LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"L'enlèvement des Sabines" - Emilie de Turckheim

"Moi, mon mari ne m'a jamais fait couler un bain. Ceci dit, nous n'avions pas de baignoire".

L'une des Sabines est le principal personnage de ce roman, héroïne de chair et d'os, qui a décidé de démissionner du poste qu'elle occupait depuis plusieurs années pour écrire de la poésie.
L'autre Sabine est une poupée grandeur nature -si l'on considère qu'un mètre cinquante-huit pour quarante kilos avec un tour de poitrine olympien sont des mensurations crédibles...- que ses collègues ont offert à la première en lieu et place du ficus faisant habituellement office de cadeau de départ.

A partir de ce synopsis aux airs de farce burlesque, Emilie de Turckheim nous livre un récit à la fois drôle et féroce, que sa diversité stylistique rend par ailleurs très vivant.

"L'enlèvement des Sabines" est en effet constitué de l'alternance des messages que laisse la mère de l'héroïne sur son répondeur, logorrhées d'une condescendance apitoyée et irritante, des "conversations" bien sûr à sens unique que la Sabine de chair tient avec la Sabine en élastomère, et de brefs et tranchants dialogues entre Sabine et son compagnon Hans, célèbre metteur en scène de théâtre.

On en apprend ainsi davantage sur Sabine, quadragénaire discrète, effacée même, voire invisible parmi une mère despotique, une sœur avocate et perfectionniste à qui tout sourit, et un conjoint tyrannique, perversement fasciné par la violence. Et nous assistons, surtout, à son glissement progressif vers une forme de démence libératrice, dont les prémisses se manifestent avec une poétique et inquiétante fantaisie, notamment sous la forme de mouches envahissant l'espace vital de l'héroïne.

Si elle permet à Sabine d'être avec elle-même sans se sentir seule, la poupée, symbole d'une féminité passive, révèle par ailleurs la perversion, la violence, ou les complexes de ceux auxquels on impose sa présence.

A sa façon légère, truffant son texte de références littéraires, lui instillant une cruauté désopilante, Emilie de Turckheim aborde, d'un point vue individuel comme sociétal, la difficulté pour son héroïne à se réaliser en tant que femme et, au-delà, en tant qu'individu. Devant à la fois dépasser un contexte familial humiliant, et s'opposer aux diktats d'un monde où la productivité et la recherche d'une perfection standardisée sont érigées en références ultimes, Sabine, en cherchant sa propre voie, s'égare... et explose. Parce que moins qu'à quiconque, on pardonne à une femme de sortir des chemins tracés à son intention.

"L'enlèvement des Sabines" est ainsi le récit du douloureux parcours qui mène à l'émancipation, en même temps qu'un texte fort réjouissant !

Une idée piochée chez Krol.

Commentaires

  1. Je garde un vibrant souvenir de "Popcorn Melody". Tu me donnes carrément envie de remettre ça avec celui-ci!

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    1. C'est l'occasion de passer un très bon moment, c'est un roman intelligent et drôle !

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  2. Oh comme je suis contente que tu l'aies lu !!! On l'a peu vu sur les blogs.

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    1. Moi aussi je suis contente de l'avoir lu, et je te remercie du conseil ! Je l'ai prêté à ma fille, qui a apprécié aussi.

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  3. Tu as l'air d'avoir beaucoup aimé mais je ne suis pas certain que ce soit pour moi.

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    1. Pourquoi ? Il est vraiment plaisant à lire, et en même temps original. Et puis il est drôle, et court, en plus...

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  4. Incroyables motifs. Quelle puissance de l'écriture !

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    1. C'est vrai que l'on décèle ici une empreinte bien particulière, je relirai sans doute cette auteure..

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