"Rodéo" - Aïko Solovkine
"Gauche. Droite. Accélération. Concentration. Épuiser la proie. La laisser filer et l’encercler plus tard, plus loin. Ensuite s’amuser, et que chacun y trouve son plaisir avant d’à nouveau disparaître dans la nuit."
Dans une langue d’une précision et d’une férocité percutantes, "Rodéo" brosse le portrait d’une jeunesse désœuvrée, membres d’un lumpenproletariat évoluant dans un néant semi-agricole et périurbain, attendant qu’on lui trouve une valeur marchande.
Ils n’ont aucune conscience politique ou sociale, des capacités intellectuelles limitées ou inexploitées, mais éprouvent une rage sur laquelle ils ne savent pas mettre de mots, celle d’exister dans ces microcosmes coquets identiques d’un village à l’autre, bleds vides et mornes qu’ils ne songent pourtant pas une seconde à quitter, et dont ils adopteront finalement les codes avec application. Voués à une calvitie précoce couronnant leur silhouette bedonnante. Condamnés à adopter la même déco kitsch et surchargée que leurs parents, à considérer comme une fin en soi l’acquisition par traites mensuelles d’une cuisine équipée ou du dernier cri en matière de gadgets électroniques, à éponger par des crédits les fins de mois problématiques. Ils seront même prêts, le temps venu, à faire des efforts pour rentrer dans le rang : éviter les bagarres, cesser de faire des doigts d’honneur aux filles. Consommer. Fonder une famille, dont les enfants porteront comme eux des prénoms à consonnance anglo-saxonne. Si possible trouver un boulot. Se résigner, sans le conscientiser, à rentrer dans ces existences toutes tracées, sans surprise ni déviation.
Mais en attendant, ils ont le sang brûlant, avide de mouvement, de folie et d’intensité. Sont en quête de parenthèses où la vie bat plus vite, plus fort. Mus par une violence atavique et une idée primitive de la virilité, excités par l’alcool et les amphétamines, ils se grisent de vitesse et de danger au volant de leurs bagnoles bricolées, effraient les jeunes filles qui ont le malheur de croiser leur route, rejouant les règles d’une chasse impitoyable et séculaire, dont l’issue est parfois fatale…
Aïko Solovkine trace les chorégraphies macabres et les rituels cruels dans lesquels cette jeunesse à l’imagination mesquine et brutale oublie son statut de laissés-pour-compte à coups de phrases brèves mais éloquentes, saisissant l’essence d’instants que leur dimension significative rend immuables, et créant un effet de martèlement addictif qu’elle entrecoupe de brèves pauses au cours desquelles le rythme se fait plus ample, la langue moins tranchante. Il se dégage de son texte une énergie qui, associée au réalisme cru et violent de son propos, laisse le lecteur en apnée.
A lire, bien sûr !
Une idée piochée chez Marie-Claude et Miss Sunalee, et une deuxième participation au Mois Belge.
Je sens que ça doit saboter le moral? ^_^
RépondreSupprimerAh, c'est sur que ce n'est pas très gai, et même carrément macabre à la fin..
SupprimerTu commences la semaine avec encore une bluette :-) Tu dors bien toi ?
RépondreSupprimerHormis les picotements nasaux provoqués par l'afflux de pollens, ça va !
SupprimerMalheureusement c'est la réalité de beaucoup de jeunes aujourd'hui, me semble-t-il. Mais je ne sais pas si j'ai envie de lire ce livre ??
RépondreSupprimerTu as raison, cette situation n'est pas propre à la Belgique. C'est à lire, quand même, pour l'écriture, et la force qu'elle dégage.
Supprimermoi et les romans belges.. je passe !
RépondreSupprimerLa provenance du roman importe peu ici, il pourrait se passer dans n'importe quelle zone périurbaine d'un pays "dit civilisé" !
Supprimerwhaoou !! quelle belle chronique ! Ce roman est publié chez quel éditeur?
RépondreSupprimerMerci. La maison d'édition, c'est "Espace Nord", spécialisée dans la littérature belge francophone.
