LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"Disparitions" - Natsuo Kirino

"Depuis quatre ans, sans relâche, elle était à la recherche d’une chose qu’elle avait oubliée".

Bien qu’estampillé "thriller", "Disparitions" est davantage un roman psychologique qu’à suspense. Et j’ai aimé le fait d’être surprise par les chemins inattendus que Nastuo Kirino fait prendre à son intrigue, dont l’ossature est finalement minimale : lors d’un séjour des Morikawi dans la résidence secondaire que Yôhei Ishiyama, leur hôte, a acquise entre autres pour y abriter ses amours clandestines avec Kasumi Morikawi, leur fille aînée Yuka, cinq ans, disparaît inexplicablement. Il a suffi de cinq minutes d’inattention pour que l’enfant, littéralement, se volatilise. Aucun véhicule n’aurait pu passer inaperçu des rares habitants de ce lotissement isolé en pleine montagne ; or, personne n’a rien vu, rien entendu. Et malgré les recherches, la fillette reste introuvable (et ne vous fiez pas à la quatrième de couverture qui indique, à tort, que son cadavre est repêché dans l’océan, …).

Avant le drame, le roman s’attarde sur la passion dévorante qui unit Kasumi à Ishiyama, tous deux mariés et parents de deux enfants, dont la liaison est arrivée à un point de bascule, le couple s’apprêtant à franchir le pas d’une séparation avec leurs conjoints respectifs, projet que rompt brutalement la disparition de la fille de Kasumi. A renforts d’incursions dans le passé de cette dernière, la première partie du roman est aussi l’occasion de faire connaissance avec celle qui en est le personnage central. Une héroïne complexe, auréolée d’une part de mystère, elle-même au cœur d’une autre disparition, celle-ci volontaire. A dix-huit ans, Kasumi a fugué, fuyant son morne petit village de l’île d’Hokkaïdo, rejetant ses origines modestes et villageoises pour le rêve d’une vie citadine de richesse, de désinvolture et d’élégance. Elle a alors définitivement rompu tout lien avec ses parents, refusant même de prendre de leurs nouvelles, de crainte d’être retrouvée. La vie à Tokyo n’a toutefois pas répondu à ses attentes : bien qu’à peu près confortable, elle est loin du pétillement qu’elle imaginait. Mais Kasumi a gardé cette détermination et cette aura énigmatique qui l’a toujours rendue différente, cette part d’insondable mystère qui fait que son amant la compare à un animal sauvage qu’on peut éventuellement approcher et séduire, mais jamais vraiment comprendre.

A partir du drame, survenu dans la région d’où Kasumi est originaire, coïncidence qui la perturbe, nous suivons la dérive de cette mère rongée par la culpabilité (n’était-elle pas prête à abandonner ses filles pour vivre avec son amant ?), incapable de faire son deuil. Quatre ans après la disparition irrésolue de Yuka, elle continue d’entretenir un espoir insensé, se livrant à chaque date anniversaire du drame à de pathétiques recherches, s’enfermant dans une obsession tyrannique et morbide aux dépens du reste de sa vie et de ses proches, notamment de sa deuxième fille, réduite au rôle de sœur de la disparue.

