"D'après une histoire vraie" - Delphine de Vigan
Trompe-l’œil.
Le succès de son dernier roman, dans lequel elle évoquait la maladie mentale de sa mère, et la frénésie qui a suivi, de salons en interviews, de signatures en interventions diverses, ont rendu Delphine, la narratrice, exsangue. Cette brutale exposition a réveillé une vulnérabilité sous-jacente. Le prochain départ de ses enfants, en passe d'obtenir leur baccalauréat, et la réception de lettres anonymes lourdes de menaces et de violence accentuent sa fatigue et son désarroi.
Sa fragilité laisse béer une faille dans laquelle va pouvoir s'engouffrer L. Cette dernière, rencontrée lors d'une soirée parisienne, l'aborde avec aisance, créant une intimité immédiate mais délicate, par l'impression qu'elle donne d'être profondément à l'écoute des autres, et de cerner avec une rare acuité leurs faiblesses, leurs émotions secrètes. Son élégance naturelle, son aisance, intimident et forcent l'admiration de l'écrivain, cruellement consciente de sa propre maladresse et de son manque de coquetterie.
Le lecteur ressent rapidement l'emprise croissante et malsaine que L. exerce sur Delphine, et voit clairement en elle la manipulatrice. Elle l'isole du reste du monde, se rend indispensable, puis tente d'investir son territoire le plus intime, le plus protégé : l'écriture. Et si ce processus de vampirisation est si évident, c'est parce la narratrice, avec le recul des événements, établit connexions et hypothèses, choisissant, volontairement ou non, de s'attarder sur les épisodes qui prennent a posteriori à ses yeux une dimension significative. Elle suscite ainsi chez le lecteur une méfiance qu'elle-même n'éprouvait pas, car l'envoûtement a en réalité été progressif.
Un manque de subtilité de la part de l'auteur ? C'est ce que l'on peut être tenté de croire dans un premier temps, en portant un regard sceptique sur cette victime qui nous paraît facilement abusée par les ficelles grossières dont use sa soi-disant amie.
Mais le roman de Delphine de Vigan se révèle peu à peu bien plus complexe, bien plus ambivalent... S'agit-il d'un roman, d'ailleurs, ou d'un témoignage ? D'une fiction ou d'une autobiographie ?
Et qui est, dans cette histoire, qu'elle soit vraie ou fausse, la manipulatrice ?
Car si l'héroïne ressemble à s'y méprendre à Delphine de Vigan, cette dernière parvient finalement, en rendant possible la remise en cause de la légitimité de son histoire, à entretenir le doute quant à sa véracité. Avec une grande habileté, elle nous mène, il faut bien l'avouer, par le bout du nez...
Et ce faisant, elle adresse à son personnage, L., un clin d’œil facétieux et victorieux, en démontrant à celle qui prétend que l'écriture ne doit naître que de la souffrance et de l'effondrement, que l'écrivain doit se soumettre à la violence qu'il porte en lui pour la livrer à un public que seule la vérité intéresse, qu'il n'est au contraire nul besoin de s'attacher au réel pour conquérir le lectorat.
A moins que ...
*************************************
J'ai eu le plaisir de faire cette lecture en commun avec Chapitre Onze, dont vous trouverez l'avis ICI...
Commentaires
Je vois dans ta PAL deux livres qui sont dans la mienne (ma PAL en ligne n'est pas à jour...) : Soumission (je l'ai trouvé à la poubelle), et L'amie prodigieuse. Donc si tu veux que l'on réitère une lecture commune fais-moi signe :) A bientôt.
Et je suis partante pour ta proposition d'organiser d'autres LC.
On peut fixer dès à présent une date pour Soumission si tu le souhaites. Quant au Ferrante, j'aimerais attendre que le 3e opus sorte en poche, pour lire éventuellement la trilogie d'un seul coup..