LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"Héritières" - Marie Redonnet

Triptyque.

"Héritières" regroupe trois romans publiés entre 1986 et 1987 : "Splendid Hôtel", "Forever Valley" et "Rose Mélie Rose", formant une trilogie. De nombreux points communs, constituant un fil rouge et participant à la cohérence à l'ensemble, lient les récits.

Trois héroïnes y prennent respectivement la parole, héritières en effet, de legs qui les maintiennent plus ou moins prisonnières de lieux au caractère imprécis, comme coupés du monde, lieux de déréliction figés dans une intemporalité mortifère. Chacune d'elles, à partir de cet héritage, prend, à sa manière, son destin en main.

Dans "Splendid Hôtel" -mon récit préféré-, la narratrice s'obstine, en un combat dérisoire mais qu'elle mène avec acharnement, à tenter de maintenir en état l'hôtel que lui a laissé sa grand-mère. Innovant lors de sa construction, car pourvu dans toutes ses chambres de sanitaires, et seul hébergement situé près d'un marais dont il devenu indissociable, l'établissement a mal supporté le passage du temps. Ses toilettes se bouchent en permanence, ses tuyaux rongés par la rouille multiplient les fuites, le bois de ses poutres s'effrite dangereusement. La proximité du marais ajoute à ces désagréments la présence de rats, de moustiques, et d'inondations régulières transformant le jardin en un magma boueux. Sa propriétaire, dont on ne connaîtra pas l'identité, n'a jamais connu que le Splendid Hotel, et n'imagine pas une seconde l'abandonner. Elle EST, en quelque sorte, le Splendid Hotel, et baisser les bras face à son délitement, c'est laisser le désespoir s'infiltrer... C'est, surtout, mourir... Alors elle colmate, débouche, fait face aux dettes, se plie en quatre pour satisfaire les clients -quelques voyageurs de commerce puis le personnel du chantier de construction d'une ligne de chemin de fer traversant le marais- et ses deux sœurs : Ada, neurasthénique réclamant des soins permanents et Adel, qui répète inlassablement les rôles, de plus en plus secondaires, qu'elle espère jouer un jour sur les planches. Son obstination, comme celle de sa sœur à lutter contre le délitement du Splendid Hôtel, est poignante, car vaine, fondée sur des chimères... On devine en effet le trio sororal vieillissant, coupé d'un monde dans lequel il n'a sans doute pas sa place...

"Forever Valley" nous emmène au cœur d'un hameau de montagne désolé, à l'agonie aussi, puisqu'il est condamné à disparaître sous les eaux d'un barrage en cours de construction. Marie, la narratrice vient d'avoir seize ans. Elle vit au presbytère de Forever Valley, adossé aux ruines d'une église qui n'accueille plus depuis longtemps aucun fidèle, en compagnie du Père, vieillard malade et bientôt impotent. Marie a un projet, celui de trouver les morts qui, elle en est certaine, peuplent le sous-sol entourant l'ancienne église... Le hameau compte une autre habitante en la personne de Massi, qui tient face au presbytère un dancing, où viennent chaque samedi soir les douaniers et bergers du "village d'en bas", ainsi que les employées de la laiterie qui se métamorphosent alors en hôtesses... Le temps est justement venu pour Marie, ainsi que le lui font comprendre le Père et Massi, de rejoindre l'équipe féminine du dancing. 

Après avoir quelque peu étouffé dans la densité mortifère du Splendid Hôtel, et accompagné Marie qui, finalement obligée de quitter Forever Valley, s'est installée dans le "village d'en bas", le lecteur entreprend un périple cette fois plus long. Mélie, laissée à sa naissance dans une grotte, a été recueillie par Rose, vivant dans la solitude d'un coin de montagne situé à plusieurs jours de marche de la ville la plus proche. Elle y tient une petite boutique de souvenirs hétéroclites, où viennent parfois s'approvisionner les randonneurs attirés par les cascades à proximité. A la mort de Rose, Mélie, âgée de douze ans, formée et nouvellement réglée, descend à Oat, bourgade portuaire d'où la vieille femme était originaire, avec pour seul bagage l'enseigne en bois du magasin de souvenirs, et une adresse que sa tutrice lui a confiée avant d'expirer.
Elle y trouve un vieil homme nommé Nem, et s'installe dans une des chambres de la maison qu'il occupe dans le quartier des Charmes, déserté depuis que le port intérieur d'Oat a fermé. La petite ville dans son ensemble est moribonde, le maire lui-même vient de partir pour le Continent, laissant Mademoiselle Marthe s'occuper de ses rares administrés. Cette dernière prend Mélie sous son aile, l'emploie comme stagiaire et l'emmène aux goûters dansants du dimanche que donne le Continental, bien plus chic que le Bastringue, grâce auquel cependant le port extérieur continue d'être fréquenté par des pêcheurs en quête de sexe pas cher...