Sa rencontre avec un policier qu’une très grave maladie à l’issue proche et fatale a contraint à quitter ses fonctions est à l’origine d’un improbable duo que nous suivons dans la seconde partie du roman. Utsumi est un cynique à l’ambition dévorante, un flagorneur dénué de tout principe, qui combattait le crime non par conviction ou par sens de la justice, mais pour en tirer profit, se faire valoir. Un reportage télévisé l’a incité à consacrer ses derniers mois à la recherche de Yuka, mais ses motivations sont confuses, et obscures. On devine que trouver un suspect ou la fillette ne l’intéresse pas tant que de percer, comme l’on se distraie en cherchant à résoudre une énigme, le secret que semble abriter Kasumi. Cette dernière n’est d’ailleurs pas plus certaine des raisons qui lui font accepter la présence d’Utsumi, dont la perspective de la mort proche la fascine. Ces deux-là n’ont a priori rien en commun, ni aucune compréhension à attendre l’un de l’autre. Chacun est replié sur ses plaies, focalisé sur ses propres motivations. Ce qui les réunit est finalement ce qui les distingue des autres, un rapport au temps que les tragédies qu’ils ont subies ont déterminé, Kasumi dans une sorte d’éternel et cauchemardesque présent, celui de la disparition, qui a bloqué l’horloge dont la parentalité impulse le rythme, et Utsumi pris dans un compte à rebours inéluctable, mais comme marquant un temps d’arrêt face à l’invincible réalité de sa fin prochaine.

Un roman riche et prenant, qui décortique les répercussions dévastatrices de la perte, et qui ne doit pas tant sa dimension énigmatique à une intrigue policière quasi inexistante qu'aux mystères qui se nichent dans la complexité et la singularité des êtres. 


Une participation au Mois Japonais de Lou & Hilde


Commentaires

  1. Je l'avais lu en 2016, et j'avais bien aimé, à part quelques longueurs. J'avais par contre tiqué sur deux mots dont la traduction était un peu bizarre dans le contexte: "kermesse" et "coron" (j'ai été relire mon billet de l'époque).

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    1. C'est vrai qu'il est touffu, et peut-être parfois un peu répétitif, mais je trouve que ces longueurs même participent à nous imprégner du fond..

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    2. Et oui, j'ai moi aussi été étonnée par l'utilisation du terme "coron" par des japonais !

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  2. Ça tombe bien, je préfère les romans psychologiques au thriller (Goran : https://deslivresetdesfilms.com/)

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    1. Dans ce cas, il devrait te plaire, d'autant plus que les personnages ont un côté un peu "tordu" !

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  3. Je suis un peu comme Goran, sur le sujet.
    Et, comment ça, la quatrième raconte n'importe quoi? ^_^

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    1. ABSOLUMENT, c'est à croire que celui qui l'a rédigée n'a pas lu le livre, ou s'est trompé de titre ...

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  4. Un roman psychologique japonais, je me le note ;)

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    1. Bonne idée, c'est une découverte intéressante, je reviendrai vers cette auteure.

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  5. Pourquoi pas.....? J'avais bien aimé "Le Vrai monde" alors.....?

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    1. Je suis allée lire ton article sur "Le vrai monde", et tu m'as convaincue, d'autant plus qu'il semble de la même veine que celui-là (tu entames toi aussi ton billet par le fait que le classement en "thriller" est trompeur...).

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    2. Bin plutot suspens....qui donne des frayeurs....;).....

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    3. Donc clairement, ce n'est pas ce que tu trouveras dans ce titre..

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  6. Bin oui cela semble etre un bon Thriller...alors je note

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    1. Tout dépend de ce que tu attends en lisant un "thriller" : il n'y a pas de résolution de l'enquête policière, ici, et elle est complètement reléguée à l'arrière-plan.

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    2. Mdr je me suis trompee d'endroit pour repondre....sorry.....mais okidou.....mais il semble bien quand meme...;)

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    3. Pas de souci, j'ai bien vu ton commentaire quand même !

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  7. Je ne connais pas. Pour l'instant, je ne fais plus de lecture pour le mois du Japon mais je note pour plus tard :-)

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    1. C'était une découverte pour moi aussi, et une bonne pioche, je reviendrai vers cette auteure.

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  8. C'est vrai que la dénomination polar ou thriller me fait fuir mais puisque tu dis que c'est trompeur... on verra.

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    1. Oui, ne t'arrête au fait que ce titre se trouve au rayon polar des librairies, c'est un roman sur le seuil, la perte et la culpabilité, qui traite ses personnages et les relations qui les lient avec justesse et profondeur.

