"Le discours" - Fabrice Caro
"On n'est jamais aussi seul que lorsqu'on se retrouve seul, le vide attire le vide. Un seul être vous manque et tous les autres prennent la fuite."
Pas de déception cette fois-ci, c’est avec beaucoup de plaisir -et le sourire aux lèvres- que j’ai découvert la plume alerte de Fabrice Caro.
L’intrigue et le décor sont minimalistes : tout le roman se déroule à table et au cours d’un unique repas, chez les parents d’Adrien, le narrateur, où sont également conviés sa sœur et son fiancé. Ce dernier vient justement de lui demander de faire un discours à l’occasion du mariage qui l’officialisera bientôt en tant que beau-frère. Adrien aurait bien refusé. Il n’est guère doué pour les discours, et rien que la perspective de la fête, avec son incontournable et cauchemardesque chenille en point d’orgue, lui donne des sueurs froides, alors y prendre publiquement la parole pour vanter les qualités d’une sœur qui à chaque anniversaire, lui offre d’improbables et inutiles encyclopédies…
Mais Adrien est de ceux qui n’osent pas dire non. Sans doute peut-on même, à l’aune des critères normatifs d’une société qui juge les individus à leur compétitivité, dire de lui que c’est un raté. A quarante ans passés, il est toujours célibataire, et pire encore, toujours locataire, au grand dam de sa mère, pour qui la réussite rime avec "faire construire". Adrien, c’est celui que ses camarades ne choisissaient jamais pour composer une équipe de foot, celui qu’à force de discrétion et de timidité, on finit toujours par oublier…
Et pour ne rien arranger, Adrien vient de se faire larguer par Sonia, qui il y a un peu plus d’un mois, a exprimé son besoin de "faire une pause". Sonia à qui (il n’a pas pu résister) il a envoyé un texto faussement anodin parce qu’enfin, ce n’est pas possible que ce soit terminé avec sans doute la seule personne à l’apprécier pour ce qu’il est vraiment… En attendant, le voilà obnubilé par le fait que la belle n’a toujours pas répondu à son message. Angoissé, désespéré, mais tentant de faire bonne figure, il a du mal à s’impliquer dans la conversation familiale.
Ceci dit, suivre les échanges n’est pas compliqué : ce sont toujours les mêmes sujets, non conflictuels et d’une banalité mortifère, qui reviennent, la taxe d’habitation et les avantages du chauffage au sol ponctuant le début du plat qu’achève le cancer d’un oncle, avant de laisser avec le fromage la place à la liste des connaissances qui, ça y est, font enfin construire, elles...
C’est enlevé et drôle, oui. Au fil de son monologue intérieur, le narrateur pointe du doigt les petits travers de ses proches, mais fait aussi preuve d’auto-dérision, en se focalisant sur des détails qui exhaussent la vacuité de leurs préoccupations, qu’il oppose à leurs efforts pour n’aborder aucun sujet vraiment sérieux. Il en résulte des rapports oscillant entre non-dits, consensus respectueux et acceptation polie. Personne n’ose se dire vraiment, confit dans le banal et la répétition de l’insignifiant afin d’éviter les conflits ou les émotions trop fortes.
Mais que l’on ne s’y trompe pas : sous l’humour et la dérision, affleurent l’insondable solitude et la détresse qu’à la fois révèlent et génèrent ces paisibles échanges que l’on dirait réglés comme du papier à musique, qui masquent l’incapacité à vraiment écouter l’autre, et à l’aimer pour ce qu’il est, avec ses failles, sa singularité…
Adrien lui-même, conscient du leurre, est désabusé mais passif, et applique les codes requis pour ne pas faire de vagues, cherchant le salut et la reconnaissance hors du cercle familial..
Commentaires
Contrairement à la plupart des lecteurs, j'ai même préféré "Broadway" au "Discours" même si on peut faire de nombreux parallèles entre les deux histoires.
Et pour le clin d'oeil, si tu ne les as pas déjà vues, tu apprécieras peut-être de retrouver l'esprit du roman dans les bandes-annonces de l'adaptation ciné : Teaser 1 / Teaser 2.