Ce qui frappe dès le début de l'ouvrage, et vous y immerge avec force, c'est l'écriture, surtout dans le premier texte. La succession de phrases plutôt courtes, de réitérations -la narratrice répète, presque en boucle, ses obsessions-, le rythme comme un leitmotiv, constituant un flux continu, créant une sensation de martèlement hypnotique. Dans les deuxième et troisième romans, bien que la narration s'y présente aussi sous forme d'une longue logorrhée, cette dimension "frénétique" s'apaise un peu, comme en écho à la capacité grandissante des héroïnes à composer avec leur héritage respectif, à en faire un fardeau constructif.

L'ensemble est porté par la sincérité avec laquelle elles s'expriment, évoquant même des épisodes tragiques ou crus avec une sorte d'objectivité clinique qui, notamment dans "Forever Valley" et "Rose Mélie Rose", pare certains événements glauques, décrits avec la même sécheresse de ton, -leur initiation sexuelle, entre autres- d'une dimension glaçante, suscitant le malaise. Associé à l'étrangeté des univers isolés dans lesquels elle évoluent, ce détachement confère aux récits une dimension onirique, voire parfois cauchemardesque, la brutalité teintant leur destinée se diluant dans le caractère surnaturel dont Marie Redonnet dote ses histoires.

Bien que n'ayant pas autant apprécié les trois textes (j'ai trouvé "Forever Valley" moins fort, moins rythmé que "Splendid Hôtel", et son héroïne moins attachante que celle de "Rose Mélie Rose"), je suis tout de même ravie de cette belle et originale découverte, que je dois à ClaudiaLucia.

Commentaires

  1. D'elle je n'ai lu que La femme au colt45, bon souvenir durable
    http://enlisantenvoyageant.blogspot.com/2016/01/la-femme-au-colt45.html

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    1. Merci pour le lien... J'avais déjà lu ton billet, parce que je croyais dans un premier temps avoir noté ce titre chez toi, je suis donc allée y fouiller à la recherche de l'auteure... Je la relirai dans tous les cas, peut-être avec ce "Colt 45"..

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  2. Je ne crois pas avoir lu cette auteure un jour, mais je n'en suis pas sûre. Je ne me souviens pas de toutes mes lectures anciennes.

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    1. Moi non plus, mais je pense que ce genre de lectures laisse un souvenir durable. Après, pris séparément, ces trois romans sont courts, tu peux ne lire par exemple que "Splendid Hôtel", qui est selon moi le meilleur des 3... (quoique vu ta dernière lecture, je sais bien que les pavés ne t'effraient pas !)

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  3. Ah, un style à la Marguerite Duras dans L'amant? (Elle aussi revient souvent sur ses obsessions dans ce texte hypnotique.) Si c'est le cas, je note!

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    1. J'avoue à ma grande honte n'avoir lu ni "L'amant", ni d'ailleurs aucun titre de Duras... Mais comme je l'écrit ci-dessus, tu peux tester par exemple avec "Splendid Hotel", qui est court, et c'est celui des trois où le style hypnotique de l'auteure est le plus frappant.

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  4. Oh la la encore une auteure que je ne connais pas. Il faut dire qu'en ce moment, j'ai tendance à ignorer les auteurs français...

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    1. Je l'avais noté il y a longtemps, et je suis tombée sur un exemplaire d'occasion de ce titre, j'en ai profité, et j'essaie de lire régulièrement des auteurs français, entre deux incartades en pays lointains... une auteure à découvrir en tous cas, j'ai vraiment aimé son style personnel, et l'originalité de ses ambiances.

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  5. J'avais craqué suite aux chaudes recommandations de ma libraire. J'ai lu "Splendid Hôtel" et... j'ai laissé tomber. Je crois que le timing n'était pas le bon.

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    1. Bah mince, c'est celui que j'ai préféré ! Si c'est le style qui t'a gênée, il est moins "marqué" dans les autres romans...

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