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  9. Entre le Japon et moi, il y a trop de kilomètres. Les seuls romans japonais ou chinois lus ne m'ont pas laissé d'empreintes. À mes yeux, quelque chose de flou, de nébuleux, de trop mystérieux, plane sur cette littérature, me la rendant hermétique.
    Et puis.... 552 pages? Non, merci! Ma PAL et ma liste d'envies n'en peuvent plus!

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    1. En réalité, il pourrait se passer n'importe où. Le seul élément qui nous rappelle de temps en temps que nous sommes au Japon, c'est la distance et la pudeur qui président aux relations avec ceux qui ne sont pas vraiment proches. Mais à part ça, je n'ai eu aucun mal à comprendre les personnages... Mais je comprends aussi tes contraintes PALesques, ayant un peu les mêmes !!

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  10. J'aime beaucoup cette auteure. Je me réjouis d'avoir encore ce titre à lire.:)

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    1. Quel autre titre me conseilles-tu pour continuer sa découverte ? Le Bouquineur a aimé "Le vrai monde", mais je crois qu'elle a une bibliographie assez volumineuse..

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    2. J'avais vraiment adoré Out.

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  11. Il y a beaucoup d'ingrédients qui pourraient me plaire dans ce roman. Je le note.

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  12. "thriller" en anglais veut dire suspense et roman psychologique à la fois - en français on aime bien faire la distinction et je te rejoins, car contrairement à toi je préfère le suspense aux romans psychologiques ! Mais là j'avoue que l'histoire est vraiment intéressante, je note les longueurs mais ça donne envie ! pour la 4C, les éditeurs peuvent aussi raconter bien des bêtises ! mais inventer une fin à l'enfant... bizarre ! je vais voir si dispo à la Bibliothèque - sais-tu s'il est récent ou pas ?

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    1. Ton commentaire m'a fait penser à un autre (très vieux pourtant) laissé suite à un autre article où j'exprimais la même chose qu'ici à propos des classifications polar/thriller :
      "Polar" est une appellation qui en englobe beaucoup d'autres, et qui n'implique pas nécessairement de meurtre ni d'enquête. Par exemple de le roman noir ou le thriller, qui sont dérivés du polar, il n'y a pas toujours une enquête.

      Et non, il n'est pas très récent, mais je crois qu'il a été réédité en poche l'an dernier. Je pense qu'il est du coup assez facile à trouver.

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  13. Je ne connais pas cet(te) auteur(e) et j'ai l'impression que ça pourrait me plaire. Je suis en plein dans un suspense psychologique belge de la même veine... ("Je sais pas" de Barbara Abel).

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    1. J'attends ton avis avec impatience sur le titre belge, dans ce cas !

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  14. Malgré ta note positive, je sais que je ne vais pas y arriver, pas d'enquête, des personnages repliés sur eux mêmes, c'est trop japonais pour moi, la pudeur extrême, l'immobilité, la contemplation, une sorte de malaise malsain auquel je ne comprends rien la plupart du temps ...

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    1. Je pense qu'il est en effet plus sage que tu passes !

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  15. Je ne lis quasiment pas de polar. Je devrais peut-être m'y mettre. Alors je me sens vite loin du public pour ce genre de roman.

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    1. A une époque, je ne lisais que des polars ! Et maintenant, je ne fais plus vraiment de distinction entre polar ou "littérature blanche", même si je lis davantage de cette dernière. J'aime les 2.. et parfois, comme c'est le cas pour celui-là, la classification en "polar/thriller" peut sembler un peu arbitraire, quelqu'un qui aime les analyses psychologiques et les personnages complexes s'y retrouvera.

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  16. Lu il y a un bon moment, j'en garde un souvenir d'étrangeté ...

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    1. Oui, c'est vrai, surtout en deuxième partie je trouve, avec la rencontre de ces deux personnages qu'a priori tout sépare...

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