"Martin Eden" - Jack London
"Ils se figurent qu'ils pensent et ce sont ces êtres sans pensées qui s'érigent en arbitres de ceux qui pensent vraiment."
Encore un défi personnel réalisé grâce à une lecture commune, cette fois avec Electra : découvrir Jack London… (je ne compte pas ma lecture de "L’appel de la forêt", au programme de mon année de quatrième, dont j’ai quasiment tout oublié).
Jeune marin rustre et téméraire, fumeur et à l’occasion grand buveur, mais aussi jeune homme très sensible, Martin Eden est introduit dans le milieu bourgeois par Arthur Morse, qu’il a secouru lors d’une rixe, et qui le présente à sa famille. Il est aussitôt fortement attiré par Ruth, jeune femme pâle et éthérée, dont l’élégance et le savoir le fascinent. L’attrait qu’exerce sur lui la sœur d’Arthur est en effet lié à ce qu’elle représente et qu’il découvre avec elle, un univers habité de voix douces, de vêtements et de pensées propres, empreint de raffinement et de culture. Car si Martin, issu des bas-fonds, a toujours vécu dans la violence, il a également toujours aimé lire, et fait preuve d’une curiosité intellectuelle rare dans son milieu pour l’art ou la poésie. Décidé à conquérir Ruth, il entreprend de s’instruire pour "s’élever dans les régions exaltées où vivent les classes extérieures", quitter la laideur et la médiocrité qui ont souillé toute sa vie passée, en finir avec le vagabondage, les saouleries et le travail éreintant.
La jeune femme lui fait découvrir des poètes, étudier la grammaire et la conjugaison, lui apprend à se débarrasser de son langage argotique et de ses manières grossières. A la fois attirée par la virilité brute de Martin, flattée de l’attention qu’il lui porte comme elle le serait d’être parvenue à apprivoiser un animal sauvage, et en même temps rebutée par sa rusticité et son allure trop athlétique, elle ne réalise pas dans un premier temps la force de la séduction qu’il exerce sur elle.
Lui s’émerveille de la construction du langage et de la beauté des textes, s’intéresse bientôt à la philosophie, assimile les règles du savoir-vivre, bref se dégrossit peu à peu… Porté par une formidable soif d’apprendre, et une capacité de travail et d’assimilation hors normes, le jeune homme progresse rapidement, et ressent bientôt l’irrépressible besoin d’écrire. Pris d’une sorte de frénésie créative, il écrit d’abord des articles, puis des nouvelles et des romans. Nourri des expériences qu’il a vécues, en tant que marin, à travers le monde, il y met toute sa fougue, sa sincérité et son obstination, désireux de "dépeindre la vie telle qu’elle est", d’en écrire le poids et l’étreinte, les fièvres, les angoisses et les révoltes sauvages. Autodidacte, il a conservé un esprit libre et acéré, un raisonnement que n’entravent ni les dogmes de l’éducation bourgeoise, ni les carcans de la bienpensance.
Mais malgré sa foi en son talent et en sa réussite prochaine, il se voit refuser, les uns après les autres, tous les manuscrits qu’il envoie aux journaux ou aux éditeurs.
Martin découvre peu à peu l’envers de ce monde qu’il rêve tant d’atteindre. Comprend que ce n’est tant le talent et la sincérité qui permettent de réussir que la capacité à produire des écrits consensuels. Affronte l’hypocrisie, le mépris et la malhonnêteté du milieu de la presse. Même Ruth trouve ses écrits épouvantables car violents, s’opposant à son besoin de mesure et de mièvre optimisme. Pour elle, tout a toujours été lisse et facile, et si elle ignore tout des sacrifices qu'impose la pauvreté, elle ne sait pas non plus ce qu’est le goût de la vie prise à bras le corps, n’appréciant l’art que s’il est compassé et convenable. Un avenir avec le jeune homme n’est envisageable qu’à condition qu’il se transforme, qu’il rentre dans le moule de la respectabilité en gommant ses excès, ses enthousiasmes et cette spontanéité trop débordants, ses émotions bondissantes. Il s’agit de brimer sa puissance, de remodeler, pour le rendre plus élégant, ce corps trop athlétique… Et surtout, il doit trouver une situation... Mais Martin n’est pas un homme de compromissions. Acceptant facilement les différences des autres, il ne conçoit pas qu’on ne lui rende pas la pareille. Son sens de la beauté et de la vie ne s’accommode pas de vulgaires considérations mercantiles ou sociales, s’il souhaite s’élever artistiquement, il n’est pas question de renier ce qu’il est… Fier et droit dans ses bottes, refusant de renoncer à son but même lorsqu’il tire le diable par la queue, il finit par acquérir un véritable dégoût pour la petitesse des esprits bourgeois et autres parvenus qui ne goûtent la littérature que si elle rapporte.
