"Le gaucho insupportable" - Roberto Bolaño
"Notre histoire est la multiplicité des formes par lesquelles nous évitons les pièges infinis qui se dressent sur notre passage".
Roberto Bolaño est l'un de mes auteurs préférés, dont je n'ai cependant pas encore exploré toute l'oeuvre (mais peu s'en faut). Le Mois de la Nouvelle m'a donc fourni un bienvenu prétexte pour sortir de ma PAL ce recueil, par ailleurs dernier ouvrage de l'auteur, écrit alors qu'il était gravement malade et condamné. Si j'ai apprécié de retrouver son ton inimitable, et sa façon à la fois subtile et poétique d'exprimer le désenchantement, j'avoue que l'ensemble m'a laissée un peu perplexe, la disparité des textes nuisant à sa cohésion. J'y ai tout de même retrouvé avec grand plaisir son écriture si belle, et cette alchimie entre fantaisie et tristesse qui caractérise son oeuvre.
La nouvelle qui a donné son titre au recueil, à la fois mélancolique et vaguement mystérieuse, est celle que j'ai appréciée le plus. Nous y suivons Hector Pereda, ancien juge respectable qui, lors de la crise économique argentine, soupçonnant de durs temps à venir pour les habitants de Buenos Aires, décide de se retirer dans sa propriété à la campagne. Là, s'entourant de vieux gauchos perdant la mémoire, il mène une existence de plus en plus fruste, parcourant à cheval les vastes étendues de la pampa, s'étonnant de son invasion par des cohortes de lapins, le tout avec un serein désœuvrement, comme s'il se livrait à une errance un peu désordonnée.
"Jim", texte très bref, ouvre le recueil. Un narrateur anonyme y évoque sa rencontre avec "le nord-américain le plus triste qu'il ait jamais vu", ancien combattant du Vietnam devenu allergique à la violence, dorénavant "poète et cherchant l'extraordinaire pour le dire avec des mots courants et banals". Lors de leur dernière entrevue à Mexico, il le trouva, en larmes, fasciné par le spectacle d'un cracheur de feu.
"Le policier des souris" m'a surprise, l'auteur s'essayant ici au genre fantastique, en mettant en scène dans une évidente allégorie une souris policière œuvrant dans le labyrinthe des tunnels souterrains où vivent ses congénères. Enquêtant sur plusieurs morts naturellement imputées à quelque prédateur, il en vient à soupçonner le coupable d'être l'une des leurs, soupçons qu'il est invité à taire par ses supérieurs, le fait qu'une souris soit un meurtrier étant, et devant rester inconcevable.
Dans "Le Voyage d'Alvaro Rousselot", un écrivain sud-américain plagié par un cinéaste français, part à la recherche de ce dernier, l'aboutissement de sa quête le plongeant dans un morne désespoir.
"Deux contes catholiques", enfin, constitue une variation habile, littérale et amusante -bien qu'en même temps très sombre-, sur le fait que l'habit ne fait pas le moine...
Le recueil se termine par la transcription de deux conférences, l'une où l'auteur s'interroge entre autres sur la signification de la notion de voyage dans la littérature, plus précisément dans la poésie du XIXe siècle, et l'autre où il règle ses comptes avec une certaine littérature unanimement reconnue, soumise aux lois du marché et aux compromissions politiques, citant notamment parmi les "vendus" Gabriel Garcia Marquez ou Isabel Allende... un mot de la fin -un "testament littéraire" ?- qui peut sembler un peu amer, mais les lecteurs de Roberto Bolaño savent bien que son intransigeante sévérité n'est motivée ni par l'envie ni par la malveillance. Car si l'on ne devait reconnaître à l'auteur chilien qu'une seule qualité, ce serait en effet cette intégrité avec laquelle il a toujours exercé son art, indifférent au consensus ou à la reconnaissance, lui qui a pourtant été reconnu comme "le plus important romancier de sa génération" par des romanciers latino-américains lors d'une conférence internationale tenue à Séville six semaines avant sa mort.
"Deux contes catholiques", enfin, constitue une variation habile, littérale et amusante -bien qu'en même temps très sombre-, sur le fait que l'habit ne fait pas le moine...
Le recueil se termine par la transcription de deux conférences, l'une où l'auteur s'interroge entre autres sur la signification de la notion de voyage dans la littérature, plus précisément dans la poésie du XIXe siècle, et l'autre où il règle ses comptes avec une certaine littérature unanimement reconnue, soumise aux lois du marché et aux compromissions politiques, citant notamment parmi les "vendus" Gabriel Garcia Marquez ou Isabel Allende... un mot de la fin -un "testament littéraire" ?- qui peut sembler un peu amer, mais les lecteurs de Roberto Bolaño savent bien que son intransigeante sévérité n'est motivée ni par l'envie ni par la malveillance. Car si l'on ne devait reconnaître à l'auteur chilien qu'une seule qualité, ce serait en effet cette intégrité avec laquelle il a toujours exercé son art, indifférent au consensus ou à la reconnaissance, lui qui a pourtant été reconnu comme "le plus important romancier de sa génération" par des romanciers latino-américains lors d'une conférence internationale tenue à Séville six semaines avant sa mort.
Je laisse pour finir la parole à Rodrigo Fresán, romancier et ami de Roberto Bolaño :
Bon, si après ça, vous n'avez pas compris... Vous trouverez dans l'index du blog de nombreuses suggestions pour découvrir Roberto Bolaño, si ce n'est déjà fait...
