"La daronne" - Hannelore Cayre
Mélange des genres.
Il y a eu au départ un léger malentendu. Ayant repéré ce titre suite à de nombreux billets positifs lus en diagonale, je l'imaginais sombre et sérieux, vous immergeant dans une ambiance glauque et anxiogène...
Certains éléments d'un roman noir sont d'ailleurs bien là. Il y a d'abord cette héroïne -la "daronne", donc-, singulière et ma foi assez peu attachante, prénommée Patience par des parents déçus d'avoir une fille après une gestation pourtant interminable (puisqu'elle aura dépassé le terme d'un bon mois), et qui ne lui ont jamais manifesté la moindre affection...
Maintenant âgée de cinquante-trois ans, veuve depuis longtemps suite au décès brutal, après sept ans de mariage, de l'unique homme qu'elle aura aimé, elle vit seule, ses deux filles adultes, qu'elle a élevées dans la crainte hystérique de la déchéance sociale, ayant quitté le foyer.
Patience a hérité de ses parents -une mère juive autrichienne et un père pied-noir de Tunisie- le sens de la débrouille et surtout le goût de l'argent, dont on ne pouvait profiter avec ostentation que lors des vacances passées dans une luxueuse résidence suisse, à écumer les boutiques pour milliardaires, la fortune des Portefeux s'étant bâtie de manière frauduleuse, à coups d'affaires véreuses menées sur le dos des pays sous-développés...
Patience a hérité de ses parents -une mère juive autrichienne et un père pied-noir de Tunisie- le sens de la débrouille et surtout le goût de l'argent, dont on ne pouvait profiter avec ostentation que lors des vacances passées dans une luxueuse résidence suisse, à écumer les boutiques pour milliardaires, la fortune des Portefeux s'étant bâtie de manière frauduleuse, à coups d'affaires véreuses menées sur le dos des pays sous-développés...
"Comme tous ceux de leur espèce, ils n'avaient pas eu beaucoup le choix. Se précipiter sur n'importe quel argent, accepter n'importe quelles conditions de travail ou alors magouiller à outrance en s'appuyant sur une communauté de gens comme eux ... ils n'avaient pas réfléchi longtemps. »Après le décès du père, la fortune familiale a fait long feu, dilapidée par une mère sénile et moribonde placée en établissement spécialisé. Notre héroïne vit, plutôt modestement, de son travail de traductrice-interprète judiciaire (elle maîtrise parfaitement l'arabe) qu'elle ne pratique plus avec la passion du début : l'administration la paie au noir, et elle a compris depuis belle lurette qu'elle est considérée comme un mal nécessaire par une justice qui se fout des prévenus.
Sa vision du monde, caractérisée par un extrême pragmatisme et un cynisme qui s'étend à l'ensemble d'une société qu'elle juge raciste et paranoïaque, gangrenée par la bêtise et la violence, participe grandement à exhausser la tonalité noire du récit. Il faut dire que son métier interdit toute propension à l'angélisme... et que sa propre vie, morne et déprimante, est vide de plaisirs comme de perspectives.
Elle travaille désormais la plupart du temps à domicile, sur la base d'enregistrements qui l'ont familiarisée avec les figures et les méthodes du grand banditisme comme de la petite délinquance. Elle finit par se prendre de sympathie, à distance, pour certains d'entre eux, et par entrevoir l'occasion d'améliorer une existence installée dans la médiocrité depuis trop longtemps.
Mais étrangement... (oui, oui, j'y viens, à ce "malentendu" évoqué en début de chronique) ce sinistre et grisâtre tableau est parsemé d'anecdotes, de digressions dont on feint tout d'abord de ne pas remarquer l'aspect décalé car souvent drôle, et de personnages dont la dimension caricaturale prête à l'agacement... ou à sourire. Et on finit par réaliser, en constatant la persistance de ces "bizarreries", qu'Hannelore Cayre ne s'est pas contentée d'écrire un roman noir, mais qu'elle a volontairement pris le parti fortement risqué de mêler les genres, parvenant ainsi à une curieuse osmose entre humour, action et sordide.
Et cette nature hybride, associée à la personnalité atypique de la narratrice et à sa curieuse conception de la morale, est sans doute ce que j'ai apprécié le plus dans cette lecture finalement fort plaisante !
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