"Les bienveillantes" - Jonathan Littell
Récit de la cruauté des hommes ordinaires.
« Les bienveillantes » imposaient leur masse conséquente dans ma bibliothèque depuis un certain temps, sans que je trouve le courage de m’y atteler, et je dois bien avouer que j’ai presque hésité à remettre une fois de plus ma lecture à plus tard, car après quelques 200 pages, j’avais l’impression de me noyer dans les sigles et les grades SS, sans jamais comprendre qui était le supérieur de qui, ni me souvenir du nom des divers Gauleiter, Obergruppenfürher, Hautptsturmfürher…, cités quelques pages plus tôt. Heureusement, initier le lecteur aux différents degrés de la hiérarchie militaire allemande et/ou nazie n’est pas le but de ce roman, qui a suscité mon intérêt sur d’autres questions autrement plus essentielles.
Pour ceux qui ne le sauraient pas encore, « Les bienveillantes » est le récit des années de guerre d’un officier SS, Maximilien Aue, dont la mission, au sein d’un einsatzgrupe, était de veiller à la sécurité des groupes d’armées. L’une des tâches principales de ces einsatzgrupe était d’éliminer, au fur et à mesure de la progression des troupes sur le front, les "ennemis" du Reich.
Nous suivons Maximilien dans ses déplacements (notamment en Russie, au début du récit), qui nous décrit les méthodes utilisées pour exterminer les juifs, tziganes, bolchéviques… assassinés à la chaîne, par balle, et empilés dans des fosses communes fraîchement creusées à cette occasion. Il le fait avec une distance choquante, sans regret ni remord, et en assumant totalement ses actes. Il a pleinement conscience de ce qu’il a fait, il a essayé de le faire avec le maximum d’efficacité possible, on pourrait même dire avec « conscience professionnelle », mais sans plaisir non plus, comme une corvée inévitable et nécessaire, dont il faut bien se charger. Et pourtant… Maximilien est par ailleurs un homme cultivé, intelligent, qui n’aime pas tuer, ainsi qu’il le dit lui-même, qui rêvait d’être pianiste. Comment peut-il se persuader de la nécessité d’éliminer des milliers de personnes ? Comment peut-il se résoudre à laisser cette soi-disant nécessité prendre le pas sur l’horreur que suscite le spectacle de ces meurtres en masse ? A vrai dire, lui-même semble se poser ces questions : il éprouve un douloureux besoin de « comprendre » pour justifier son action vis-à-vis de lui-même, et cela me paraît encore plus cynique et effrayant, de penser qu’il imagine pouvoir fonder sa « mission » sur des arguments logiques et raisonnés. Et pire encore : bien qu’il ne trouve pas cette justification, finalement, cela ne l’empêche pas d’accomplir tout de même sa tâche… Alors… ne serait-ce, comme il le dit lui-même, qu’une question de circonstances ? Pour lui, l’homme ne serait foncièrement ni bon ni mauvais, et se retrouverait du bon ou du mauvais côté selon ces circonstances, amené à perpétrer des actes qui ne sont pas forcément en adéquation avec ce qu’il est ou ce qu’il ressent :
Car victimes et bourreaux sont tous des hommes, justement. Et c’est bien cela le plus difficile à admettre : ces assassins n’en restent pas moins des êtres humains, ils n’ont pas besoin d’être des monstres pour se montrer capables de la plus abjecte cruauté. Et tant qu’un homme est capable du pire, cela signifie que chaque homme l’est, y compris, ainsi que le précise Maximilien en nous interpellant, nous-mêmes :
Voilà qui semble remettre en cause la force du libre arbitre : en effet, l’homme seul ne pourrait décider du bien ou du mal, mais les mesurerait à l’aune des références préétablies, qu’il s’agisse de Dieu ou d’un fou comme Hitler ?
Ce qui est également troublant, c’est de voir la docilité avec laquelle les populations se laissaient mener aux exécutions, se révoltant finalement très peu lorsqu’elles se rendaient compte du sort qui leur était réservé, comme si effectivement les circonstances font que chacun se tient à son rôle : victime ou bourreau.
Pour ceux qui ne le sauraient pas encore, « Les bienveillantes » est le récit des années de guerre d’un officier SS, Maximilien Aue, dont la mission, au sein d’un einsatzgrupe, était de veiller à la sécurité des groupes d’armées. L’une des tâches principales de ces einsatzgrupe était d’éliminer, au fur et à mesure de la progression des troupes sur le front, les "ennemis" du Reich.
