"Le procès du cochon" - Oscar Coop-Phane
"Il faut se salir les mains pour jouir un grand coup".
Inspiré de sa passion pour les questions judiciaires, ce court récit d'Oscar Coop-Phane, entre fable grinçante et tragique anecdote, remonte à une époque où l'on jugeait les animaux à l'instar des hommes. La quatrième de couverture évoque un "temps reculé". Pour autant, je n'ai pas vraiment eu le sentiment de découvrir ici des mœurs anachroniques...
Les faits sont simples : un cochon sauvage, en mordant l'épaule et la joue d'un bébé laissé quelques instants sans surveillance, provoque sa mort par hémorragie. Arrêté presque aussitôt, le groin encore sanguinolent, le coupable est placé en détention en attente de son procès.
Ce qui frappe en premier lieu, c'est l'amalgame naturellement posé par les protagonistes entre l'homme et l'animal, et auquel l'auteur se prête lui-même, comme pour créer un sentiment de confusion chez le lecteur.
"On écarta les civils et on mit le criminel en marche, comme on fait marcher les bêtes"
On s'étonne de ce que le criminel ne parle pas, de constater un tel calme et une telle distance chez un suspect. De même, son absence d'agressivité et de révolte déroute. Le traitement qui lui est infligé, les attitudes qui sont opposées aux siennes sont celles que l'on réserverait, dans la même situation, à un individu : les gardiens de la prison tentent par exemple en vain de lui inculquer des notions d'hygiène (il est si sale que sa cellule a été baptisée porcherie, et lui-même désigné comme le cochon -!-)...
Parallèlement, l'enquête est menée : les preuves sont accablantes. Un avocat est commis d'office, ennuyé d'avoir hérité de l'affaire mais néanmoins consciencieux. La famille de la victime s'efforce de maintenir une routine plombée par le deuil. Les villageois attendent le procès avec impatience, s’inquiétant de ce qu'il y aura assez de places pour pouvoir assister au spectacle.
Le déroulement de l'audience est retranscrit sous forme de pièce de théâtre, comme pour souligner sa dimension absurde. Sauf le cochon, chacun joue le rôle qui lui est dévolu dans cette mascarade de justice dont l'issue est sans surprise.
"Le procès du cochon" pointe les excès de notre tendance à l'anthropomorphisme et de notre irrépressible besoin d'une quête de sens, même si elle est vaine, à toute souffrance, à tout malheur que l'on subit. Le verdict rendu est ainsi davantage motivé par l'émotion que suscite la victime et les sentiments que provoque le coupable (dégoût, peur) que le résultat d'une analyse objective, distancié, de la situation. Jugé selon les critères des hommes, le cochon est considéré comme un monstre. Confondant responsabilité et culpabilité, on lui attribue une intention humaine, celle d'une cruauté à laquelle son acte est associé. Ses juges se donnent ainsi l'illusion d'avoir vaincu pour un temps la barbarie, d'avoir défendu la société et les valeurs qui en sont le fondement. Les spectateurs, unis contre cet autre qui n'est pas des leurs, assouvissent leur soif de violence punitive en toute bonne conscience.
Et il ne vient à l'esprit de personne, à aucun moment, de s'émouvoir de ce que l'on tue pour les manger non seulement les cochons, mais aussi leurs petits...
Un autre titre pour découvrir Oscar Coop-Phane : Mâcher la poussière.
Commentaires