LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"Le château (Les Ferrailleurs, Tome I)" – Edward Carey

"La demeure des Ferrayor, notre château, notre palais, était construit, je le voyais maintenant, non pas avec des briques et du mortier, mais avec du froid et de la douleur, ce palais était un édifice de méchanceté, de noires pensées, de souffrances, de cris, de sueur et de crachats."

On dit que ce sont de drôles de gens, des gens froids. Qu’ils détiennent toutes les dettes de Londres. Qu’ils sont très riches. Qu’il ne faut jamais leur faire confiance. 

Eux, ce sont les Ferrayor. En ce début du dernier quart du XIXème siècle, ils sont depuis plusieurs générations déjà les propriétaires du Grand Dépotoir, gigantesque territoire jonché de tonnes et de tonnes de déchets, de montagnes de rebuts, dont ils sont les intendants et les gouverneurs. Ils sont "les souverains de la pourriture et de la moisissure, les nababs de la putréfaction", empereurs d’un cloaque qui a fait leur fortune et leur a valu la haine séculaire de leurs lointains voisins, les habitants de Forlichingham (ou Filching), faubourg pauvre de Londres. 

Leur royaume n’est indiqué sur aucune carte, no man’s land hérissé de débris hétéroclites où trône le Château, demeure disproportionnée elle-même constituée de matériaux de récupération, de parties de bâtiments de Londres transportés puis reconstruits lors de rachats de terrains, pour former un amalgame de salles de bal, de cuisines, de chambres et de couloirs auxquels on accède par des myriades d’escaliers disparates, aux toits hérissés de multitudes de cheminées. Un univers nauséabond de poussière et de noirceur, la faible lumière d’un dehors grisâtre ne passant plus par les fenêtres aux vitres noircies… 

C’est là que vit Clodius Ferrayor, surnommé Clod, l’un des petits-fils du patriarche Umbbit qui règne sur cette dynastie. Clod est orphelin, la mort de sa mère à sa naissance -suivie de peu du décès d’un père au cœur fragile- lui ayant valu la rancœur éternelle de sa grand-mère maternelle. Les Ferrayor formant un clan, avec sa pléthore de tantes, oncles, cousins et cousines, pour lequel la pureté du sang compte plus que tout. Pour autant, aucune affection ne semble les unir, seuls importent le maintien du rang et de la lignée, dans le respect des règles rigides ordonnant les unions, et la place de chacun dans une hiérarchie rigoureusement définie. Ainsi, lorsqu’il aura atteint l’âge de seize ans, qui approche à grands pas, Clod sera autorisé à remplacer ses culottes courtes par un solennel pantalon de velours, et devra épouser sa cousine Pinalippy, grande brute à moustache dont l'un des plus grands plaisirs consiste à pincer les tétons des garçons. Ce qui, comme on peut s’en douter, ne l’enchante guère… Il faut dire que Clod est un peu différent des autres Ferrayor, à l’instar de son cousin Tummis, son meilleur ami, qui affectionne les animaux et est tombé amoureux (scandale !) de sa promise, la douce et gentille Ormilly. Après avoir fait résonner les couloirs du château de ses interminables pleurs de bébé, il est devenu un enfant maladif, peu aventureux, sensible, et une proie facile pour sa brute de cousin Moorcus, vigoureux garçon cruel et autoritaire semant la terreur parmi les jeunes Ferrayor les plus faibles qu’il persécute. Mais surtout Clod a un don : il entend la voix des objets. Précisons que les objets occupent une place très particulière chez les Ferrayor. A sa naissance, chacun s’en voit attribuer un dont il devient inséparable, avec lequel il entretient toute sa vie un rapport fusionnel et interdépendant. Pour Clod, cet objet est une bonde. Une bonde nommée James Henry Hayward. Car ce qu’entend Clod dans les murmures des choses, ce sont des patronymes inlassablement répétés, formant une cacophonie permanente et parfois insoutenable pour le garçon. 

La disparition d’un de ces objets de naissance débute la série d’événements étranges qui vont bientôt bouleverser la vie du château : la poignée de porte de Tante Rosamund (Alice Higgs) est introuvable… Drame qui concorde avec l’arrivée au château de Lucy Pennant. Orpheline depuis que ses parents, atteints d’un mal étrange touchant les habitants de Filching, faubourg pauvre de Londres, se sont pétrifiés, elle se voit offrir un emploi de servante au château, privilège réservé à ceux dont le sang des Ferrayor coule dans les veines en faible proportion. L’armée de domestiques ainsi constituée forme une horde anonyme, chaque membre de ce petit personnel devant abandonner son identité et oublier son passé pour n’être plus qu’un "Ferrayor", sans prénom, sans famille. Gamine débrouillarde et rebelle, Lucy refuse de devenir une anonyme et s’efforce de ne pas oublier qui elle est. En nettoyant les foyers de cheminées, tâche à laquelle elle est dévolue, elle rencontre Clod. A l’encontre du règlement interdisant tout contact entre les maîtres du château et une domesticité reléguée dans les sous-sol, les deux adolescents font connaissance…

Quelle lecture passionnante et réjouissante, portée par une écriture énergique et par ailleurs très joliment illustrée des propres dessins de l'auteur ! Edward Carey nous immerge dans un monde inventif et profus, baigné d'une atmosphère à la fois ténébreuse et grouillante, qui n'est pas sans évoquer l'univers d'un Tim Burton ou celui de la famille Addams. Le récit baigne par ailleurs dans une violence permanente, entretenue par le comportement tyrannique et brutal de la plupart de ces cruels Ferrayor mais aussi de leurs gens de maison. Il fait alterner les voix de Clod et de Lucy, l'introduction de cette dernière dans la demeure des seigneurs des ordures et sa rencontre avec Clod initiant une série de catastrophes qui va mettre en péril la routine séculaire et bien ordonnée du Château...


