"Le bruit du dégel" - John Burnside
"A quel moment en est-on venu à appeler la police pour peu qu’on voie quelqu’un aller à pied dans notre quartier ?"
C’est l’histoire d’une rencontre. Ou plutôt de plusieurs rencontres.Kate, la narratrice, revient sur une période où, encore traumatisée par la mort de son père, elle se laissait dériver pour anesthésier la souffrance, sombrant dans l’alcool et subissant les événements. Etudiante en cinéma, elle vivait alors avec Lauritz, colocataire et petit ami dont on ne sait s’il était génial ou juste provocateur, qui avait obtenu une bourse de recherche pour mener un projet cinématographique. Se définissant lui-même comme un anthropologue plutôt que comme un cinéaste, il avait chargé Kate de faire du porte-à-porte pour collecter les anecdotes d’anonymes, qui constitueraient la base de son prochain film.
C’est ainsi qu’elle fit la connaissance de Jean Culver, septuagénaire dont l'étonnante robustesse, l'ouverture d'esprit et la sereine assurance l'intriguèrent et l'attirèrent aussitôt. D'autant plus que Jean en avait, oui, des histoires à raconter… Elle conclut avec Kate un pacte tacite : ces histoires contre l'abstinence de la jeune femme.
Il s'agit donc de la rencontre entre deux femmes qu’a priori peu de choses rapprochent, mais qui vont nouer, au fil de conversations autour d’un thé et d’une assiette de biscuits, une relation profonde et touchante, mutuellement enrichissante, Jane racontant, à travers ses répercussions sur son existence et celle de ses proches, l’histoire d’un pays méconnue de ses habitants, marquée par la violence et l'injustice.
C'est ainsi qu'il est aussi question de la rencontre de Kate avec cette Histoire, l'étudiante représentant une jeunesse souvent ignorante d’un passé pourtant récent -le récit se focalise notamment sur le mouvement pour les droits civiques et la violente répression qui s'ensuivit et la guerre du Vietnam…-, et qui fait encore résonner ses échos dans l’Amérique d’aujourd’hui. Cette Histoire, Jean la transmet en redonnant corps à ceux qui l’ont vécue, racontant leurs vies pour ne pas les enfermer dans les clichés et les mensonges de ceux qui la font habituellement, vainqueurs ou industrie du divertissement qui l’interprètent, la tronquent afin de la faire adhérer à leur point de vue. D’en parler a posteriori permet de le faire en se détachant des dogmes, culturels, politiques, familiaux, qui ont, sur le moment, aveuglé. Et s’il est trop tard pour agir dans le sens de ce qu’avec le recul, on considère comme juste et important, il convient de faire connaître pour réhabiliter, mais aussi pour donner aux nouvelles générations les moyens de remettre en cause des vérités établies au profit de ceux qui ont fait de la nation américaine une société obsédée par la sécurité et le déni de sa propre iniquité.
Et c’est aussi, enfin, l’histoire de la rencontre, ou pour être plus juste, celle de retrouvailles, avec soi-même. Le récit de Jean, et ses questions jamais insistantes pour tenter de percer la carapace de sa détresse, finissent par mener Kate sur le chemin, si ce n’est d’une paix totale, d’une certaine résilience. "Le bruit du dégel" est ainsi, en plus d’un formidable plaidoyer pour la réhabilitation de l’Histoire dans toute son exhaustivité, un roman émouvant sur le pouvoir des mots, qui en transformant les événements en histoires, permettent de briser le silence, de dépasser la perte et la douleur, de se rouvrir à la vie.
Bonjour. J'ai lu quatre fois Burnside (Les empreintes du diable, Une vie nulle part, Un mensonge sur mon père, Scintillation) et je n'ai jamais été déçu. Et ce que tu nous proposes semble très intéressant. Merci.
RépondreSupprimerBonjour Eeguab, je n'ai jamais été déçue non plus sauf peut-être un peu par Un mensonge sur mon père, que j'ai trouvé différents de ses autres titres. Il me reste à découvrir Les empreintes du diable et Une vie nulle part, je m'en réjouis ! Et celui-ci est à lire, oui !
SupprimerJe ne connais que de nom cet auteur. Il ne me reste plus qu'à le lire.
RépondreSupprimerOh oui, c'est un incontournable, on sent le poète dans ses romans, mais toujours avec subtilité, il ne tombe jamais dans l'excès de lyrisme, tout sonne juste, et beau.
