"Gros-Câlin" - Romain Gary (Emile Ajar)
"Ecoutez, mon père, ne me parlez pas de Dieu. Je veux quelqu’un à moi, pas quelqu’un qui est à tout le monde".
On comprend assez vite que Gros-Câlin n’est sans doute pas
la principale raison de l’incapacité de Michel, dont la narration révèle la
singularité, à rencontrer l’âme sœur. Sous le prétexte de composer un traité
sur les pythons, il saute du coq-à-l’âne, de digressions fantasques en réflexions
décalées, expliquant que pour coller à son sujet, il suit la démarche naturelle
du python, faite de "contorsions, sinuosités, spirales, enroulements et
déroulements successifs…". De la chaotique logorrhée qui en résulte,
sourdent ses angoisses et ses obsessions. De sa fascination pour Pierre Brossolette
et Jean Moulin dont des portraits trônent sur son mur à son idée fixe
concernant l’impérieuse nécessité que tout soit "démographique", de
sa passion pour Mlle Dreyfus à son amour pour Gros-Câlin, toutes ses lubies,
tous ses emballements renvoient à des rêves de fraternité, à un poignant désir d’être
utile et reconnu, et surtout de pouvoir écouler l’excédent d’amour qui l’habite.
Des aspirations contrariées par l’esprit de repli et de hargneuse compétitivité
qui gouverne le monde, par la froideur et l’anonymat qui entourent Paris et ses
10 millions d’habitants, par le fait "qu’il est arrivé trop tard" pour pouvoir
exercer sa générosité envers les juifs ou les noirs persécutés, …
Il faut dire qu’avec sa timidité maladive et surtout sa
vision du monde qui le rend si différent, Michel Cousin est désespérément seul car
inadapté aux relations sociales, comme l’illustrent les brefs et rares échanges
avec ses collègues, ses voisins, qui le considèrent avec une condescendance
amusée. Lui interprète l’indifférence, l’incompréhension des autres selon sa
propre logique, se fourvoie quant aux intentions d’autrui, et retire de ces
interactions une vague frustration qui entretient son mal-être et son sentiment
de solitude, d’être un "statisticien qui tend au zéro, (…) se sent de
plus en plus et non de moins en moins, car moins on existe et plus on est de
trop". Alors il se réfugie dans son petit quant-à-soi où il rumine ses
marottes, se raccroche à son "fort intérieur" et à Gros-Câlin, mais
la détresse, vicieuse, déjoue ses subterfuges et s’insinue, se transforme en
démence... Michel s’identifie à Gros-Câlin au point de se croire reptile…
Et voilà, encore une fois Romain Gary a réussi à me surprendre !
Sous ses dehors de fable à l’humour délirant, "Gros-Câlin" est traversé
d’une profonde tristesse et d’une sacrée dose de cynisme. La candeur de son
héros, sa façon de tout prendre au premier degré, sans jugement de valeur, lui
permet de jouer des idées reçues avec une impudence réjouissante.
Emporté par le raisonnement délirant de Michel Cousin, le
lecteur sourit et s’émerveille de la verve de l’auteur, du florilège de jeux de
mots, d’inventivités qui font virevolter son texte au propos pourtant douloureux.
Mais il est parfois aussi un peu perdu dans les méandres d’une logique qui lui
échappe, et se voit contraint de sauter certains passages qui décidément,
restent inintelligibles…
D'autres titres pour découvrir Romain Gary :
Je me souviens en effet d'une lecture déroutante, où on est paumé, avec un personnage attachant. Faudrait que je me remette à lire Gary, ça fait longtemps.
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup le retrouver régulièrement, et le fait de savoir qu'il a une bibliographie très très riche me réjouit car laisse augurer encore beaucoup de plaisir !
SupprimerIl faut décidément que je lise davantage Romain Gary, je ne connais que La promesse de l'aube et c'est trop peu !
