"Le nom du fils" - Ernest J. Gaines
"J’admets que c’est pas un péché de tomber. Mais c’en est un de rester par terre."
Phillip Martin est depuis quinze ans le pasteur de la petite ville de Saint-Adrienne. Il mène avec sa femme Alma et ses trois enfants une existence que l'on pourrait qualifier de respectable. Son implication dans le mouvement des droits civiques -le récit se déroule au début des années 70- lui vaut par ailleurs l'admiration et la gratitude des membres de la communauté noire, dont il est l'un des représentants.
L'apparition à Sainte-Adrienne du fils qu'il a eu trente ans auparavant avec Johanna, son amour de jeunesse, provoque un inéluctable bouleversement dans la vie du pasteur, et va se révéler lourde de conséquences. Le jeune homme, qui se fait appeler Robert X, intrigue. Peu loquace et d'allure misérable, il passe de longues heures à parcourir la ville, parfois sous une pluie battante. Il parvient toutefois à nouer des contacts lui permettant d'approcher son père, envers lequel il exprime des intentions assassines...
Philip Martin éprouve quant à lui un besoin brutal et irrépressible de renouer avec ce fils dont il réalise avec désespoir qu'il a oublié le prénom, ainsi que ceux des deux autres enfants qu'il a eus avec Johanna, qu'il n'a pas revus depuis leurs jeunes années. L'irruption de son aîné fait remonter les souvenirs d'un passé dissolu qui l'a vu, loin des bancs de toute église, se perdre dans les femmes, le jeu et l'alcool, et il associe à une réconciliation avec son fils la possibilité d'une absolution de ses péchés de jeunesse qui lui permettrait, enfin, d'être en paix avec lui-même.
L'obnubilation qui en résulte l'amène à négliger ses engagements communautaires, à délaisser sa famille actuelle... en quelques jours, les fondations sur lesquelles il a établi son existence d'homme mûr vacillent, même son intégrité psychique semble menacée.
Si la quête de dignité et le combat pour l'égalité des races de la communauté noire dans une Amérique ségrégationniste -l'un de ses sujets de prédilection-, est évoqué, cette brève incursion dans la vie du pasteur Martin est aussi et surtout l'occasion pour Ernest J. Gaines d'aborder des thématiques plus personnelles. La filiation, notamment, et les conséquences de l'absence du père sur le devenir des enfants sont au cœur de ce roman, qui questionne aussi sur la difficulté de l'engagement, et sur les raisons, parfois pas si désintéressées, qui le motivent.
Malgré ces thématiques fort intéressantes, le fait que l'auteur déroule son intrigue sur un laps de temps assez court m'a un peu gênée, comme s'il avait voulu se livrer à une démonstration. Les stades psychologiques par lesquels passe le héros se succèdent de manière à mon avis trop schématique. Si cette concision a l'avantage de rendre la lecture facile, elle a pour moi été le frein à une véritable immersion dans ce roman, auquel j'ai préféré "Dites-leur que je suis un homme", du même auteur, dont l'analyse psychologique du héros m'avait semblé plus poussée.
Et puis, c'est peut-être un point de détail mais il faut que j'en parle car il m'a tout de même turlupinée... : le texte pâtit de maladresses d'expression dont je me suis demandé si elles étaient dues à la traduction, concernant certaines incises suivant les dialogues, où sujet et verbe semblent inversés, avec pour résultat des phrases de ce type : "Comment ça s'est passé à l'église ? Phillip a demandé à Elijah" ou "Y a quelque chose qui va pas ? Elijah s'est inquiété."...
Un avis mitigé, donc, en ce qui me concerne. Je suis curieuse de savoir ce que Jérôme, avec qui j'ai eu le plaisir de faire cette lecture en commun, en a pensé... son avis est ICI.
Commentaires
Mais je ne regrette pas malgré tout, car les thématiques abordées restent intéressantes..
J'espère que "Dites leur que je suis un homme" te plaira..