LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"Plateau" - Franck Bouysse

Les remous du silence.

C'est un coin perdu de Corrèze, un hameau -Les cabanes- oublié au bout d'une route non recensée, qui se termine en cul-de-sac. Trois habitations le composent, occupées par des âmes aussi rudes que le paysage alentour.

Virgile et Judith, mariés depuis cinquante ans, subissent les vicissitudes de l'âge de manière inéquitable : lui perd peu à peu son acuité visuelle, pendant qu'elle égare de plus en plus en souvent ses idées, ses souvenirs, sa cohérence... ce qui ne la rend pas plus avenante que lorsqu'elle avait toute sa tête. Elle a toujours été un peu sèche, Judith, affichant son hostilité pour le monde en général et une atterrante froideur pour ses proches. Même avec Georges, le neveu de Virgile qu'ils ont adopté à la mort de ses parents -il avait alors quatre ans-, la relation n'a jamais coulé de source. Chacun, Virgile compris, est demeuré à distance, pour ne avoir trop à donner ni trop à recevoir, pour se préserver de la vulnérabilité que peuvent générer les sentiments.

A maintenant quarante-quatre ans, Georges, installé dans une caravane face à la maison parentale qu'il ne se sent pas le droit d'habiter, cherche depuis toujours des raisons d'aimer ce territoire où il est resté parce que la question des aspirations individuelles, des vocations, ne se pose même pas. Il aurait aimé être instituteur, a lu Faulkner, Shakespeare, Carver, Steinbeck, dont les romans sont amoureusement préservés dans l'ordre maniaque de sa caravane, et subit en silence sa vie de fermier solitaire.

Karl, lui, vient de la ville. A la mort de sa mère, des années auparavant, cet ex mécanicien et ex boxeur est venu se perdre sur le Plateau, fuyant on ne sait quelle ignominie... Il a racheté la maison du vieux Clovis -mort de froid à deux pas de chez lui-, puis s'est plus ou moins fondu dans ce trou, sympathisant avec Virgile autour d'une bouteille et d'un fusil, les deux hommes nouant, malgré leurs différences, une forme de complicité. Judith et Georges, eux, se sont toujours méfiés de ce citadin qu'ils n'apprécient guère.

C'est dans cet environnement de sécheresse laconique qu'arrive Coralie, la nièce de Judith, que cette dernière n'a pas vue depuis quinze ans, mais que de toutes façons elle n'est déjà plus en état de reconnaître... La jeune femme a fui un homme qui la battait, elle ne veut plus que quiconque lui dise qui elle doit être, comment elle doit se comporter, et Judith et Georges sont la seule famille qui lui reste. Son irruption aux Cabanes, avec sa beauté, et le fait qu'elle représente la possibilité d'un ailleurs, réveille des désirs endormis...

Comme dans "Grossir le ciel", Franck Bouysse joue sur les caractéristiques de l'environnement qu'il met en scène pour exhausser l'atmosphère pesante dont il imprègne son roman, pour mettre en évidence le contraste entre l'apparence hermétique de ses personnages et le bouillonnement des angoisses, des obsessions qui les habitent. Il dépeint un univers âpre, peuplé d'hommes taiseux, bourrus, hostiles à toute manifestation de douceur, de compassion. Chaque geste y semble pesé, bien qu'accompli avec l'efficacité minimaliste héritée d'une routine ancestrale, pour ne rien dire des mots, dont l'économie instaure un climat énigmatique et oppressant.

L'auteur évoque cette rudesse avec lyrisme, un lyrisme qui parfois déborde un peu, rompant alors le fragile équilibre que l'auteur instaure entre poésie et noirceur. Malgré ce bémol, la lecture se déroule toute seule, pimentée par la tension grandissante que Franck Bouysse impulse à son récit.

Commentaires

  1. Le lyrisme noir déborde un peu c'est un fait, ça ne gâche pas la tension poétique, mais presque quand même un peu ....

