"Nous rêvions juste de liberté" - Henri Loevenbruck
Du choix des mots...
Mais peu importe après tout le cadre du récit…
… j’aurais pu m’attendrir pour cette bande d’adolescents bravaches mais sensibles, pas faits pour l’école (à moins que ce soit l’école qui n’est pas faite pour eux), ayant chacun une raison de se sentir exclus d’un monde normatif les considérant au mieux comme quantité négligeable, au pire comme des menaces. Des têtes brûlées attachées à leur propre code d’honneur, qui après un séjour en maison de redressement pour avoir dépassé les bornes, décident de prendre la route, à moto, pour partir vers l’ouest, à la recherche du frère de l’un d’eux.
… j’aurais pu trembler à la lecture du récit de leur périple, face aux dangers qui les assaillent, les mauvaises rencontres, la violence des rivaux défendant leurs territoires, les tentations toxiques et transgressives…
… j’aurais pu vibrer pour les valeurs qu’ils portent comme d’invisibles mais évidents étendards, amitié et loyauté, fraternité et honneur, et par-dessus tout ce désir de liberté, de se détacher de toute aliénation pour ne plus obéir qu’à l’appel de la route...
… j’aurais pu, enfin, m’attacher à Hugo, surnommé Bohem, narrateur de cette aventure depuis sa genèse -la rencontre avec Freddy Cereseto, pour lequel il éprouve une affection et une admiration indéfectibles, et qui l’initie à la moto- jusqu’à son ultime et terrible épisode, en passant par des moments enchanteurs et vibrants, d’autres intensément douloureux…
J’ai même particulièrement apprécié deux aspects de ce roman.
Le premier, c’est la manière dont l’auteur entoure volontairement le contexte de son intrigue -lieu et temps- d’une dimension floue, impalpable, en entremêlant aux indices qui ancrent le récit dans une époque (ils écoutent Queen, n'ont pas de tél portable...) ou un lieu (Providence, d’où sont originaires les héros, bien que fictive, présente toutes les caractéristiques de la morne bourgade provinciale française) bien réels à l’évocation d’éléments géographiques a priori incongrus (des mangroves, d’immenses déserts parsemés de cactus, des vallées ocres et rocailleuses…) qui revendiquent clairement une référence aux grands espaces mythiques de l’ouest américain. Le roman se pare ainsi d’une atmosphère singulière, mêlant le fantasme au concret.
Et j'ai aussi aimé la fin, glaçante, plombée par la désillusion, mais je ne vous en dis pas plus…
Bon, vous vous doutez bien qu’il y a un bémol à tout ce qui précède… et c’est un bémol de taille, puisqu’il est lié au style, que j’ai trouvé tout au long de ma lecture, comme "fabriqué", peu naturel. Henri Loevenbruck émaille son récit d’incorrections grammaticales certes volontaires, puisqu’elles ont pour but de doter son narrateur d’une voix crédible, reflétant sa manière de s’exprimer, mais qui m’ont paru "forcées" et manquant de justesse. Comme j’ai lu ce titre juste après un roman de John Burnside, dont l’écriture est au contraire très soignée, élégante, je me suis dit dans un premier temps que mes réticences étaient peut-être dues à un effet de contraste, et que j’allais m’accoutumer à la voix de Bohem. Mais non, rien à faire, au lieu d’écouter ce dernier, j’ai passé ma lecture à voir transparaître les efforts de l’auteur pour façonner la singularité de son héros.
(Quelques exemples : "Ça nous laissait pas mal d’occasions qui faisaient le larron", "(il) avait tout le temps l’air d’avoir honte à cause de la timidité comme maladie", "On n’en menait pas large du dedans", "J’aurais juste voulu savoir s’ils allaient bien dans leur intégrité", "Ces gens vachement déracinés comme mauvaises herbes", "Nous on était différents pas pareils"…). Vous voyez ce que je veux dire ?
Je termine sur un deuxième reproche, lié cette fois à la nature même de l’intrigue, que j’ai trouvé par moments trop chargée en testostérone, voire plombée de relents sexistes… les courses de vitesse, les concours de tatouages et de roues arrière pour les messieurs, passent encore, mais ceux de tee-shirts mouillés pour des filles qui, notons-le par ailleurs, n’intègrent les fameux MC (club de motards) qu’au titre de petites amies qu’on se partage, et jamais comme membres à part entière, ça froisse un peu ma propre idée de l’honneur et de l’amitié…
Mais pas de regrets : j’ai eu le plaisir de faire cette lecture en commun avec Lisa Le Pingouin, dont L'AVIS (très enthousiaste, contrairement au mien) EST ICI, et que ce fût l’occasion de sympathiques échanges à bâtons rompus… On renouvelle d’ailleurs très bientôt l’expérience !
Commentaires
Qui a quand même pris la peine de décortiquer les ficelles de bonhomme sur un autre roman :
http://www.encoredunoir.com/article-l-apothicaire-d-henri-loevenbruck-113782634.html