Il y a dans l’écriture pourtant classique de Jack London une forme de spontanéité, comme si elle s’écoulait naturellement de sa plume au fil des pensées et des sensations de Martin, conférant au récit énergie et justesse, malgré une narration à la troisième personne. Elle rend très prégnant cet étrange mélange entre la ténacité fiévreuse, la générosité du héros, et le désespoir qui peu à peu s’empare de lui, la société venant finalement à bout de cette flamme d’authenticité…
Je suis impatiente de savoir ce qu'Electra en a pensé... Son avis est ICI.
Et cette lecture me permet de valider ma participation au Challenge Jack London orchestré par ClaudiaLucia :
Je viens juste de l'acheter ! Enfin, je l'avais en numérique dans une vieille traduction, donc j'ai pris une version plus récente. Je pense le lire avant la fin de l'année ! Du coup, je passe ton avis en diagonale, même si à force de voir des avis, j'ai fini par comprendre de quoi ça parle.
RépondreSupprimerMoi qui pensais que tout le monde l'avait lu ! J'espère qu'il te plaira autant qu'à moi (mais je n'ai pas vraiment de doute)...
SupprimerJe pense le relire, je ne connaissais rien de la vie de l'auteur lors de ma première lecture et suis sans doute passée à côté de bien de ses qualités. Je viens d'entamer "La Vallée de la lune" qui a l'air d'être un pendant à "Martin Eden", mais cette fois les deux amoureux sont du même monde.
RépondreSupprimerJe l'ai lu dans la collection "Bouquins" qui regroupe plusieurs de ses textes dits "autobiographiques", et est enrichie de préfaces très intéressantes sur les interactions entre l'oeuvre et la vie de l'auteur. Mais il me reste encore beaucoup à apprendre et à lire sur cet écrivain à l'existence passionnante.
SupprimerRécemment on m'en a parlé, de ce livre, ai point de me donner grande envie de le lire... Bon, à noter quand même, mais là j'ai plein à lire, et des pavés, encore, qui frôlent les 600 pages!
RépondreSupprimerQuoi !!?? Toi, tu ne l'as pas lu ? Bah ça alors, j'en reste comme 2 ronds de flan !! Et oui, à noter, alors !
SupprimerNoté depuis longtemps et il faut absolument que je le lise pour le challenge de ClaudiaLucia.
RépondreSupprimerC'est son challenge qui m'a motivée pour lire cet auteur qui m'effrayait un peu. Je crois que je craignais que ses textes aient mal vieilli, mais ce n'est pas le cas, du moins pas avec celui-là en tous cas.
SupprimerRoman lu quand j’étais adolescent, il y a très longtemps donc, certainement l’un de ses meilleurs. Je le recommande à tous, un incontournable de cet écrivain…
RépondreSupprimerJe n'ai pas lu ses autres titres (sauf ce fameux "Appel de la forêt" que je relirai) mais je te rejoins, c'est vraiment un grand roman. Je crois que ma prochaine lecture sera celle du "Peuple de l'abyme"..
SupprimerUn classique qui n'a pas vieilli... il fait partie de mes incontournables !
RépondreSupprimerCela ne m'étonne pas...
SupprimerDésolée ! J’avais noté le 25 juillet du coup j’en suis à la page 124. Je viendrai te lire dès que j’ai terminé.
RépondreSupprimerPas de souci !! J'ajouterai un lien vers ton billet à ce moment-là.
SupprimerÇa alors, on s'est loupé une LC de peu. Ça devait être mon prochain billet (roman lu pendant le confinement...) mais j'ai été un peu prise par le temps et du coup, ce sont d'autres billets que je vais faire passer avant. Ce roman a été une révélation pour moi, j'ai adoré ! Je le classe parmi mes incontournables.
RépondreSupprimerJ'attends ton billet avec impatience, alors ! Comme mon billet le laisse deviner, j'ai vraiment aimé aussi, quel personnage attachant que ce Martin Eden, à la fois fier et naïf, droit et courageux..