RépondreSupprimerEt l'avantage avec Gary, c'est qu'il arrive à nous surprendre à chaque lecture, en abordant des thèmes différents, en variant ses choix narratifs, en mettant en scène des personnages à chaque fois très singuliers... Il nous a laissé une oeuvre très riche !
SupprimerOh comme j'ai aimé ce roman lu très récemment (l'été dernier), oui il y a des passages un peu obscurs mais ils ne m'ont pas gêné, c'est un livre à lire et relire.
RépondreSupprimerMais oui, c'est vrai que tu l'as lu dernièrement (je rajoute un lien vers ton billet). Et malgré les passages moins accessibles, j'ai aimé aussi.. de là à le relire, je n'en suis pas certaine, principalement parce qu'il me reste encore de nombreux titres de Gary à lire..
SupprimerJ'ai lu ce roman à sa parution sous le nom d'Emile Ajar alors que l'on ne savait pas encore que c'était Romain Gary qui l'avait écrit ! Je ne me souviens plus de l'histoire mais du thème principal, oui, cet homme qui a tant besoin d'amour et qui a pour ami ce python. Celui que j'avais préféré sous le nom d'Emile Ajar est La vie devant soi. Quel beau roman !
RépondreSupprimerJe trouve d'ailleurs assez significatif qu'il ait écrit sous deux noms, au vu de la variété de sa bibliographie. Et je suis d'accord avec toi, La vie devant soi est un roman vraiment marquant, j'adoré autant aimé l'histoire que la manière dont il la raconte..
SupprimerMais oui, Romain Gary surprend toujours ! Il me reste tant à découvrir de lui...
RépondreSupprimerPareil, et c'est une bonne nouvelle... Mon prochain sera sans doute Chien-blanc.. ou Les enchanteurs..
SupprimerComme je disais chez Krol, ce n'est pas mon Gary préféré mais tout comme toi, il a réussi à me surprendre ici, et c'est bien barré comme j'aime.:)
RépondreSupprimerOui, et puis la langue... je n'ai pas arrêté de souligner des passages, Gary est un véritable acrobate du langage..
SupprimerJe crois que je l'ai lu, mais je ne m'en souviens plus .. Ce n'est pas le roman d'Emile Ajar (même remarque que ClaudiaLucia) qui m'a le plus marquée.
RépondreSupprimerJe comprends, ce n'est pas non plus celui qui me marquera le plus, mais j'ai passé un très bon moment.
SupprimerJ'avoue avoir peu lu de l'auteur (auteurs?)
RépondreSupprimerMême pas "La vie devant soi" ?
Supprimeril fait partie des romans de Romain Gary qui me restent à lire, en fait je fais durer le plaisir...
RépondreSupprimerJ'ai un faible pour "La promesse de l'aube" et "La vie devant soi", j'en ai lu d'autres à l’adolescence donc jamais chroniqués :-)
Je te rejoins sur les deux titres que tu cites... et moi aussi, je fais durer le plaisir, et il y a de quoi faire !
SupprimerJe notes et puis les "Gros-Câlin", c’est toujours sympa :-) (Goran : http://deslivresetdesfilms.com)
RépondreSupprimerN'est-ce pas ? Au-delà de la dimension affective, je pense vraiment que le ton et l'écriture sont susceptibles de te plaire.
Supprimerje vais te surprendre : je n'ai jamais lu un roman de Romain Gary et j'ai abandonné La vie devant soi ...
RépondreSupprimerça va ? tu respires toujours ?
Rien ne me surprend, en matière d'affinités littéraires... Je peux éventuellement avoir des regrets, en me disant qu'il est dommage qu'un auteur qui me procure d'intenses plaisirs de lecture peut en laisser certains froids, mais je me dis que ces derniers trouvent forcément autant de plaisir dans d'autres écrits !! Tu te souviens pourquoi tu as abandonné La vie devant soi ? Je sais qu'avant de le lire, j'appréhendais un peu, car je me méfie beaucoup des romans sont le narrateur est un enfant...
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