LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"La dure loi du karma" - Mo Yan

Malgré la déception ressentie lors de ma première expérience avec Mo Yan, j'ai décidé de lui donner une deuxième chance, celle-ci étant par ailleurs l'occasion de lancer avec Apo (avec qui j'ai régulièrement l'opportunité d'échanger autour de nos découvertes respectives sur l'Agora des livres) un projet de lecture commune autour du titre "La dure loi du karma".

Apo étant par conséquent mon invité en ces lieux, où j'ai grand plaisir à l'accueillir, je vous laisse dans un premier temps découvrir ses impressions à l'issue de cette lecture :

 Sous forme de roman épique, est contée l’histoire des membres du clan Ximen, parents et descendants du maître du village du même nom situé dans le nord-est de la Chine, entre le 1er janvier 1950 et le 1er janvier 2001. 

L’épopée représente une longue description picturale de l’évolution socio-politique de la République populaire en milieu rural depuis son instauration. Le narrateur principal en est le chef de famille, Ximen Nao, fusillé par la Révolution, qui se réincarnera successivement en âne, bœuf, cochon, chien et singe avant de recouvrer la réincarnation humaine qui clôt le roman. L’un de ses descendants par alliance intervient aussi comme co-narrateur, parfois dialoguant avec lui, ainsi que le personnage qui porte le nom de l’auteur, lequel, s’il apparaît dès son enfance et que son identité d’écrivain se mêle avec auto-ironie aux péripéties des autres personnages, ne devient narrateur que dans la dernière partie du récit où le singe est muet. 

De sa position animale et à travers les avatars de ses réincarnations parfois reconnues, notamment par les personnages aimant le maître et fidèles à sa mémoire, celui-ci peut garder à la fois l’intimité domestique qui le lie à ses gens et un regard discret, humoristiquement critique de leurs vies et des principales étapes historiques que le régime a imposées au village : l’industrialisation forcée, la collectivisation des terres, la course au productivisme des coopératives d’élevage, la Révolution culturelle, la réintroduction de la propriété privée, la tertiarisation capitaliste, la précarisation des classes sociales.

Tout au long de cette lecture interminable et fragmentée, j’ai suivi ma clef de lecture du roman épique, ainsi que l’intuition, corroborée par un certain nombre de notes de la traductrice et par plusieurs indices disséminés dans le texte, que les références étaient nombreuses à certains classiques de la littérature chinoise. Cependant, celle-ci m’étant entièrement inconnue, la piste épique n’a finalement pu me parler que d’après l’epos homérique, et mes carences ont sans doute constitué l’obstacle principal à une jouissance plus complète de l’œuvre. 
En effet, j’ai été confronté à un très fort sens d’étrangeté, aussi bien dans le déroulement narratif que dans le style et en particulier dans les métaphores du roman. En ce qui concerne le premier, j’ai été dérouté par le manque de l’unité que l’on prête habituellement au roman, remplacée par une suite de récits quelque peu disjoints – tout comme dans les poèmes homériques à y bien réfléchir – annoncés en début de chapitre comme dans certains livres anciens, et assez dissemblables, hétérogènes et non exempts de longueurs et de répétitions. En ce qui concerne le style, hormis l’étrangeté d’une langue éloignée que la traductrice a eu bien raison de rendre en dépit de la rudesse que cela entraîne nécessairement, cette même hétérogénéité est sans doute le fruit le plus clair des références littéraires multiples qui ne peuvent être comprises que par le connaisseur. 

Parfois je me suis demandé si l’estime occidentale pour l’auteur nobélisé n’était pas due principalement à la plume du dissident. Cependant, en fin de lecture et me rappelant les récits les plus réjouissants qui déteignent sur ceux qui semblent plus ternes, je penche vers un jugement global plus indulgent vers l’auteur (et la traductrice) qu’envers moi-même.
 



 

Merci, Apo, pour cette belle note de lecture...

En ce qui me concerne, la première réflexion qui m'est venue, avant même d'avoir entamé la lecture de ce roman, c'est que notre projet était bien ambitieux, en vérité, lorsque, me procurant le livre en librairie, j'ai pu constater qu'il comptait près de 1000 pages !

Sans doute le projet de Mo Yan, à la rédaction de cet ouvrage, était-il ambitieux lui aussi. Cet imposant roman couvre en effet six décennies de l'existence d'un village du district de Gaomi, dans le nord de la Chine. Et pour nous servir de guide tout au long de ces quelques soixante années qui aboutirent à faire de la Chine l'une des plus grandes puissances économiques mondiales, Mo Yan a choisi Ximen Nao, un riche propriétaire terrien qui, au lendemain de la proclamation par Mao de la République Populaire, fit les frais de la justice expéditive de ses concitoyens, qui l'occirent sans plus de cérémonie.

Alors... tout est déjà terminé, me direz-vous ?
Eh bien justement, non, tout ne fait commencer !
En effet, après deux ans de purgatoire, Ximen bénéficie de la relative clémence du Roi des Enfers, qui le renvoie dans le monde des vivants, réincarné en âne ! Le lieu de cette résurrection n'est pas anodin, puisqu'il renait au sein même de son ancienne famille, qui a quelque peu évolué... Ses deux concubines occupent la vaste maison dont a été chassée son épouse. Elles se sont respectivement remariées, l'une avec le chef de la milice populaire qui a abattu Ximen, l'autre avec le valet que ce dernier avait, de son vivant, recueilli et élevé comme un fils...