Nous suivons Maximilien dans ses déplacements (notamment en Russie, au début du récit), qui nous décrit les méthodes utilisées pour exterminer les juifs, tziganes, bolchéviques… assassinés à la chaîne, par balle, et empilés dans des fosses communes fraîchement creusées à cette occasion. Il le fait avec une distance choquante, sans regret ni remord, et en assumant totalement ses actes. Il a pleinement conscience de ce qu’il a fait, il a essayé de le faire avec le maximum d’efficacité possible, on pourrait même dire avec « conscience professionnelle », mais sans plaisir non plus, comme une corvée inévitable et nécessaire, dont il faut bien se charger. Et pourtant… Maximilien est par ailleurs un homme cultivé, intelligent, qui n’aime pas tuer, ainsi qu’il le dit lui-même, qui rêvait d’être pianiste. Comment peut-il se persuader de la nécessité d’éliminer des milliers de personnes ? Comment peut-il se résoudre à laisser cette soi-disant nécessité prendre le pas sur l’horreur que suscite le spectacle de ces meurtres en masse ? A vrai dire, lui-même semble se poser ces questions : il éprouve un douloureux besoin de « comprendre » pour justifier son action vis-à-vis de lui-même, et cela me paraît encore plus cynique et effrayant, de penser qu’il imagine pouvoir fonder sa « mission » sur des arguments logiques et raisonnés. Et pire encore : bien qu’il ne trouve pas cette justification, finalement, cela ne l’empêche pas d’accomplir tout de même sa tâche… Alors… ne serait-ce, comme il le dit lui-même, qu’une question de circonstances ? Pour lui, l’homme ne serait foncièrement ni bon ni mauvais, et se retrouverait du bon ou du mauvais côté selon ces circonstances, amené à perpétrer des actes qui ne sont pas forcément en adéquation avec ce qu’il est ou ce qu’il ressent :
« Le bien et le mal sont des catégories qui peuvent servir à qualifier l’effet des actions d’un homme sur un autre. Mais elles sont inadaptées, voire inutilisables, pour juger ce qui se passe dans le cœur des hommes ».
Car victimes et bourreaux sont tous des hommes, justement. Et c’est bien cela le plus difficile à admettre : ces assassins n’en restent pas moins des êtres humains, ils n’ont pas besoin d’être des monstres pour se montrer capables de la plus abjecte cruauté. Et tant qu’un homme est capable du pire, cela signifie que chaque homme l’est, y compris, ainsi que le précise Maximilien en nous interpellant, nous-mêmes :
« vous devriez pouvoir vous dire que ce que j’ai fait, vous l’auriez fait : il est permis de conclure comme un fait établi par l’histoire moderne que tout le monde, ou presque, dans un ensemble de circonstances donné, fait ce qu’on lui dit ; et excusez-moi, il y a peu de chances pour que vous soyez l’exception ».
Ce qui est également troublant, c’est de voir la docilité avec laquelle les populations se laissaient mener aux exécutions, se révoltant finalement très peu lorsqu’elles se rendaient compte du sort qui leur était réservé, comme si effectivement les circonstances font que chacun se tient à son rôle : victime ou bourreau.
C’est très difficile d’exprimer la complexité des paradoxes décrits dans ce roman : on a du mal à comprendre cet homme qui pleure, semble devenir fou lorsqu’il est amené à achever les condamnés que la première balle n’a pas tués, qui se révèle de plus en plus perturbé (il rêve de femmes gazées avec leurs enfants ou enceintes, de ces personnes squelettiques, couvertes d’excréments, qu’ils a croisées dans les camps), et qui pourtant continue à vouloir mener à bien la tâche qui lui est confiée… quitte à en avoir des nausées récurrentes, et à sombrer peu à peu dans la folie. Et c’est d’ailleurs aussi une sensation de nausée qui s’empare de nous à la lecture de ces « Bienveillantes », face à tant d’horreurs, et surtout à la facilité avec laquelle les hommes se mettent à les perpétrer. Tout simplement a-t-on sans doute du mal à admettre combien Maximilien Aue est finalement terriblement humain...
Dire qu'il s'agit d'un coup de cœur ne me semble pas adéquat, je le qualifierais plutôt de "coup au cœur"...
Je pense que j'aurais beaucoup de mal à lire ce roman. Il ne m'attire vraiment pas depuis sa sortie... même s'il pose des interrogations fondamentales!
RépondreSupprimerJe peux comprendre : j'ai mis 3 ans à l'ouvrir...
RépondreSupprimerIngannmic
Ce que tu peux être lente ! ;-p
RépondreSupprimerC'est l'une des principales caractéristiques du chat : rien ne pourra jamais l'empêcher de predre son temps!
RépondreSupprimer*de preNdre!!
RépondreSupprimerde "perdre" ?
RépondreSupprimerjoli lapsus :-D
Une lecture qui ne peut laisser indemne.
RépondreSupprimerUn livre qui n'aurait jamais du me plaire sur bien des points (prix littéraires, battage médiatique, complexité et longueur) et pourtant c'est certainement un de mes livres préférés. Il m'arrive très souvent de le reprendre et d'en lire un passage au hasard ! En tout cas, ton billet résume parfaitement la réflexion que je m'étais faite sur ce livre : les hommes sont capables du pire quel qu'ils soient ! et je ne peux qu'être d'accord avec le reste de ton billet ! Bravo, toi au moins tu as eu le courage d'en faire un billet, moi pas, je n'ai pas pu !
RépondreSupprimerC'est vrai que c'est un roman remarquable, même si la lecture en est parfois ardue.
RépondreSupprimerEt si je me souviens bien, j'admets avoir eu quelque peine à rédiger mon billet !