J'ai eu le plaisir de faire cette lecture en commun avec Maggie et A_Girl_From_Earth.

Un autre titre pour découvrir Edward Carey : "L'observatoire"

Cette découverte me permet par ailleurs de participer une deuxième fois au Mois Anglais 2020, TitineLou et Lasmoumé :


Commentaires

  1. A girl est toujours enthousiaste, avec le tome 2

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    1. J'ai de mon côté lu les 3 à la suite, je ne pouvais pas m'arrêter alors qu'à la fin de deux premiers opus, tant de points restent en suspens ! J'ai aimé les 3, mes billets sur la suite à venir...

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  2. Je ne connaissais que de nom, ça a l'air très intrigant (et réussi !).

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    1. Oui, l'univers et les personnages sont originaux, l'ambiance s'assombrit et les héros se complexifient au fil de la trilogie. Je ne sais pas si tu connais mais cela m'a rappelé "la trilogie de Gormenghast" de Mervyn Peake, qui est excellente aussi ! Et puis même en poche, les romans sont agrémentés des illustrations de l'auteur, qui rendent la lecture encore plus plaisante, et rendent les personnages et les lieux très vivants. A lire, donc !

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    1. Oui, c'est très bon. L'observatoire, de ce même auteur, lu il y a quelques années, m'avait beaucoup plu aussi, c'est d'ailleurs la raison pour laquelle j'ai acheté cette trilogie les yeux fermés. Et on y retrouve le même genre d'univers, entre sordide et fantaisie... Edward Carey est très inventif !

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  4. Je ne suis pas aussi enthousiaste que toi et a girl. J'ai apprécié l'univers original mais je sais que je ne lirai pas les autres tomes.

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    1. Dommage, mais je peux comprendre, comme je l'ai précisé chez toi, c'est justement cette atmosphère sombre qui m'a plu... Et elle s'assombrit encore davantage avec la suite, donc je ne te conseillerai pas de persévérer !

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  5. C'est vrai que rien que les illustrations évoquent beaucoup Tim Burton. Je me dis qu'il aurait très bien pu adapter cette trilogie d'ailleurs. Je m'étonne que cela n'ait pas encore été fait ! En tout cas, tout comme toi j'ai trouvé cette lecture passionnante et réjouissante. Ce qui est bien avec tes billets, c'est qu'on peut y revenir pour se remémorer le contexte et les événements. Je compte lire le tome 3 en août mais d'ici là, j'aurai peut-être un peu oublié où on en était au tome 2.:)

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    1. C'est vrai que je verrais bien cette trilogie au cinéma moi aussi... et j'attends avec impatience ton futur avis sur le dernier opus !

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  6. C'est assez tentant, mais je ne sais pas si au final, ça me conviendrait. Je suis assez hermétique à la famille Adams par exemple. Il faut que je voie s'il y a quelque chose à la bibli, je pourrais essayer sans risque ..

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    1. Oui, ça se lit très facilement, tu peux toujours tester le 1, et ne continuer que si tu accroches.

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  7. AAAAAAAAhhhhhhh! Enfin quelqu'un qui lit la trilogie que j'ai ADOREE ces dernières années. Je crois que les mésaventures de Clod sont celles que j'ai eu le plus de plaisir à suivre depuis 4 ans. J'ai d'ailleurs rangé directement les trois tomes dans ma bibliothèque idéale - et malgré la centaine de romans que je lis chaque année, il n'y a pas beaucoup de livres dedans.

    https://livreveriefr.blogspot.com/search?q=les+ferrailleurs

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    1. Ton enthousiasme fait très plaisir ! Et si tu n'as pas lu la trilogie de Gormenghast, de Mervyn Peake, je te la conseille fortement, car je leur ai trouvé pas mal de points communs (le château labyrinthique, les personnages étranges, les rituels ancestraux et mortifères...).

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    2. Gormenghast, encore une idée que je vais te piquer, ça! Merci du conseil!

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  8. Moi non plus, je n'ai pas apprécié La famille Adams, mais j'adore Tim Burton .... Me voilà donc bien embêtée, mais je pense que je vais tenter parce que ma dernière tentative de littérature gothique a été une vraie réussite avec "Nous avons toujours vécu au château" !

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    1. Ne retiens que le rapprochement avec Tim Burton, alors, c'est le plus évident !

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  9. A première vue, il ne me tentait pas, mais c'est un tel coup de coeur pour beaucoup de blogueuses que je vais sans doute finir par le lire.

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    1. Je suis ravie de voir que nous allons faire des émules, c'est une trilogie qui en vaut la peine, et qui surtout se lit avec beaucoup de plaisir !

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  10. Je ferme les yeux et je lis en biais! Je suis à fond dans Steinbeck et je suis conquise! C'est pour quelle date, notre publication?

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    1. Pour le 10 juillet (en cas d'oubli de nos dates de LC, tu as un lien en haut de la barre gauche de mon blog qui s'appelle "Book'ineries communes", où je note toutes les LC prévues ..). J'ai été (re)conquise moi aussi, mais je n'ai pas encore pris le temps de rédiger mon billet. Bon je te laisse avec Cathy, Adam, Samuel et les autres...

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    2. Merci pour l'éclairage de ma lanterne. Cathy me fait faire des cauchemars!

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    3. Ce n'est pas étonnant. Je me suis rendu compte lors de cette relecture que c'était probablement le personnage qui m'avait le plus marquée.. c'est d'elle dont je me souvenais le mieux (quoique souvenir est un terme sans doute un peu fort, il ne me restait de ce roman que de rares et vagues flashs... Mais la plupart mettaient Cathy en scène !)

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