LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"A vol d'oiseau" - Jim Lynch

A la frontière de l'absurde.

Brandon Vanderkool, la vingtaine, est un solide gaillard de deux mètres dix, pourtant doté d'une candeur d'enfant qui n'aurait pas grandi. Dyslexique, maladroit, décalé, c'est un amoureux des oiseaux dont il reconnaît les chants respectifs avec une facilité inouïe. Il considère d'ailleurs l'environnement naturel en général avec une extrême acuité, capable de décrypter la moindre empreinte, le moindre bruit, le plus infime dérangement survenu dans un bosquet ou sur les berges d'une rivière.

Malgré ses lacunes et son innocence, son père a réussi à lui faire intégrer la police des frontières, où officie un de ses amis. Incapable de taper un rapport, ou de comprendre le sens global de sa mission, il bat pourtant le record d'arrestations durant son premier mois, ses collègues le surnommant bientôt "l'aimant à emmerdes"... Héros malgré lui, grâce à ses dons d'observation, il s'excuserait presque de ses succès, bien embêté d'arrêter ces clandestins après tout vulnérables et inoffensifs, ou ces trafiquants de drogue pas si belliqueux (il faut dire que la carrure de Brandon dissuade de toute tentative de rébellion).

Entre deux missions, il élabore d'éphémères et énigmatiques sculptures à partir de divers éléments naturels, ou laisse des messages confus et embarrassés sur le répondeur de Madeline Rousseau, son amie d'enfance, qui s'est détachée de cet encombrant camarade et se livre avec un investissement croissant à des activités illicites...

Il semble étranger aux remous du monde et au contexte qui l'entoure, pourtant explosif... son intégration dans la police des frontières correspond en effet à une période de fortes tensions entre les Etats-Unis et le Canada, les premiers exhaussant la dimension répressive de leur politique migratoire et anti-drogue le long de leur frontière du nord, fustigeant le laxisme du second dans ces domaines. Cet antagonisme a des répercussions à l'échelle individuelle. Dans le quartier où vit Brandon, traversé par la démarcation entre les deux pays, des contrôles accrus et sévères sont remis en place, nuisant essentiellement aux travailleurs frontaliers, pendant que certains expriment par des banderoles plantées dans leurs jardins leur colère méprisante pour la politique de la nation voisine...  Il plane une atmosphère de suspicion, d'incommunicabilité, qu'illustre notamment le tournant plus agressif que prennent les relations entre Wayne, professeur canadien à la retraite atteint de sclérose en plaques, gauchiste affirmé, accessoirement père de Madeline, et son voisin américain, père de Brandon, trop focalisé sur l'endettement de sa ferme et le basculement dans la démence de sa femme pour se préoccuper de l'état du monde... 

La frontière, qu'on avait oubliée, semble ainsi prendre des proportions démesurées...

Jim Lynch mêle dans ce savoureux roman humour et profondeur, teintant d'absurde une réalité tragique, mettant son propos en avant par des situations burlesques, caricaturales, et des personnages à la fois complexes et haut en couleur. Il se montre se faisant féroce vis-à-vis non seulement de la politique américaine mais aussi des travers de ses semblables, gouvernés par leur étroitesse d'esprit et leur préjugés ainsi que d'une société se repliant sur elle-même, où paranoïa et principe de précaution poussé à l'extrême en deviennent ridicules.


Commentaires

  1. Tu me tentes, là... Humour et profondeur, ça me dit.

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    1. Oui, à lire, vraiment... de plus ce contexte de tensions à la frontière américano-canadienne m'était jusqu'à présent inconnu, c'était donc une lecture fort instructive !

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  2. Vraiment très contente que tu aies aimé !

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    1. J'aime beaucoup ce genre de texte, qui permet de se divertir tout en poussant à la réflexion, merci encore !

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  3. Ha? J'avais abandonné celui où il y avait plein de voile, mais là, les oiseaux, ça peut mieux passer?

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    1. Oui, ça passe sans problème parce cela reste anecdotique dans le récit, il n'y a aucun long passage détaillé sur les oiseaux... et c'est une lecture qui, j'en suis presque certaine, pourrait te plaire.

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  4. Oh mais c'est très tentant, dis donc !

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  5. c'est le même Jim Lynch qui a écrit "Face au vent" ? Celui-ci me tente bien !

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    1. Oui, c'est bien le même, mais je n'ai pour l"instant lu que celui-là de l'auteur, et c'est vraiment une belle découverte. J'avoue que Face au vent me rebute un peu, j'ai peur, comme Keisha, de ne pas adhérer au contexte...

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