"Affliction" - Russell Banks
Chronique d'une chute annoncée.
Wade est un homme en colère. Et s'il est en colère, c'est avant tout parce que c'est un homme malheureux, qui a le sentiment que son existence lui échappe. On pourrait même dire qu'il a le sentiment que l'existence en général lui échappe. Il se sent décalé, imagine que les autres connaissent un secret auquel il n'a pas accès, celui du bonheur, de la joie ; celui, tout simplement, de la vie.
Divorcé de Lillian, qu'il a pourtant épousée à deux reprises, il a du mal à gérer ses relations avec Jill, leur fille de dix ans. Ses tentatives pour instaurer entre eux une complicité sont souvent maladroites, et mettent la fillette mal à l'aise.
Empêché par une faiblesse auditive de passer le concours de la police, il doit se contenter d'un poste d'agent de mairie, qu'il cumule avec son emploi de puisatier pour l'entreprise de Gordon LaRivière, personnage important de la petite ville de Lawford, dont il est conseiller municipal.
Déprimé par la médiocrité de sa vie, Wade est en souffrance perpétuelle. Incapable de se forger une carapace solide et durable face aux coups du sort, c'est un être à vif, dont les accès de violence de plus en plus fréquents et l'abus d'alcool laissent présager une descente aux enfers toute proche.
Et c'est en effet bien de cela qu'il s'agit : "Affliction" est le récit de la chute inéluctable de son héros, précipité par ses propres démons dans les affres d'une forme de démence. La progression de cette chute et les mécanismes qui l'engendrent nous sont minutieusement rapportés par Rolfe, le frère cadet de Wade.
Professeur à Boston, Rolfe a fui dès que possible l'immobilisme grisâtre de Lawford et un foyer miné par la férule d'un père alcoolique et violent.
En s'appuyant sur les témoignages de ceux qui ont côtoyé Wade les quelques semaines avant sa disparition -que nous apprenons d'emblée-, il reconstitue les événements qui l'ont précédée. Fort d'une intuition fraternelle née d'une enfance traumatisante commune, qui le convainc d'être le mieux placé pour évaluer l'état d'esprit de Wade durant cette période, il va même plus loin, en décrivant comment son aîné s'est laissé envahir par une idée fixe, et a perdu tout contrôle de soi.
L'ambiance du récit est à l'unisson de la désespérance du héros. Lawford est une bourgade qui n'offre aucune perspective d'avenir, dont les jeunes, à l'image de Rolfe, ne pensent qu'à partir. L'hiver y est long, extrêmement rude, et semble tout recouvrir d'une chape de plomb qui emprisonne les habitants dans un quotidien morne et obscur. Il ne s'y passe jamais rien, hormis l'immuable retour, chaque année, de la chasse aux cerfs, qui peuple la petite ville d'individus balourds et vantards, et de 4X4 aux dimensions ostentatoires.
C'est d'ailleurs un accident de chasse qui constitue le prétexte dont l'âme blessée de Wade s'empare pour le faire basculer peu à peu dans un état de folie ravageuse.
Russell Banks nous offre avec ce roman un texte fort et poignant, la chronique désespérée d'un homme passé à côté du rêve américain, broyé par la malchance, et qui n'a jamais réellement surmonté les traces qu'un mauvais départ dans l'existence a imprimées en lui.
Divorcé de Lillian, qu'il a pourtant épousée à deux reprises, il a du mal à gérer ses relations avec Jill, leur fille de dix ans. Ses tentatives pour instaurer entre eux une complicité sont souvent maladroites, et mettent la fillette mal à l'aise.
Empêché par une faiblesse auditive de passer le concours de la police, il doit se contenter d'un poste d'agent de mairie, qu'il cumule avec son emploi de puisatier pour l'entreprise de Gordon LaRivière, personnage important de la petite ville de Lawford, dont il est conseiller municipal.
Déprimé par la médiocrité de sa vie, Wade est en souffrance perpétuelle. Incapable de se forger une carapace solide et durable face aux coups du sort, c'est un être à vif, dont les accès de violence de plus en plus fréquents et l'abus d'alcool laissent présager une descente aux enfers toute proche.
Et c'est en effet bien de cela qu'il s'agit : "Affliction" est le récit de la chute inéluctable de son héros, précipité par ses propres démons dans les affres d'une forme de démence. La progression de cette chute et les mécanismes qui l'engendrent nous sont minutieusement rapportés par Rolfe, le frère cadet de Wade.
Professeur à Boston, Rolfe a fui dès que possible l'immobilisme grisâtre de Lawford et un foyer miné par la férule d'un père alcoolique et violent.