Au fil de réincarnations successives, qui vont tour à tour le transformer en bœuf, en cochon, en chien ou en singe, Ximen est ainsi un témoin privilégié des événements qui troublent le quotidien de son village.
Bénéficiant, en tant qu'animal, d'une sorte d'impunité, il assiste aux mutations qui bouleversent la Chine rurale de la seconde moitié du XXème siècle sous l'impulsion de Mao Zedong, avec tous les dommages collatéraux que cela implique, si tant est que l'on puisse qualifier de collatérale la grande famine, entre autres, qui fit presque trente millions de morts...

En même temps, il est l'observateur des destins individuels des êtres humains qui l'entourent, ces membres de son ex famille qui s'adaptent plus ou moins bien aux mouvements de l'Histoire, et dont le quotidien est rythmé par les contraintes de leur mode de vie agricole. La vie du village, avec ses traditions séculaires auxquelles viennent se greffer les nouvelles "coutumes" liées au régime maoïste, est ainsi comme la scène d'un théâtre sur laquelle s'agitent des personnages représentatifs de la palette variée des comportements et des sentiments humains. Les opportunistes les plus cyniques y côtoient de braves gens simples et généreux, la compassion des uns parvient parfois à faire oublier la cruauté des autres... Celui qui détient le pouvoir peut, du jour au lendemain, devenir un paria, et les amis d'hier sont susceptibles se révéler vos pires ennemis.

Offrir comme narrateur à la majeure partie de son histoire un individu changé en animal était sans doute une idée judicieuse. Elle permet à Mo Yan de doter son héros d'un statut grâce auquel il peut porter sur ses contemporains un regard tour à tour acéré et attendri, et relativiser l'importance qu'ils accordent à leurs piètres existences. C'est aussi l'occasion de dépeindre des situations cocasses, Ximen subissant les aléas de sa condition d'animal en les analysant avec ses émotions d'homme. Seulement... elles ne m'ont pas personnellement portée à rire. Comme dans "Le chantier", j'ai trouvé que l'écriture de Mo Yan avait quelque chose de poussif, une fadeur qui ne s'accorde pas avec la tonalité burlesque dont il veut parer son texte. Et puis, "La dure loi du karma" compte à mon avis trop de digressions inutiles, de descriptions dispensables. Ce roman a la longueur et la prétention d'une fresque épique dont il n'atteint pas la dimension et dont il ne possède pas le souffle.

Une deuxième expérience qui, par conséquent, me convainc de ne pas pousser plus loin la découverte de cet auteur par ailleurs nobellisé, et dont de nombreux lecteurs pensent beaucoup de bien...

A vous de voir...

Commentaires

  1. ah ! j'avais hâte de lire ta critique du livre. Mais c'est dommage que t'aies pas aimé surtout avec cette brick de 1000 pages. Mais bon, au moins tu vas savoir qu'il ne faut plus que tu lises cet auteur. :) Pour ma part je n'ai pas encore lu celui-ci mais c'est certain que je vais le faire.

    À bientôt.

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    1. J'aurais dû me douter qu'il ne me plairait pas, puisque déjà, dans Le chantier, c'est l'écriture qui m'avait déplu...
      Mais bon, comme ça, je tire un trait sur cet auteur sans regret !!

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  2. Merci pour ton hospitalité, chère amie Ingannmic. A une prochaine lecture commune que je nous souhaite plus satisfaisante. Peut-être pourrais-tu en faire la proposition, cette fois ?
    Douce journée,
    apo

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    1. Merci à toi pour cette expérience enrichissante.
      En ce qui concerne une autre lecture commune, existe-t-il une liste accessible des titres que tu as l'intention de lire ?
      Sinon, tu peux bien sûr me faire toi aussi une proposition en fonction de ce que tu trouveras dans ma PAL.

      A bientôt...

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  3. Mais voyons ! c'est ma "liste des souhaits" sur l'Agora, bien entendu... Elle compte exactement 300 titres en ce moment : en excluant ceux qui viennent de toi (!) tu trouveras bien quelque chose à ton goût là-bas, non ?
    Sinon, pas question ! Les règles de l'hospitalité dictent une précise réciprocité. Honni soit qui mal y pense !

    Bon weekend,
    apo

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  4. Bonsoir Apo,

    Après avoir parcouru ta belle liste de souhaits, je te propose une lettre commune du titre de Jean-Philippe Toussaint, La télévision.

    Que penses-tu d'une publication aux alentours de la fin juin ?

    Bonne soirée.

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  5. "une longue description picturale de l’évolution socio-politique de la République populaire en milieu rural depuis son instauration" voilà qui ne me tente pas, surtout si c'est interminable. Et ce sentiment d'étrangeté dont parle Apo, nul doute que je le partagerais car la Chine, ça n'est quand même pas mon univers...

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    1. Et ce n'est pas moi qui tenterai de te convaincre, comme tu l'auras deviné...

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