"Presqu’îles" - Yan Lespoux
"Le premier noyé de la saison, c'est un peu comme l'ouverture de la cabane à chichis, la première grosse pousse de cèpes ou la première gelée : ça rythme l'année."
C’est dans celui des landes ponctuées d’interminables forêts
de pins que quadrillent pistes et pares-feux, des longues plages barrées de
cordons de dunes où se forment les mortelles baïnes. Celui des bleds perclus, l’hiver,
sur des saisons mornes et humides, avec un vent qui s’insinue partout, et un
isolement qui fait vite oublier l’animation estivale et touristique.
En une succession d’épisodes souvent très courts, comme
formant différentes parties d’un tableau, il caractérise un lieu mais aussi et
surtout ses habitants, dont il évoque les comportements et les habitudes forgés à force de rites et de règles tacites mais fortement ancrés dans cette
terre bordée à l’ouest par l’océan et à l’est par l’estuaire de la Gironde,
sorte de cul-de-sac dont pendant longtemps très peu se sont extirpés.
D’une plume alerte, au trait féroce et souvent très drôle, il fait
défiler drames ordinaires et aventures pathétiques, tranches du
quotidien ou moments de bascules, dont les acteurs sont pour la plupart des
hommes. Les conversations volent rarement haut, ponctuées d'abondants "enculé",
interjection habituelle et machinale qui conclut presque toute phrase. Les
esprits sont souvent échauffés par l’alcool, l’heure de l’apéro ou de la bière
survenant plus souvent qu’à son tour.
C’est un territoire non pas, comme d’autres, de taiseux (hormis
quelques vieux ou vielle qui préfèreraient mourir plutôt que de dévoiler leurs
coins à cèpes), mais plutôt d’hommes bravaches, à la virilité brutale et
bornée, de cow-boys à la gâchette facile, sans grâce ni élégance, capables de dézinguer
d’un coup de fusil de chasse celui qui touche à leur bien.
On y méprise l’ordre et la loi venus d’ailleurs, c’est d’ailleurs
plus excitant de chasser ou de pêcher quand c’est interdit. On s’y livre à
toutes sortes de trafics, gros ou petits (les pinèdes dissimulent parfois d’étranges
plantations…) par goût de la transgression plus que par appât du gain, un
héritage, peut-être, de ces ancêtres naufrageurs qui faisaient s’échouer les
navires pour en voler les marchandises.
L’autre y est d’emblée rejeté, la différence stigmatisée. Et
il est facile d’y être un étranger, tant y est fort ce sentiment d’appartenance
atavique qui pousse à se différencier même de celui qui s’est installé là
plusieurs décennies auparavant, et qui restera, pour toujours, Bordelais, Charentais,
parisien, ou basané…
Quelques moments de grâce ou de sensibilité apportent
toutefois des bouffées d’air (et empêchent le recueil de verser dans une vision caricaturale) : un sentiment d’émerveillement et d’humilité
face à l’élégance d’un cerf ou à la puissance de l’océan ; le dégoût que
fait naître une séance de dépeçage après la chasse (qui se pratique génération
après génération) ; le souvenir ému d’un vieil immigré espagnol face à l’épave
du rafiot au bord duquel ses parents ont fui le franquisme, venu s’échouer en
1937 sur les plages canaulaises.
L’écriture est efficace et précise. Yan Lespoux sait en quelques phrases planter un décor et une atmosphère, camper un personnage. Son recueil donne vie à des ratés, des amoureux, des malheureux, des rustres..., au fil de scènes dont la dimension anecdotique est parfois transpercée par l’horreur qu’amène une chute inattendue et cruelle, transformant une méchante blague en drame que l’auteur pimente d’un humour très noir.
Une réussite.
Si je me fie à la citation, oui, humour noir!
RépondreSupprimerOui, c'est noir et succulent !
SupprimerL'avis de Krol, plus le tien, c'est un auteur à retenir.
