"Génitrix" - François Mauriac
Maître ès noir ...
Avant eux, il y a eu Mauriac.
Mauriac et ses ambiances lourdes, ces huis-clos étouffants dignes d'un "Misery".
Ses intrigues implantées dans ce milieu fermé et rustre de la bourgeoisie provinciale...
L'acuité de son regard qui dissèque sans complaisance ni pitié les petitesses et les failles de ses personnages...
Mathilde Cazenave est alitée suite à une fausse couche qui l'a laissée très affaiblie. Elle perçoit à travers les brumes fiévreuses dans lesquelles la plonge son état, les chuchotements des conversations qu'entretiennent son époux Fernand et sa belle-mère Félicité, ainsi que les inquiétants froissements que fait entendre la robe de cette dernière lorsqu'elle épie, derrière la porte, les gémissements de sa bru. Se doutait-elle, Mathilde, qu'en intégrant le foyer des Cazenave, elle représenterait aux yeux de Félicité l'ennemie qui allait lui prendre son fils chéri ? Imaginait-elle le sourd combat qui allait s'engager pour regagner l'exclusivité de l'amour de Fernand ?
Il faut dire qu'entre ces deux-là, c'est une longue histoire : depuis le décès du père Cazenave, survenu bien des années auparavant, mère et fils ont vécu, inséparables, dans cette grande demeure, avec pour seule présence celle de la vieille servante Marie de Lados. Ils ont entretenu une relation malsaine, entre possessivité et aigreur, rudes manifestations de tendresses et culpabilisation mutuelle. Félicité a fait en sorte de devenir le centre de l'existence de cet enfant capricieux et surprotégé, devenu un adulte souffreteux, qui, lorsqu'il épouse Mathilde, à cinquante ans, n'a jamais connu ni l'embrasement du corps, ni celui du cœur.
Et ce n'est pas sa jeune compagne qui va lui permettre d'accéder à cette connaissance. L'union aura été de courte durée, sapée par l'omniprésence de la mère toute puissante, et définitivement enterrée -c'est le cas de le dire- avec la mort de Mathilde (rassurez-vous, ce n'est pas un spoiler, l’événement survient dès les premières pages).
C'est paradoxalement à partir de ce moment que la rivale de Félicité devient réellement menaçante.
Le décès de son épouse plonge Fernand dans un état dépressif qui atterre sa mère. Il réalise qu'il a sans doute perdu sa seule chance de connaître l'amour, se détourne de sa génitrice, impuissante à lutter contre une morte.
C'est avec une plume acérée, impitoyable, que François Mauriac dépeint la relation mère-fils qui se délite. Tout comme il se montre particulièrement acerbe avec le milieu dans lequel évoluent ses héros, univers à la fois rural et bourgeois où l'on aime la terre davantage que les hommes, d'individus avares, rustres et mesquins. Univers gris, d'où sont bannis toute émotion, toute fantaisie, tout plaisir, où bâtir une famille n'a pour seul but que de perpétuer la possession terrienne. Un fils suffit...
On en viendrait presque à la comprendre, cette Félicité, qui s'est accrochée à son Fernand pour avoir un être à aimer, et surtout qui l'aimerait. Mais elle aime à l'image de ce monde auquel elle appartient, sans grandeur ni générosité.
"Génitrix" est un roman noir, oppressant, angoissant, dont les protagonistes sont prisonniers d'une sorte d'interdiction tacite de connaître, sans même parler de bonheur, ne serait-ce qu'un peu de joie.
Très fort, Monsieur Mauriac !
C'est grâce à Athalie -merci, merci, merci !- et sa proposition de lecture commune que j'ai ressorti ce titre -lu une première fois lors de mes années lycée- de mes étagères...
>> Son avis est ICI.
