"The Girls" - Emma Cline
"Moi, j'avais eu droit à l'histoire étouffée de la spectatrice, une fugitive sans crime, espérant et redoutant à parts égales que personne ne vienne jamais me trouver".
En choisissant de bâtir son intrigue à partir d'un célèbre fait divers qui bouleversa l'amérique de la fin des années 60 -l'assassinat par les membres d'une communauté pseudo hippie de l'actrice Sharon Tate et de quatre de ses amis-, Emma Cline a pris, avec son premier roman, un sacré risque.
Et elle s'en sort plutôt bien... parce que ce qui compte, dans la phrase qui précède, c'est le terme "à partir".
On comprend d'emblée que le fait divers n'est pour l'auteur qu'un prétexte, comme les "Filles" ne sont qu'un faire-valoir au véritable sujet de son histoire : Evie Boyd et, à travers elle, les mécanismes par lesquels une personne vulnérable peut se laisser séduire par l'attrait du mal.
Depuis la séparation de ses parents, Evie vit avec sa mère, qui comble son désœuvrement en s'adonnant à la macrobiotique, la philosophie zen, et en collectionnant des amants plus insupportables les uns que les autres aux yeux de sa fille de quatorze ans. L'adolescente, mal dans sa peau, traîne un ennui et un sentiment d'abandon que ne parvient plus à compenser l'amitié qui la lie à Connie, dont la balourdise et la platitude finissent par la lasser. En quête de reconnaissance et d'amour, persuadée de n'avoir rien à laisser derrière elle, Evie est aussi en attente d'une aventure qui viendrait bouleverser la morosité de son quotidien banal et sans saveur de petite fille raisonnablement riche.
Aussi, lorsqu'elle rencontre Suzanne, véritable symbole de liberté transgressive, la fascination est immédiate. En découvrant le Ranch, où vit la jeune fille au sein d'une communauté placée sous la férule de Russell, gourou à la fois magnétique et pitoyable, elle pense avoir enfin trouvé l'endroit qui lui permettra de sortir de la médiocrité dans laquelle elle se sent enfermée. On lui a ouvert les portes d'un monde qui lui paraît coloré, où tout événement prend une dimension captivante et émancipatrice, où elle se convainc qu'elle a sa place.
C'est avec le recul lucide de sa cinquantaine d'années qu'Evie revient sur cet épisode, consciente qu'il a représenté un tournant, un moment où sa vie fût sur le point de basculer vers l'irrémédiable.
A l'inverse d'un Liberati, qui, avec son roman "California Girls", s'attarde sur les détails sordides du meurtre, Emma Cline n'évoque quasiment que l'avant, la torpeur de cet été 69, les désillusions et les errements qui président parfois à l'adolescence, la séduction trouble exercée par Suzanne sur Evie. Elle se détache de la réalité, pour faire de "The Girls" un roman personnel, initiatique et sensible, sur les influences parfois délétères qui répondent à notre besoin d'être quelqu'un.
J'ai eu le plaisir de faire cette lecture en commun avec Miss Sunalee : son avis est ICI.
Voilà, j'ai publié mon billet !
RépondreSupprimerJe pense qu'on est assez d'accord sur ce roman, j'ai beaucoup aimé en tous cas.
Je m'en vais lire de suite ton article...
SupprimerJ'ai failli l'acheter dernièrement puis l'ai reposé. J'essaierai de l'emprunter à la bibliothèque !
RépondreSupprimerC'est un honnête premier roman, qui dépeint avec talent le désœuvrement de son héroïne. J'espère qu'il te plaira..
SupprimerMême si c'est l'inverse du Libérati, et malgré ton avis positif, je ne vais pas me précipiter non plus ... Je verrai si j'y penserai encore quand il sortira en poche ...
RépondreSupprimerCe n'est en effet pas un indispensable. Je l'ai lu par curiosité, parce que cela m'intéressait, après le Liberati, de voir ce que deux auteurs différents pouvaient écrire à partir d'un même sujet. De ce point de vue, je n'ai pas été déçue. Et puis, pour un premier roman, il est tout de même prometteur : l'ambiance, la psychologie de l'héroïne, sont traités avec justesse.
SupprimerIl m'a fait penser à un roman de Laura Kasischke... Même tempéraments dans la brume, mystère, malaise, un zeste de stupre... C'était divertissant, mais je ne peux pas prétendre avoir été séduite.
RépondreSupprimerJe n'avais pas fait le rapprochement, mais il est assez juste, en effet... j'ai bien aimé, en ce qui me concerne, mais je ne pense pas en garder des traces très longtemps...
SupprimerJ'ai adoré, il fait partie de mes romans marquants de 2016 !
RépondreSupprimerJ'espère que la demoiselle Cline ne s'arrêtera pas là, et nous offrira d'autres titres de cet acabit !
SupprimerMon roman préféré de 2016, un superbe roman d'apprentissage!
RépondreSupprimerJe me souviens de ton avis sur ce roman (et aussi de celui sur le Liberati, à propos duquel nous sommes également d'accord). C'est entre autres ton billet qui m'a incitée à découvrir cette auteure..
SupprimerJe l'ai noté sur ma wish list celui là et plus j'y pense plus le résumé me fait penser à Junk de Melvin Burgess. Ce n'est pas le même sujet mais une même rencontre qui décline vers le bas plutôt que vers le haut.
RépondreSupprimerJe n'ai pas lu Junk, mais il est bien question ici en effet d'influences qui attisent les tendances négatives de l'héroïne. Et l'auteure a une analyse assez juste de cette période incertaine de l'adolescence où l'on est prêt à tout moment à basculer du "mauvais côté"..
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