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    1. Exactement ! En tous cas un auteur à suivre ce Bouysse, Glaise est déjà dans ma PAL. Dans la même veine, je viens aussi d'acheter le second roman de Séverine Chevalier. Il me semble que tu avais lu -et aimé-
      Clouer l'ouest, toi aussi ?

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    2. Glaise ? Rien que le titre n'annonce pas un changement radical de registre, je sens qu'on va patauger ! Pour Séverine Chevalier, jamais entendu parler ... Tu conseilles ?

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    3. Effectivement, Glaise semble dans la même veine, mais se déroule dans le passé, contrairement aux précédents titres de l'auteur. Voici le synopsis :

      Au cœur du Cantal, dans la chaleur d'août 1914, les hommes se résignent à partir se battre, là-bas, loin. Joseph, tout juste quinze ans, doit prendre soin de la ferme familiale avec sa mère, sa grand-mère et Léonard, vieux voisin devenu son ami. Dans la propriété d'à côté, Valette, tenu éloigné de la guerre en raison d'une main atrophiée, ressasse ses rancœurs et sa rage. Et voilà qu'il doit recueillir la femme de son frère, Hélène, et sa fille Anna, venues se réfugier à la ferme. L'arrivée des deux femmes va bouleverser l'ordre immuable de la vie dans ces montagnes.

      Quant à Clouer l'ouest, oui je recommande, on est là aussi dans de la ruralité abrupte, dans des non-dits qui macèrent et finissent par gangrener les rapports entre les êtres..



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  2. tension grandissante : non, pas pour moi, je n'aime pas qu'on me force

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    1. Moi j'adore, mais peut-on parler de "forcer" alors qu'au départ, s'il est question de "tension", je suis par principe consentante !!?

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  3. Découvert récemment, je compte bien poursuivre mes lectures avec cet auteur.

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    1. Moi aussi, comme je l'écris ci-dessus, Glaise est déjà sur mes étagères ! Si une LC te tente...

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  4. J'ai préféré Grossir le ciel, j'ai trouvé qu'il y avait une accumulation de malheurs dans celui-ci, j'ai trouvé la mule un peu trop chargée...

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    1. Je suis d'accord, Grossir le ciel est de ce point de vue mieux maîtrisé.

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  5. j'ai "Grossir le ciel" dans ma PAL, par lequel je vais peut-être commencer ...
    Je me laisserais bien tenter car je suis tombée amoureuse de la Corrèze il y a des années notamment Brive la Gaillarde...

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    1. Ah, je ne sais pas si tu y retrouveras ce qui t'a plu en Corrèze (que j'aime beaucoup aussi)... l'auteur montre surtout ici la rudesse et la solitude d'un coin perdu qui assèche les âmes. Et c'est bien de commencer par Grossir le ciel, il est très bon, même s'il ne se déroule pas en Corrèze mais dans les Cévennes !!

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  6. J'ai adoré "Grossir le ciel" mais "Vagabond" avait été une énorme déception. Du coup je ne sais plus sur quel pied danser avec cet auteur.

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    1. Dans ce cas je ne note pas Vagabond.. Plateau est bien, mais un peu moins bon que Grossir le ciel, à mon avis. Et je crois n'avoir lu sur Glaise, son dernier titre, que des avis positifs.

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  7. J'ai moins aimé ce roman que le précédent "Grossir le ciel". La description du monde paysan est toujours aussi réussie mais question style j'ai l'impression que Bouysse s'est lâché et a complètement laissé de côté la sobriété pour tomber dans le grandiloquent. Il faut un dictionnaire pour comprendre tous les mots. Du coup je n'ai pas lu les livres suivants.

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    1. Je te rejoins en effet sur cette "grandiloquence" plus marquée que dans son précédent titre (où on la devinait parfois un peu). Je n'ai lu que des avis positifs sur son dernier titre, qui m'attend sur mes étagères, à voir s'il a su y retrouver plus de simplicité...

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