Cette lecture me permet donc, comme indiqué en préambule, d'afficher une nouvelle participation à l'édition 2019 du MOIS DE LA NOUVELLE organisé par Marie-Claude et Electra :
Merci de ta suggestion ! Je ne savais pas qu'il avait écrit autant de roman ( je suis allée voir ton index). J'ai 2666 dans ma PAL. Je compte le lire avant de me lancer dans d'autres achats mais il faisait partie des auteurs que je souhaite lire !
RépondreSupprimerTu ne commences pas par le plus facile ! Enfin ce n'est pas qu'il est plus "difficile" que ses autres textes, mais il est très long, comme tu as pu le voir... Ceci dit, je ne me suis jamais ennuyée à sa lecture, au contraire, en tant que fan de l'auteur je m'en suis délectée ! J'espère que tu seras toi aussi conquise par l'écriture de cet écrivain si touchant et si talentueux..
SupprimerC'est un auteur que je n'ose pas aborder, je sais que mes craintes ne sont fondées sur rien de tangible (à part la longueur de certains de ses romans...). Bon, si je me décide, je sais où chercher des conseils !
RépondreSupprimerJe conseille souvent de commencer par Nocturne du Chili, qui est court, mais qui donne une bonne idée de son écriture. Cela permet de savoir si on y est compatible avant d'attaquer ses œuvres plus longues...
SupprimerToujours pas lu cet auteur mais un jour, un jour... Son 2666 est culte tout de même mais vu le pavé, ce n'est pas demain la veille que je m'y collerai.:) Histoire de découvrir sa plume et son univers, je pourrais bien tenter ses nouvelles, ce serait bien plus rapide, mais bon, les recueils de nouvelles et moi, c'est compliqué.
RépondreSupprimerComme je l'écris ci-dessus en réponse à Kathel, tu peux aussi lire un de ses courts romans, il n'a pas écrit que des pavés. Il y a Nocturne du Chili, ou encore Amuleto ou Monsieur Pain, quoique ces deux derniers sont un peu à part dans son oeuvre, je trouve (mais je les ai aimés tout de même)..
SupprimerMoi j'ai lu du bonhomme : "étoile distante" ; je me suis emmerdé ferme ! Pas compris le sujet/l'intérête du livre !!!... j'ai un peu peur de renouveler l'expérience.... ça m'a semblé être du bobo-intello...
RépondreSupprimerC'est le premier titre que j'ai lu de Bolano, et je comprends qu'il puisse rebuter, je crois n'avoir pas tout compris non plus... Pour avoir lu beaucoup d'autres titres depuis, ce n'est pas celui que je recommanderais pour entamer sa découverte, même s'il est assez représentatif des thématiques abordées par l'auteur dans l'ensemble de son oeuvre. La plupart de ses romans ne sont pas aussi obscurs (sauf l'affreux Anvers auquel je n'ai rien compris, mais c'st une exception...).
SupprimerTu as raison, la longueur du roman est un problème car il faut que je trouve assez de temps pour pouvoir le lire car je ne compte pas le lire par fragments trop espacés mais sur plusieurs jours d'affilé et en ce moment, c'est difficile !
RépondreSupprimerJe comprends ! J'avais personnellement profité d'un long trajet en avion et d'une escale en aéroport de plusieurs heures pour le lire, non pas en entier, mais en tous cas une bonne partie... je connais un lecteur fan de Bolano qui le relit une fois par an !!
SupprimerJe n'ai jamais lu Bolaño même si j'ai cédé au chant des sirènes et ajouté 2066 à ma PAL. J'attends toujours le moment propice pour m'y plonger (j'allais écrire, m'y noyer).
RépondreSupprimerVous forcez mon admiration, Maggie et toi, de vous attaquer d'emblée à son oeuvre la plus "monstrueuse" ! Ceci dit, je l'ai adorée...
SupprimerPas de quoi pavoiser, non plus. Ça reste encore un vœu pieu. On se réjouira vraiment quand je l'aurai lu :D
SupprimerJ'espère que toi, tu t'en réjouiras, surtout ! J'ai aussi dans ma PAL quelques énormes pavés qui à la fois m'attirent et m'épouvantent... bon j'admets, j'exagère un peu... disons qu'ils m'effraient un peu.
SupprimerA priori c'était un auteur qui ne m'intéressait pas du tout, jusqu'à ce que quelqu'un ait la bonne idée de m'offrir 2666 et je dois dire que c'est une découverte que je suis vraiment contente d'avoir faite! Du coup je note "Nocturne du Chili" puisque tu le conseilles.
RépondreSupprimerMaintenant que tu as lu 2666, Nocturne du Chili va être une balade de santé ! Il est court... mais très bon. Ton commentaire est en tous susceptible d'encourager les ambitieux qui l'ont dans leur PAL !
Supprimer"Le Voyage d'Alvaro Rousselot" est le texte de Bolaño que j'ai le plus lu, sans avoir su déterminer la raison pour laquelle il me touche autant.
RépondreSupprimerAu fil des années, je me rends compte que cet auteur a pris une place particulière dans ma vie de lecteur.
En plus, grâce à lui, j'ai découvert Rodrigo Fresán. Un écrivain qui vaut également le détour.
Bonjour Frédéric, et bienvenu ici,
SupprimerJ'ai bien aimé ce texte aussi, et sa façon de prendre le lecteur à contre pied, en dotant le narrateur de réaction inattendues. Et je me suis noté le nom de Rodrigo Fresán, que je suis curieuse de découvrir suite à la lecture de l'essai en fin d'ouvrage..
A bientôt,