"La pharisienne" - François Mauriac
Maîtresse femme...
On ne peut s'empêcher de se poser la question, lorsque, en s'aventurant dans l’œuvre de l'écrivain, on découvre certaines constantes quant aux caractéristiques de ses personnages féminins. Et "La pharisienne" n'échappe pas à ce constat... Comme dans de nombreux autres romans de l'auteur, on y retrouve le poids d'une figure féminine charismatique, imposante, dont la stature occulte un époux insignifiant, au physique malingre.
L'héroïne qui a donné son titre à ce roman ne semble pourtant pas en être d'emblée la figure centrale.
Le narrateur, Louis, avec plusieurs années de recul, revient sur une période de son adolescence. Alors collégien à Bordeaux, il fit la connaissance de Jean Mirbel, orphelin de père dont l'oncle violent et sévère avait pris l'éducation en main. Lui-même avait perdu sa mère, et son père s'était remarié à une cousine de la défunte, Brigitte Pian, femme reconnue dans la société pour sa charité et son implication dans les bonnes œuvres. C'est grâce à cette dernière qu'il pouvait chaque soir réintégrer le foyer familial : sa belle-mère, que la vie à la campagne -et plus particulièrement au domaine de Larzujon-, insupportait, avait prétexté la fragilité émotionnelle du garçon pour persuader son époux de la nécessité de vivre en ville, lui évitant ainsi l'internat.
Son ami Jean, réputé pour être une forte tête, fut consigné pendant les vacances d'été chez le curé d'un village proche de Larzujon. Il eut ainsi l'occasion de passer de longs moments avec Louis et sa sœur, dont le charme ne le laissait pas insensible. Quant à Louis, il fit alors l'apprentissage de la jalousie et de la rancune, suscités par son évincement du duo formé par les deux adolescents.
Aux souvenirs des événements directement liés à cette relation à trois, se mêlent ceux de certains épisodes mettant plus précisément en scène Brigitte Pian. "La pharisienne" est ainsi comme une mosaïque composée de ces souvenirs, dans laquelle, au fil du récit, la belle-mère de Louis -presque à l'insu de ce dernier, dirait-on- prend une place grandissante, sa personnalité se révélant de plus en plus complexe.
Brigitte Pian était convaincue d'être investie d'une mission divine, qui consistait à remettre les âmes égarées dans le droit chemin, en leur imposant le carcan de sa morale rigide, puritaine et culpabilisante. D'abord persuadée de n'agir qu'en tant que porte parole de Dieu, confortée en cela par une conscience commodément acquise à son idée de l'éthique, elle en vint peu à peu, suite à certaines situations dramatiques provoquées en partie par son intervention, à remettre en cause le bien fondé de ses actions, et à s'interroger sur la nature profonde de ses motivations.
Par l'intermédiaire de ce redoutable personnage, qui puise puissance et assurance dans sa certitude de savoir distinguer le bien du mal, l'auteur s'interroge sur les limites de la pratique religieuse, lorsqu'elle est dénuée de discernement et d'humilité. François Mauriac est connu pour avoir lui-même été un catholique fervent. Les doutes qui s'emparent de la pharisienne quant à la justesse de son interprétation de la volonté divine reflétaient-ils ses propres questionnements ?
Toujours est-il que j'ai été cette fois encore impressionnée par la capacité de l'auteur à doter ses personnages d'une consistance telle qu'ils prennent littéralement vie. L'écriture, toujours aussi plaisante, car d'une limpidité qui n'exclut pas la richesse, est ici au service d'une intrigue à la construction complexe mais parfaitement maîtrisée.
Pour rappel, cette lecture a été réalisée en partenariat avec ma complice Athalie, dans le cadre de l'activité (Re)lire Mauriac, par La Coterie des Sagouins/ines.
>>> Plus de détails ICI, en attendant que nous déterminions l’œuvre du mois de juillet.
En mai, c'est "Génitrix" qui avait été à l'honneur...