SupprimerQu'est-ce que j'ai aimé ce roman ! J'en ai lu une grande partie pendant un trajet en train (Poitiers Nice en passant par Paris). Mon fils a adoré aussi, mais depuis il a lu Le vagabond des étoiles et il m'a dit qu'il était de la même veine, aussi puissant, aussi fort et bien sûr maintenant j'ai très envie de le lire aussi.
RépondreSupprimerAh, mon édition (une compilation "Bouquins") compte "Les vagabonds des rails" mais pas celui des étoiles... mais je note !
Supprimerje ne l'ai toujours pas lu!!!! je remets toujours à l'été prochain...
RépondreSupprimerNe tarde pas trop, tu as vu les commentaires, c'est un incontournable, et je suis pour ma part persuadée que j'en garderai un souvenir marquant..
SupprimerLu dans le cadre du challenge Jack London avec Claudialucia et d'autres...Je suis dans le Talon de Fer et je découvre de nombreuses analogies entre les deux livres. Avis, la narratrice du Talon de Fer aurait elle un rôle analogue à Ruth, et Ernest me fait penser à Martin Eden.
RépondreSupprimerLe talon de fer fait partie des titres de London que je souhaite lire aussi, il semble avoir une forte dimension "sociale"..
SupprimerC'est drôle, je viens lire ton billet juste après avoir échangé des messages avec Electra au sujet de cette lecture (mais je ne spoilerai pas !)
RépondreSupprimerJe suis ravie que tu aies apprécié ce roman ! Pour ma part, j'en garde un souvenir ébloui. J'ai adoré la dimension sociologique et philosophique qui émane du parcours et de la personnalité incroyables de Martin Eden. C'est un roman que je relirai un jour sans aucun doute. En attendant, je me suis sorti un nouveau Jack London pour le prochain mois américain :)
Oui, je ne m'attendais pas au tour que prend le récit, je pensais en lisant le début m'embarquer dans une histoire d'amour et d'élévation sociale... Mais c'est bien plus et bien mieux que ça ! Lequel tu liras pour le mois américain ?
SupprimerIl s'agit du Vagabond des étoiles ! J'ai sauté dessus en librairie après avoir adoré Martin Eden et puis finalement il est dans ma PAL depuis... Typique !
SupprimerJe ne l'ai pas, celui-là, mais me le suis noté. J'ai en revanche Les vagabonds du rail dans le volume que j'ai acheté, et qui regroupe plusieurs de ses textes dits "biographiques" (dont "Martin Eden").
SupprimerUn très grand roman, de ceux que je recommande à tous !
RépondreSupprimerNous sommes d'accord ! Ceci dit, Electra a publié ce jour un avis contraire au mien et à la plupart des lecteurs de ce roman, qui est fort intéressant...
SupprimerJ'ai vu le film qui en a été tiré, fabuleux.
RépondreSupprimerAh, je l'ai loupé, il faudra que je me fasse une séance de rattrapage..
SupprimerIl fait partie de ces romans qu'on voudrait garder auprès de soi toute sa vie. Comme je l'ai aimé. Comme il a trouvé des échos chez moi. Et ce que j'aime aussi, ce sont les pages qui m'ont parfois agacée sans pour autant m'éloigner de la beauté de ce texte.
RépondreSupprimerJe suis d'accord, j'ai moi aussi été parfois agacée par certaines postures de Martin, mais cela fait partie du personnage, cette présomption naïve qu'il affiche, et qui est finalement son moteur, ce qui lui donne de l'espoir en lui donnant la certitude qu'il arrivera à ses fins sans se compromettre..
SupprimerJe n'ai pas pu venir te voir pendant mon séjour en Lozère et je retrouve avec plaisir ce commentaire sur Martin Eden que j'aime beaucoup. Certains livres de London me déçoivent à cause du racisme dont il fait preuve, de son admiration pour "l'homme supérieur" qui, évidemment, ne peut être qu'anglo-saxon ! Mais j'aime toujours en lui, la force de cette autobiographie - Martin Eden- et ces romans proches de la nature où il manifeste à la fois une grande sensibilité au paysage, un sens du récit passionnant.
RépondreSupprimerEn tous cas c'est grâce à toi si je me suis enfin décidée à sauter le pas, et je t'en remercie ! Nul doute que je vais continuer de piocher chez toi d'autres idées pour approfondir ma découverte de cet auteur. Martin Eden restera une de mes lectures marquantes de l'année.
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