RépondreSupprimerJe le découvre moi-même. Pour info, Yan Lespoux est par ailleurs l'auteur du blog "Encore du noir", spécialisé, comme son nom l'indique, dans le polar.
Supprimertrès beau retour de lecture de ce recueils de nouvelles que j'avais pour ma part énormément apprécié également ! Comme quoi, les nouvelles ont toutes leur place sur les étales des libraires, et qu'elles délivrent le même plaisir ! :)
RépondreSupprimerJe suis tout à fait d'accord avec toi. La nouvelle est un art difficile qui, lorsqu'il est exercé avec talent, donne des textes remarquables.
Supprimerdes ingrédients qui me parlent ! Dommage qu'il ne soit pas à ma bibliothèque.
RépondreSupprimerCela viendra peut-être. Comme je vis à Bordeaux, il m'était à l'inverse difficile de ne pas tomber dessus, il a été largement mis en avant en librairie et en médiathèque...
SupprimerComme je l'ai écrit chez Krol, ce recueil a tout pour me plaire !
RépondreSupprimerJe le crois aussi, tu n'as plus qu'à te lancer !
SupprimerHum...Le charme des gens nés quelque part, avinés et un brin consanguins ? L'idée est séduisante dommage que le format nouvelle ne me plaise pas ...
RépondreSupprimerPourquoi ne pas essayer tout de même ? C'est un recueil court, et qui par conséquent engage peu.
SupprimerCe recueil sera en belle place dans mon programme de mai 2022!
RépondreSupprimerChic ! Je pense qu'il te plaira...
SupprimerJ'aime ce genre d'atmosphère !
RépondreSupprimerDans ce cas pas d'hésitation, plonge au cœur des pinèdes !
SupprimerCe que tu dis des personnages de ces nouvelles me donne envie de m'y plonger.
RépondreSupprimerJ'ai beaucoup aimé, le ton entre truculence et sordide, et je suis ravie d'avoir donné envie de le découvrir.
SupprimerBonjour Inganmic, moi qui apprécie l'humour noir, j'ai noté ce recueil d'un écrivain dont je suis le blog avec intérêt. C'est un monsieur qui rédige très bien. Bon dimanche.
RépondreSupprimerBonjour Dasola,
SupprimerJe pense que son recueil te plaira, je l'ai trouvé vivant, et leur territoire commun donne à ces textes une belle cohésion.
Bonne semaine.
L'idée de regrouper les nouvelles sur un territoire est une construction que j'avais particulièrement apprécié dans La haut vers le nord de Boyden et aussi dans Angélus de Tim Winton. Deux excellents titres par ailleurs ( et merci pour le Winton que j'avais noté grâce à toi). je note donc ce nouveau conseil, en étant quasi certaine d'apprécier, une fois de plus !
RépondreSupprimerJ'ai justement lu l'avis récent de Krol sur le Boyden, que j'ai noté avec empressement !
SupprimerEt ce titre devrait te plaire, comme Atkinson, on est à la fois dans du sombre & ludique, bien que le ton soit très différent, plus terre-à-terre (c'est le cas de le dire !).
un beau recueil qui prouve que la nouvelle a toujours toute sa place dans le paysage littéraire , et qu'elle peut procurer autant de plaisir qu'un bon roman ! Personnellement je pense qu'en plus que c'est un exercice plus difficile qu'il n'y paraît pour un écrivain, car il faut condenser en peu de pages tout l'univers , toutes les sensations, les images et les idées que l'auteur veut traduire et transmettre à son lecteur. Pas facile. Yan Lespoux y arrive parfaitement !
RépondreSupprimerNous sommes entièrement d'accord, l'art de la nouvelle est complexe... je suis justement en train d'en lire pour janvier, une blogueuse propose une activité autour de ce genre : https://jelisjeblogue.blogspot.com/2023/12/challenge-bonnes-nouvelles-j-31.html
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