Articles

Affichage des articles du octobre, 2025

"Les saisons de la nuit" - Colum McCann

Image
"Qu'est-ce que ça fait d'être vivant ? Ça me plairait, tu crois ?" C’est l’histoire de ceux qui bâtissent la ville, mais l’habitent en ses lieux les plus sordides, les plus rudimentaires, et en subissent la violence. C’est en 1916 que nous faisons la connaissance de Nathan Walker, qui travaille dans ses tréfonds, venu de sa Géorgie natale pour creuser le tunnel ferroviaire qui reliera, sous l’East River, l’île de Manhattan à Brooklyn. Là, sous le fleuve, entre ces forçats du limon qu’on appelle les "gadouilleux" et qui, travaillant sous air comprimé, sont quotidiennement soumis au risque de la maladie des caissons, règne la démocratie d’une obscurité qui occulte les couleurs de peau. La dureté du travail est par ailleurs la même pour tous, irlandais, Polacks, Ritals ou, comme Walker, noirs. A dix-neuf ans, c’est un grand gaillard athlétique qui impressionne par son aisance physique.  En plus de Walker, l’équipe compte Vanucci, un grand italien filiforme qui ...

"La cavale du Dr Destouches"- Christophe Malavoy & Paul et Gaëtan Brizzi

Image
"Oh maintenant, compromis à fond... Ennazifiés jusqu'à la glotte... Et alors ?... Faut jamais se montrer difficile sur les moyens de se sauver de l'étripade…" En octobre, Moka nous invitait, dans le cadre de la sixième édition des Classiques fantastiques, à se pencher sur la vie de château. Sortir de mes étagères où il dormait depuis des années, le roman de Louis-Ferdinand Céline, D’un château l’autre, était donc une évidence. Mais après cinquante pages d’une lecture rendue pénible par l’aigreur hargneuse et redondante qui caractérise le texte, j’ai jeté l’éponge. Je me suis alors souvenue d’une adaptation graphique acquise il y a quelques années... Plus précisément, "La cavale du Dr Destouches" s’inspire librement de la trilogie célinienne qui regroupe, en plus de D’un château l’autre, Nord et Rigodon. 1944. Les troupes américaines progressent inéluctablement vers Paris, régulièrement bombardé par la RAF. Ça sent le roussi pour l’occupant et ses sympathisan...

"Chronique des jours de cendre" - Mia Couto

Image
"- Il existe deux types de Noirs : les chaussés et les Noirs." J’ai découvert Mia Couto avec " L’accordeur de silences ", qui m’avait envoutée par sa langue évocatrice et son étrange atmosphère. Le Mois Africain de Jostein et une proposition de lecture commune de Nathalie ont constitué une double occasion de le retrouver. Ça n’a pas très bien commencé, à vrai dire... Mon premier choix s’est porté sur Terre somnambule, dont la dimension énigmatique -symbolique ?- m’a rapidement découragée. Et je dois avouer que, par précaution, mon second choix a essentiellement été dicté par la brièveté de l’ouvrage… par chance, ça a cette fois été une bonne pioche ! 1974, dans le village mozambicain de Moebase, perdu en pleine brousse. Les blancs y sont rares. Parmi eux, Lourenço de Castro qui, comme son père avant lui, est inspecteur de la PIDE, la police politique de Salazar. Un père dont la mort est à l’origine d’un traumatisme : alors qu’il précipitait des prisonniers du haut d...

"Mythologie du .12" - Célestin de Meeûs

Image
"Les grandes fenêtres bleues renvoyaient les rayons obliques du soleil et l’asphalte du parking fondait, formant de petites flaques de goudron noir, nauséabondes, auréolées de halos jaunes, verts et violets (…)"   Célestin de Meeûs, dans ce texte à la langue aussi souple que précise, fait se rejoindre deux trajectoires que les circonstances vont rendre antagonistes. Celle de Théo est une trajectoire à venir. Il est à l’aube de sa vie d’adulte. Les résultats du Bac, qu’il vient de passer, décideront de sa poursuite d’études ou de son entrée dans la vie professionnelle. Il préfère pour l’instant éviter de faire des plans sur la comète, même s’il se prend à rêver de départ. En attendant, c’est le premier jour de l’été, plus précisément un début de soirée. Il est avec son pote Max sur le parking d’un centre commercial où ils fument des joints et enchainent les bières avant de rouler au hasard, Max racontant avec fanfaronnade sa beuverie de la veille. Théo l’écoute d’une oreille d...