SupprimerRythme lent, musicalité du texte, je sens que c’est pour moi... (Goran : http://deslivresetdesfilms.com)
RépondreSupprimerJe confirme, il a tout pour te plaire !
SupprimerBurnside a vraiment une belle écriture, je sais.
RépondreSupprimerOh que oui, je m'en délecte à chaque fois !
Supprimerj'ai lu deux romans de l'auteur avec un certain plaisir mais sans vraie passion , néanmoins j'ai aimé l'atmosphère
RépondreSupprimerJe ne sais pas si je peux dire que je le lis avec passion, disons que ses romans ont sur moi un effet.. "enveloppant", il est donc sans doute bien question d'atmosphère, oui... Et puis quand même, quelle écriture, c'est beau !
SupprimerJ'ai beaucoup aimé cette lecture moi aussi et j'avais été assez marquée par "Scintillation". J'espère en lire d'autres de l'auteur.
RépondreSupprimerJe te rejoins complètement : Scintillation, avec lequel j'ai découvert cet auteur, a été une lecture frappante pour moi aussi.
SupprimerJ'ai beaucoup aimé aussi La maison muette.
Jamais lu cet auteur, mais je vois que c'est une erreur. Je vais me faire un petite liste de titres !
RépondreSupprimerOui, il FAUT le lire. Je conseille en priorité Scintillation !
SupprimerJe n'ai jamais lu cet auteur et j'ai pourtant noté Scintillation depuis longtemps.
RépondreSupprimerAh, un sacré texte que ce Scintillation ! C'est avec ce titre que j'ai découvert l'auteur, et il m'a beaucoup marqué, comme Aifelle ... tu n'as plus qu'à !
Supprimerah ah ! je l'ai lu en août 2018 et beaucoup aimé aussi !!
RépondreSupprimerAh, je suis ravie que l'on se rejoigne -enfin !- sur ce si beau roman !
Supprimerje n'ai lu aucun des livres de cet auteur.... Je le note :-)
RépondreSupprimerOui, Burnside est un grand écrivain, et sa bibliographie compte quelques pépites...
SupprimerJ'ai scintillation qui m'attend quelque part... Y'a plus qu'à... trouver le temps mais je sens que son écriture va me plaire...
RépondreSupprimerScintillation est à ce jour mon préféré, à la fois glauque et poétique (drôle de mélange, mais Burnside est capable de ça, oui...). Bonne future lecture !
SupprimerUn auteur qu'il me faudra découvrir un jour ou l'autre
RépondreSupprimerTrès bonne idée, et du plaisir en perspective !
SupprimerToujours pas lu Burnside mais un jour, un jour... J'avais noté La maison muette en priorité. J'avoue que je recule depuis que l'on m'a dit que son style était plutôt dans la veine "rythme lent" justement. J'ai un peu peur de ne pas y être sensible et de m'y ennuyer.
RépondreSupprimerC'est bien de commencer par La maison muette, par rapport à tes craintes, car c'est un roman assez court, et plus "resserré" que d'autres de ses titres. J'avais un peu peiné à la lecture de L'été des noyés, effectivement "lent", mais j'ai adoré Scintillation et celui-ci.
SupprimerC'est bien d'arriver un peu plus tard dans les commentaires ... Je n'ai plus qu'à noter Scintillation pour découvrir l'écriture "enveloppante" de cet auteur que je ne connais pas encore.
RépondreSupprimerUn auteur à la belle écriture, en tous cas, il faut juste être prévenu : ses récits demandent souvent une certaine patience.. mais Scintillation, oui, un incontournable !
SupprimerQuoi un Burnside que je ne connais pas... et on ne me dit rien... merci infiniment pour ce beau billet, je m'en vais me mettre à la recherche de cette pépite :-) (tous les Burnside sont des pépites même les vénéneuses)
RépondreSupprimerOh, cela fait un petit moment qu'il est paru (deux ans je crois) mais c'est son dernier traduit en français, et je crois qu'il n'est pas encore sorti en poche.. un très bon cru, en tous cas !
SupprimerJe n'ai encore jamais lu cet auteur mais cette chronique est très belle ! Je viens d'emprunter "Le bruit du dégel" !
RépondreSupprimerTrès bonne idée, j'espère que tu seras toi aussi séduite par la si belle écriture de John Burnside.
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