En s'appuyant sur les témoignages de ceux qui ont côtoyé Wade les quelques semaines avant sa disparition -que nous apprenons d'emblée-, il reconstitue les événements qui l'ont précédée. Fort d'une intuition fraternelle née d'une enfance traumatisante commune, qui le convainc d'être le mieux placé pour évaluer l'état d'esprit de Wade durant cette période, il va même plus loin, en décrivant comment son aîné s'est laissé envahir par une idée fixe, et a perdu tout contrôle de soi.
L'ambiance du récit est à l'unisson de la désespérance du héros. Lawford est une bourgade qui n'offre aucune perspective d'avenir, dont les jeunes, à l'image de Rolfe, ne pensent qu'à partir. L'hiver y est long, extrêmement rude, et semble tout recouvrir d'une chape de plomb qui emprisonne les habitants dans un quotidien morne et obscur. Il ne s'y passe jamais rien, hormis l'immuable retour, chaque année, de la chasse aux cerfs, qui peuple la petite ville d'individus balourds et vantards, et de 4X4 aux dimensions ostentatoires.
C'est d'ailleurs un accident de chasse qui constitue le prétexte dont l'âme blessée de Wade s'empare pour le faire basculer peu à peu dans un état de folie ravageuse.
Russell Banks nous offre avec ce roman un texte fort et poignant, la chronique désespérée d'un homme passé à côté du rêve américain, broyé par la malchance, et qui n'a jamais réellement surmonté les traces qu'un mauvais départ dans l'existence a imprimées en lui.
J'ai eu le plaisir de faire cette lecture en commun avec Athalie : son avis est ICI.
>> D'autres titres pour découvrir Russell Banks :
Je ne connais que le film avec Nick Nolte, fatigué, très crédible en sa désespérance. De Banks je n'ai lu que De beaux lendemains, sauf erreur.
RépondreSupprimerJe me suis rendue compte pendant ma lecture que j'avais vu le film aussi. Il me semble que j'avais aimé, mais j'ai du le voir il y a longtemps car je ne m'en souviens pas vraiment.
SupprimerJ'ai l'intention de lire De beaux lendemains (dont, en revanche, je me souviens fort bien du film !), mais pas seulement, car jusqu'à présent, Banks ne m'a jamais déçue.
Comme souvent, tu es plus précise que moi sur l'histoire, que tu résumes parfaitement ! Ce personnage de Wade est rudement bien campé, en tout cas, passé à côté du rêve américain, comme tu le dis, et ne pouvant le comprendre, complétement enfermé, il m'a pourtant touché. Les premières pages sont happantes, et les lenteurs du dévoilement font que l'on a l'impression d'avoir comme Wade, des kilos de neige à soulever.... Un maitre, ce Russell Banks. Il m'en reste encore pas mal à lire, heureusement. Et le film à voir, dans quelques temps, quand j'aurais un peu oublié le visage que j'ai collé à Wade dans ma tête.
RépondreSupprimer"Comme souvent, tu es plus précise que moi sur l'histoire, que tu résumes parfaitement"... et toi beaucoup plus éloquente quant au ressenti à sa lecture, et c'est parfait comme cela, nos deux billets sont, je trouve, parfaitement complémentaires !
SupprimerJ'ai moi aussi trouvé Wade très touchant, malgré sa violence et son manque de discernement. Son impuissance et son incompréhension du monde, mais aussi de soi-même, suscitent une certaine compassion.
Comme je l'a répondu à Eeguab, j'ai vu le film, mais je ne m'en souvenais pas avant ma lecture (mais du coup, c'est bien le visage de Nick Nolte que j'ai quant à moi collé à Wade !).
Tu savais que l'histroire de Wade était inspirée de celle du père de Russel Banks ? C'est un commentaire d'une lectrice bien informée qui vient de me l'apprendre ... Je ne sais pas pourquoi, j'ai l'impression de mieux saisir du coup pourquoi les erreurs de Wade sont à la fois si irritantes et si pardonnables (même si l'aspect autobiographique ou pas d'un livre, n'en fait pas, évidemment, la richesse littéraire !). Merci du compliment pour le ressenti que je tente souvent d'exprimer à mon humble clavier qui gémit sous la frappe, je pense comme toi que les deux notes se complètent bien ... J'ai les chevilles qui enflent ...
RépondreSupprimerJe comprends mieux en effet l'empathie que semble éprouver Banks pour son personnage, et qui du coup est communicative...
SupprimerCe bouquin est un véritable chef d’œuvre, et De beaux lendemains est du même niveau.
RépondreSupprimerVoilà une chouette nouvelle, je viens de me procurer De beaux lendemains à l'occasion du déstockage annuel de la médiathèque de mon quartier !!
SupprimerJe dois le lire, celui-là aussi. Il me fait penser, dans ce que tu en dis, à certains aspects de "Continents à la dérive" que j'ai beaucoup aimé...
RépondreSupprimerJ'en ai lu d'autres depuis, mais je garde un souvenir particulièrement ému de celui-là.. Continents à la dérive étant dans ma PAL, cela augure un excellent futur moment !
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