"Les mandragores" - Marius Degardin

Image
"Moi, j’ai un petit problème avec l’amour. Je m’en méfie comme des prêtres." Une partie de la fratrie Cipriani vit dans les vestiges du restaurant que tenaient leurs parents à Paris, l’ Amore e Gusto . La mère les a élevés à coup de claques et de galères avant de se faire la malle, dix ans auparavant, et le père n’a quant à lui plus donné de nouvelles depuis la naissance de son benjamin, qu’il a tout de même pris le temps de baptiser Benito, ayant viré fasciste depuis sa participation à la Guerre d’Algérie.  Benito, qui préfère se faire appeler Benoît, est le narrateur. Il vient juste d’avoir dix-huit ans, et de louper sa tentative de suicide. Il vit avec sa sœur Chiara, une hyper sensible rebelle qui ne supporte pas l’injustice, aide-soignante à la maternité et affublée d’un bec de lièvre, et son frère Piero, musicien dans un lupanar. Piero est aveugle -sans doute une conséquence de l’alcool dans lequel il a baigné pendant neuf mois-, ce qui ne l’empêche pas de peindre des b...

Petite pause...

Image
 En grand week-end avec les copines, je validerai vos commentaires à mon retour !

"Au soleil couchant" - HWANG Sok-yong

Image
"Dans cent ans, en effet, quasiment tous ceux qui cohabitent aujourd’hui sur cette terre auront disparu. Le monde sera peuplé de têtes nouvelles. Les architectes, eux, ont une consolation : ils laissent des constructions derrière eux. Mais ce qu’ils laissent, ce peut n’être rien d’autre qu’une figure hideuse de la cupidité." La vie de Park Minwoo est un exemple de réussite sociale. Issu d’un milieu modeste, fils d’un obscur fonctionnaire de mairie, il est aujourd’hui le directeur d’un célèbre cabinet d’architecture de Séoul, à la tête de plus d’une centaine de collaborateurs. Il a plus précisément grandi dans la ville de Yeongsan où sa mère, contrainte de subvenir à leurs besoins suite à un accident cérébral ayant rendu son père invalide, avait monté un petit commerce de pâtes de poissons. Les habitants du quartier de son enfance, qui tiraient le diable par la queue, vivaient d’expédients et dans des conditions très rudimentaires, ne disposant pas toujours de l’eau courante. ...

"Thérèse Raquin" - Emile Zola

Image
"Que se passait-il dans cette misérable créature qui vivait juste assez pour assister à la vie sans y prendre part ?" Le passage du Pont-Neuf, à Paris, est un corridor obscur, étroit, et suintant d’humidité, qui reste sordide même les jours de soleil. C’est là que se trouvait la mercerie "Thérèse Raquin", où s’est joué le drame dont il est ici question. Née en Algérie d’une indigène et d’un soldat français, Thérèse a été confiée par son père à la sœur de ce dernier trop tôt pour avoir gardé quelque souvenir de ses parents biologiques, tous deux défunts. Elle a ainsi été élevée avec son cousin Camille, enfant maladif et surprotégé par sa mère, préfigurant l’adulte malingre à l’esprit inquiet et mesquin qu’il allait devenir. A l’inverse, Thérèse a toujours été de santé robuste, sujette à des emportements qu’elle a dès son plus jeune âge naturellement réfrénés afin de ne pas troubler le calme mortifère de la chambre à l’air tiède et nauséabond dans laquelle elle a gran...