Cette pharisienne m'a laissée un peu sur ma faim ... Même si le détricotage des sentiments de ses personnages par l'auteur est toujours aussi impressionnante, je te rejoins. Mais, il m'a semblé céder à quelques facilités "romanesques", comme pour compenser un sujet religieux austère et peu plaisant, à priori. N'empêche que cette (re)lecture fut un plaisir. Mon exemplaire, le même que le tien, à priori, est daté de février 1990 ! (Il fut un temps où je mettais mes dates de lecture sur les livres, une sorte de pré blog, en quelque sorte.) On continue avec quel titre ? J'ai en stock la fameuse "Thérèse", "le baiser au lépreux", "le sagouin", "le noeud de vipères", "le mystère Frontenac" et "le désert de l'amour". On peut en choisir un autre, évidemment.
RépondreSupprimerAh, il faut que j'aille lire ton avis, cette histoire de facilités "romanesques" ne m'a pas effleurée, à vrai dire. Ce que j'ai aimé, c'est sa façon d'aborder son sujet en tournant autour, comme si le narrateur ne se rendait pas compte que son histoire le menait à Brigitte Pian et à l'importance qu'elle revêtait inconsciemment dans son existence.
SupprimerPour la suite, comme tu veux... J'ai moi aussi Le mystère Frontenac, Le sagouin et Le baiser au lépreux dans ma biblio, ainsi que Les anges noirs...
Pourquoi pas Le mystère Frontenac ?
J'oubliais... la photo choisie n'illustre pas mon édition, qui date de ... 1941 ! Il s'agit d'un vieux poche déniché en bouquinerie, dont je n'ai pas retrouvé d'image de la couverture sur internet.
SupprimerTon commentaire m'a fait me pencher sur la question .... Qu'est-ce qui m' a gêné dans "La pharisienne" ? Ne pas y trouver le Mauriac que j'attendais, finalement ... Donc je suis allée farfouiller dans ce qui me reste de bouquins datant de mes études littéraires, les trucs qui prennent la poussière en haut de mes étagères, et sans surprise, aucune analyse universitaire sur cet écrivain ( du moins pas dans mes références ...) Intriguée, c'est quand même un grand écrivain français, je me dis pourquoi cet "oubli", un mystère Mauriac ? ou un auteur trop lissé, vu comme un "écrivain catholique" ? étiqueté comme tel et basta ? Au fil de mes recherches (sur internet, cette fois-ci), je vois que "la pharisienne" est une oeuvre écrite à la suite d'un article de Sartre, très critique quant à l'écriture monolithique du Mauriac, qui du coup, change de style et tente le récit que je qualifie de "romanesque" et toi, de "complexe". Ouf ! On a toutes les deux senti l'écart par rapport à la norme.
RépondreSupprimerBref, me voilà passionnée par un bonhomme que je voyais comme un pépère tranquille (prix Nobel à la boutonnière) et qui s'avère bien plus passionnant que je ne le pensais ...
Je te mets un lien sur un article consacrée à sa biographie :
http://www.lefigaro.fr/livres/2009/03/05/03005-20090305ARTFIG00444-francois-mauriac-la-grace-et-la-passion-.php
Le mystère Mauriac ?
Oui, c'est un auteur bien plus mystérieux qui n'y parait. Un ami à qui j'ai prêté Génitrix récemment évoquait son homosexualité !! J'ai donc fait moi aussi quelques recherches sur internet, et suis tombée sur des articles à propos d'une biographie écrite par un historien, qui aurait levé le voile sur cette homosexualité, également soulignée par un de ses fils.
SupprimerEn fait, son orientation sexuelle n'a en soi guère d'importance, mais permettrait peut-être d'éclairer certains aspects de son oeuvre...
J'ai survolé tout ça un peu rapidement, mais cela m'a donné l'impression que la façade d'académicien catholique et gaulliste dissimulait un personnage ambivalent... et sans doute bien plus passionnant qu'il n'y paraissait de prime abord.