Complémentent d'accord avec tout ce que tu écris, surtout tes deux premières phrases ... Chabrol et Mauriac, voilà qui aurait été un couple d'enfer ! En tout cas, je sais pas laquelle des deux doit remercier l'autre, tant nous avons l'air contentes d'avoir ressorti ce titre de nos étagères de lycéennes ! ça donne envie de continuer, non ? D'ailleurs, cet après-midi, je vais encore penser à toi ... Je suis en plein dans "Les oiseaux" de Daphnée (j'en dirais presque "youpi, il ne fait pas beau ..."
RépondreSupprimerQu'est-ce que j'avais aimé ce recueil de Du Maurier...
SupprimerPour Mauriac, et bien, on peut remettre ça quand tu veux. On pourrait même fixer une sorte de rendez-vous mensuel autour de son oeuvre ?
Bonne idée en effet de revenir à Mauriac, plus très lu actuellement mais dont les tourments "familiaux" et bourgeois n'ont rien perdu de leur acuité.
RépondreSupprimerEt c'est auteur dont la lecture procure toujours autant de plaisir -même s'il s'agit, je l'admets, d'un plaisir un peu masochiste !
SupprimerMa lecture de Mauriac remonte à très longtemps, un peu comme tout le monde. M'étonnerait pas qu'il me plaise aujourd'hui encore...
RépondreSupprimerM'étonnerait pas non plus...
SupprimerN'hésite pas à nous faire signe, à Athalie ou moi, si d'autres LC autour de cet auteur te tentent...
Wow, effectivement ça à l'air fort ! Bien, bien, bien... Génitrix, ok. It's booked.
RépondreSupprimerOui, c'est très bien, très noir, oppressant, provocateur d'une sorte de nausée... oui, très bien..
SupprimerJe ne serais pas contraire non plus de ressortir un Mauriac, ton billet donne vraiment envie. Prévenez-moi s'il y a une lecture commune !
RépondreSupprimerTrès bonne idée ... On dirait le 31 de chaque mois ? Pour rester sur la même date ? "Le mystère Frontenac" pour le prochain ? ou "La pharisienne" ? Les deux me disent. "le sagouin" aussi ... Si Sandrine et Sunalee veulent se joindre à nous, ce serait avec plaisir ! On pourrait peut-être faire une sorte de "côterie" (j'ai du mal avec le mot "challenge" ...mais "côterie" fait snobinard ...) sur nos deux blogs qui sont fréquentés à peu près par les mêmes personnes ? Tu me dis.
RépondreSupprimerCela nous fait un autre point commun ! ... je suis allergique aux termes anglo commerciaux de type challenge, manager, booster...
SupprimerPar contre, coterie, j'aime assez, moi, cela pourrait être une allusion aux origines bourgeoises de Mauriac, et pour casser le côté snobinard, on pourrait l'associer à un terme un peu inattendu (du genre "coterie des sagouins/ines ou coterie des vipères...?).
Ah, j'avais oublié... je serais bien partante pour La pharisienne, je ne l'ai jamais lu, je crois (en tous cas, je ne m'en souviens pas.).
SupprimerJ'aime bien "côterie des des sagouins/ines" ... On peut lancer une prochaine lecture de "La pharisienne" pour le 31 juin et voir qui nous suit ? Pour une fois, j'ai le temps de m'amuser un peu à bloguer ce week-end, on fait une petite note ? Mais sans inscription type "challenge", juste une invitation ? ça te va ?
RépondreSupprimerEuh, le mois de juin ne compte que 30 jours, me semble-t-il. Mais peu importe, on peut dire le 30.
SupprimerSi Miss Sunalee est partante, nous décalerons notre LC de Sarah Waters (Miss, si tu me lis ?...).
Je n'ai malheureusement pas vraiment de temps ce week-end pour bloguer, et je suis en déplacement la semaine prochaine (sans mon PC). Si tu veux te charger de la note, cela me va ! Je t'ai envoyé par mail hier soir une proposition de logo.
Je te lis, mais j'ai d'abord lu le billet le plus récent - donc oui, pas de souci pour changer la date, mais pas un lundi !
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