"Amiante" - Sébastien Dulude

Image
"La saison avait sécrété tous ses sucs. Le lourd feuillage des arbres bruissait de nonchalance, la faune était grasse. Tout semblait recouvert d’une infime brume de lait. Les vapeurs légères de nos corps transitaient dans l’air, échangées contre les caresses de la brise. La mine se taisait." Au mi-temps de la décennie 1980, Thetford Mines est la ville phare de l’industrie de l’amiante québécoise, activité qui non seulement sculpte son paysage, mais peut aussi déterminer la manière dont on y vit, dont on y souffre, dont on y joue. Chaque jour de la semaine à 16 heures précises, la sirène de la mine hurle la fin de la journée de travail en même temps que le moment de la faire exploser pour élargir son cratère. Ses montagnes de résidu rocheux, ses collines de poudre grise et de gravier à la fois doux et coupant, sont le terrain de jeu de Steve et de ses camarades. A environ une heure de pédales, l’un de ses terrils (on les appelle ici des dompes) abandonnés, cimetière de pneus d...

"Nos insomnies" - Clothilde Salelles

Image
"Une partie de mon enfance se déroula dans une ambiguïté fondamentale : à ne pas savoir si mon père était ou non de l’autre côté de la cloison." Essonne, années 1990. Un espace urbain en voie d’expansion, les projets de construction de lotissements grignotant peu à peu les résidus de verdure. Le quotidien y est délimité et calfeutré, les extérieurs souvent déserts. Aucun lien solide n’en soude les habitants, que l’on reconnaît à leurs voitures. Malgré les envies de départ, personne ne semble quitter cette banlieue, que ses voies de passage -le RER vers Paris, le chemin devant la maison, la départementale menaçante…- isolent plus qu’elles ne l’ouvrent à l’ailleurs. C’est là qu’est la maison. Ses habitants sont innomés, ramenés à leur place dans la composition familiale : "la mère", "le père",  "les jumeaux" et le "je", tout aussi anonyme, de la fille aînée, âgée de huit ans au début du récit. La maison abrite un secret, qui est aussi un ...

"Sarek" - Ulf Kvensler

Image
"Je savais que je n’aurais plus jamais chaud." Repéré sur les blogs de Kathel , Alexandra et Violette , j’ai fourré au dernier moment ce titre dans ma valise, puisqu’il y est question de randonnée en montagne, et que cela correspondait à mon propre programme de vacances… Sauf que ce n’est pas dans le sud d’un Vercors aux températures clémentes et au dénivelé raisonnable que s’aventurent les personnages d’Ulf Kvensler, mais dans le nord de la Suède. Au moment où débute le récit, la randonnée est terminée. Anna Samuelsson, l’une des marcheuses, retrouvée par les secours en partie inconsciente et portant des marques de strangulation, a été hospitalisée. Elle est auditionnée par un agent de police qui tente de faire la lumière sur les événements à l’origine de cette issue tragique. Son témoignage, détail des évènements ayant jalonné la randonnée, alterne avec l’évocation de souvenirs qui éclairent peu à peu le contexte et les enjeux relationnels qui les ont déterminés. Cela fais...

"Territoires" - Olivier Norek

Image
"Nous sommes le paillasson de Paris." Où l’on retrouve Victor Coste, rencontré dans "Code 93", ainsi que son équipe de choc : Ronan et ses airs de "mauvais garçon", Sam, génie informatique et des nouvelles technologies plus à l’aise derrière un écran que sur le terrain, et Johanna, la dernière arrivée, dont le physique d’armoire à glace abrite sensibilité et finesse d’esprit. L’action se déroule à Malceny, ville fictive dont la ressemblance avec certaines communes de Seine-Saint-Denis est totalement volontaire… plaque tournante de la drogue pour l’Ile-de-France, elle concentre dans ses cités d’immeubles décrépis et insalubres voués à la destruction une population majoritairement immigrée, casée là par la municipalité. C’est un monde clos et sous pression, où la pauvreté et l’exclusion condamnent à rester. Une seule loi y règne, celle du trafic, à laquelle même les plus innocents n’ont d’autre choix que de se soumettre. Alors que la brigade des stupéfiants ...