LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"La carte et le territoire" - Michel Houellebecq

Lard -l'art- ou cochon ?

J'ai éprouvé à l'issue de la découverte de "La carte et le territoire" une sensation indéfinissable, liée à l'incapacité de déterminer si j'ai aimé ou non ce roman, qui a par ailleurs suscité en moi des impressions parfois contradictoires. J'avais par exemple le sentiment qu'il en émanait une sorte d'inertie, mais je ne me suis pourtant jamais ennuyée à sa lecture. Au contraire, ma curiosité, rapidement éveillée, s'est maintenue tout au long de l'intrigue, principalement, il est vrai, alimentée par la question suivante : "où Michel Houellebecq veut-il en venir ?"

La personnalité du héros, curieux mélange d'insignifiance et d'originalité, contribue pour beaucoup à cette ambivalence. L'existence même de Jed Martin allie événements extraordinaires et banalité démoralisante. Cet artiste parisien issu d'un milieu bourgeois connait un succès fulgurant et accède à la fortune en photographiant des cartes routières, puis en peignant le portrait d'individus au cœur de leur activité professionnelle. Il vit une idylle, certes assez brève, avec une russe sublime et intelligente qui fait tourner la tête de tout ce que le gratin compte de masculin, mais qui aime sincèrement ce petit français apparemment sans éclat... à côté de ça, Jed n'a pas d'amis, et sa famille se réduit au père avec lequel ses relations culminent lors du morne tête-à-tête annuel que s'offrent les deux hommes à l'occasion du repas de Noël. Solitaire, discret, laconique, il fait généralement preuve en toute situation d'une passivité distanciée qu'interrompent des inspirations artistiques qui le projettent dans des périodes de travail acharné mais sereinement organisé, ou la brève -et rare- survenance d'un regret provoqué par son incapacité à saisir les occasions de la vie.

Sa rencontre avec l'écrivain Michel Houellebecq, chargé de rédiger le catalogue de l'une de ses expositions, bien que constituée d'entrevues épisodiques et succinctes, semble le marquer, comme s'il reconnaissait en cet homme un alter ego. L'auteur, décrit avec beaucoup d'autodérision comme un misanthrope alcoolique aux étranges lubies, présente en effet assez de similitudes avec son héros pour donner régulièrement au lecteur le sentiment qu'ils ne forment tous deux qu'une seule et même personne.

Il m'a semblé que Michel Houellebecq voulait traiter avec ce roman de la modernité de notre société, et que pour ce faire, il adoptait une posture "naturaliste", développant par l'intermédiaire de son personnage sa théorie sur le rapport de l'homme d'aujourd'hui à la nature, au monde tel qu'il est devenu, avec ses progrès techniques et l'évolution de ses mœurs, mais aussi à lui-même. Il insère par exemple dans son récit des descriptions techniques et détaillées d'objets représentatifs de notre monde contemporain, se livre à l'analyse de l'impact du discours médiatique d'un Jean-Pierre Pernaut sur l'évolution de notre vision du monde rural...

Cette posture l'amène par ailleurs à une approche que l'on pourrait par moments qualifier de sociologique, en abordant des thèmes tels que la place de l'individu dans la société en fonction de son rôle dans le processus de production, par exemple.

Le regard porté par Michel Houellebecq/Jed Martin sur notre contemporanéité est a priori dénué de tout jugement... bien qu'il ne montre personnellement aucun intérêt pour la réussite professionnelle et sociale, il porte sur le monde capitaliste qui l'entoure un regard neutre, ouvert. Il considère le matérialisme comme inéluctable, voire comme un moyen d'atteindre à une certaine satisfaction, bien qu'il ne soit pas lui-même soumis aux diktats des apparences et de la frénésie de possession. Jed Martin serait-il le symbole de l'homme libre et réellement indépendant, tel qu'il peut exister aujourd'hui ? A l'image d'un spectateur se réjouissant de ce à quoi il assiste, sans s'y sentir vraiment impliqué, il est capable d'apprécier l'idée de consommation, sans pour autant ressentir le besoin ou l'envie d'y succomber.

Exprimé ainsi, vous pourriez imaginer "La carte et le territoire" comme un texte ronflant... Détrompez-vous !
La lecture est rendue légère et agréable par l'humour que l'on décèle dans le ton employé par l'auteur. On comprend rapidement que la bienveillance dont il abuse parfois envers les personnages est suspecte, et qu'elle n'est pas à prendre au premier degré... Mais c'est fait de manière subtile, l'ironie n'est pas exprimée ouvertement, elle affleure sous les apparences d'une gentillesse consensuelle qui tranche avec la réputation sulfureuse de l'auteur... du coup, on est toujours en train de se demander s'il est vraiment sérieux, ou si tout son roman n'est pas finalement qu'une vaste farce sarcastique.
Et puis, il est finalement plutôt sympathique, ce Jed Martin, à la fois détaché de tout et curieux du monde, tantôt terriblement banal et tantôt si intéressant.

Bon, bah, je crois que j'ai aimé...

Commentaires

  1. Même si finalement, ton avis est positif, j'ai des poils d'irritation qui me poussent dans le cerveau au seul nom de l'auteur ... Mais j'ai aussi une amie qui est fan ... Je pourrais donc bien y mettre le nez un de ces jours, histoire de me confronter à mes contradictions (je viens bien de finir un Chalandon, alors que l'auteur m'agace au plus haut point ...)

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    1. Je suis comme toi, j'éprouve pour cet auteur une sorte de rejet quasi physique. Mais comme toi, un ami -avec qui je partage de nombreuses affinités littéraires- m'a chaudement recommandé ce titre et puis je ne trouvais pas vraiment juste de m'arrêter à l'image physique du bonhomme, et à l'impression gluante que m'ont laissé les rares fois où j'ai eu l'occasion de l'entendre...
      Je ne m'attendais pas à ce que j'ai lu. A vrai dire, je ne sais pas trop à quoi je m'attendais... mais j'ai aimé le ton, à la fois sobre et d'une ironie dont on ne sais jamais si elle est réelle ou extrapolée...

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