Supprimermoi j'ai adoré ! j'y ai reconnu des bouts de Belgique ;-) (et pourtant, c'était sans doute le premier roman belge francophone que je lisais, je ne suis en général pas attirée par ça - les flamands, ça passe beaucoup mieux - il y a plein de raisons derrière ça, les principales étant que ma famille est d'origine flamande et que je travaille pour les francophones et que donc je vois de près ce qui s'y produit). De toutes façons, je suis un vrai melting pot qui ne trouve sa place dans aucune des deux communautés...
RépondreSupprimerComme évoqué ci-dessus, ces comportements ne sont pas, pour moi, propres à la Belgique et ne sont pas forcément représentatifs (heureusement) de l'ensemble des populations qu'on dit maintenant "périurbaines". Les descriptions de leur mode de vie m'ont fait penser à "En finir avec Eddy Bellegueule", d'Edouard Louis (qui dépeint son quotidien d'enfant dans une Picardie qui ressemble fort au contexte de "Rodéo").
SupprimerQuel billet! J'en ai le souffle coupé! Tu as trouvé les mots parfaits.
RépondreSupprimerSi je n'avais pas déjà été happé, je te dirais: il me le faut, ce roman!
Tout ce que je peux dire, c'est: vivement son prochain.
Je suis bien d'accord !
SupprimerAh bah oui tu as pioché l'idée chez Marie-Claude, tu m'étonnes que ça soit noir... et ben maintenant, que fais-je ? Hein ? Parce que bien sûr, il a tout pour me plaire ce roman !
RépondreSupprimerLaisse-toi tenter (si tu savais la razzia que j'ai faite en librairie la semaine dernière !!...)
SupprimerSi tes prochains billets sont aussi percutants, je sens que je vais vite reremplir ma PAL! :-0
RépondreSupprimerNon, j'ai enchaîné avec des lectures différentes. Elles m'ont plu, pour la plupart, mais n'ont pas été aussi intenses que celle de ce "Rodéo"..
SupprimerPas possible de répondre en dessous de ta réponse, mais en même temps, la Picardie est assez proche de la Belgique (j'ai lu Eddy Bellegeule). Et sans doute qu'on retrouve ces traits ailleurs, en France, aux Etats-Unis... mais j'y ai retrouvé des choses qui m'ont semblées très proches de ce que je connaissais, la Nationale, la Golf, la musique, le foot qu'on regarde ensemble... (si je me souviens bien, j'ai déjà un peu oublié).
RépondreSupprimerOui, je vois ce que tu veux dire, il y a en effet à l'intérieur de ces "microcosmes" des éléments qui leur sont propres, parce que les influences culturelles, notamment, sont différentes.
SupprimerJe suis mitigée, là ... des dérapages incontrôlés, une atmosphère à la Eddy Bellegueule ... En même temps, l'énergie et l'apnée ... Pas de nouvelle sortie en librairie prévue pour le moment, je me donne un peu de temps avant de craquer !
RépondreSupprimerGarde-le en tête oui, je pense qu'il peut te plaire... le contexte m'a fait penser au roman d'Edouard Louis, sauf que là on est davantage du côté de ceux qui le harcelaient que du sien..
SupprimerVoilà un enthousiasme des plus contagieux malgré la dureté du thème ! Patrice
RépondreSupprimerL'écriture m'a emballée, oui, ainsi que l'énergie que dégage ce récit, malgré un contexte sordide.
SupprimerAvec une chronique pareille, difficile de ne pas se sentir attirée par ce bouquin. Très très tentant !
RépondreSupprimerAlors j'ai atteint mon but ! Une chouette découverte. Si tu aimes les textes forts, il est pour toi.
SupprimerQu'est-ce que j'avais aimé ce livre ! Un coup de cœur qui me reste en pensée.
RépondreSupprimer(je vais essayer de faire changer d'avis Electra sur la qualité des romans belges, ma patrie 😁)
Je te souhaite de réussir, mais je reste sceptique en voyant qu'elle n'a pas été tentée par ce titre malgré l'éloge qu'en a fait Le Caribou ! Elle ne sait pas ce qu'elle loupe (parce que je suis sûre qu'il lui plairait...).
Supprimer