déjà ce que j'en ai pensé !

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    1. Oui, et je te rejoins, car c'est un roman en effet bien ficelé, et prégnant.

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  10. Je n'ai pas beaucoup lu R.J. Ellory, donc je n'ai pas eu comme toi ce sentiment de répétition dans l'histoire. J'ai apprécié cette lecture, bien addictive, avec des personnages auxquels on s'attache (sauf les pires !).

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    1. Je l'ai appréciée aussi, une fois passé ce léger agacement face à cette construction redondante... ce titre est en effet un très bon Ellory.

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  11. J'ai lu "seul le silence" et "vendetta" mais je ne me souviens plus des autres titres...de toute manière c'est pas compliqué c'était avant d'avoir mon blog (donc avant 2012 !). Je ne dis pas non pour celui ci même si je me doute que si j'étais passée à autre chose à l'époque c'est parce que j'avais trouvé mieux côté thriller chez un autre auteur...

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    1. C'est peut-être le moment de le relire alors... avec ce titre, par exemple, qui est à mon avis plus qu'un simple thriller.

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  12. Ma dernière lecture d'Ellory (Les anonymes et avant ça Le chant de l'assassin) remonte à un sacré bout de temps mais je devrais renouer avec lui, d'autant plus que "Seul le silence" prend la poussière sur mes étagères depuis bien trop longtemps...

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    1. "Seul le silence" est à mon avis l'un de ses meilleurs romans...

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  13. Je viens déjà de faire le même reproche à un ancien roman de Ellory ("Les assassins") : toujours les mêmes ficelles, des romans qui tirent en longueur même si cela se lit pourtant bien... Comme dit plus haut "Seul le silence" et "Vendetta" restent ses meilleurs. Il ne se renouvelle pas vraiment.

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    1. Je n'ai pas trouvé que celui-ci tirait en longueur, mais cela peut en effet être parfois le cas -par exemple avec Le carnaval des ombres, lu dernièrement, et que je n'ai pas du tout aimé-. Sans doute est-ce un auteur à lire avec parcimonie, en laissant passer du temps entre lecture...

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  14. Je crois que je l'aimerais ce livre. En plus, il se déroule au Québec...Merci pour cette chronique!

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    1. En effet, il se déroule au Québec, mais dans un lieu peu attrayant, à vrai dire... et il pourrait sans doute te plaire, oui, l'ambiance, pesante et mélancolique, est bien rendue, et l'auteur s'attache bien davantage à décortiquer la psychologie de son personnage qu'à entretenir l'aspect "thriller" du roman, même s'il y a tout de même pas mal de suspens...

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