"Querelle" - Kevin Lambert
"Les mères sont aussi perverses que leurs époux lubriques. Elles savent toutefois que les fils n’ont rien à faire des romances incestueuses."
Et pourtant, il y est au départ question, paraît-il, de "fiction syndicale", un sujet qui ne prépare guère le lecteur à ce prologue cru, égrenant des images de sexe brutal (voire déviant), qui semblent jaillir de la plume de l’auteur avec une spontanéité jouissive, mais aussi avec panache, parce qu’il a, il faut bien le dire, du style. Un sens aigu du rythme, un réel talent pour convoquer des images pénétrantes…
Ce prologue nous présente Querelle, le principal personnage de cette histoire. Un héros à la beauté affolante et à la réputation sulfureuse, qui pratique le sexe avec une forme de génie qui jette à sa porte et dans son lit, éperdus d’amour et de désir, tous les jeunes garçons de Roberval. Hors chambre, c’est toutefois un homme discret, peu disert, qui s’adapte avec aisance et simplicité à son environnement. Embauché il y a quelques mois à la Scierie du Lac, il s’est sans hésiter associé au mouvement de grève lancé par ses collègues. Les journées consistent à faire le piquet devant l’entreprise, entre la 169 et le lac Saint-Jean, en affrontant le froid mordant et les longues heures de stationnement à coups de gobelets de café.
Le conflit va s’éterniser de longs mois durant, opposant salariés et patrons dans une guerre de plus en plus violente où tous les coups sont permis, la sympathie initiale des concitoyens pour leur mouvement se transformant en agacement puis en haine.
Cela laisse le temps de s’attarder sur les aventures sexuelles de Querelle et de ses "victimes", de faire connaissance avec l’éclectique équipe de la scierie -Jézabel, à la fois belle est masculine, que l’on surnomme Sharapova, Fauteux le syndicaliste torturé, Kathleen, l’électricienne autochtone, et bien d’autres…-, et de suivre, par intermittences, un trio d’adolescents versant sans aucune retenue dans toutes les transgressions, symboles d’une jeunesse désœuvrée et sans avenir terrifiant des adultes moralistes mais hantés d’inavouables pulsions.
Cette multiplication des pans de l’intrigue donne par moments une impression de dispersion, et amène le lecteur à se questionner sur la pertinence de l’insertion de certains éléments annexes, sans réel intérêt dans le récit. Kevin Lambert va là où on ne l’attend pas (se permettant même un aparté au lecteur pour lui dire ce qu’il pense de ces paresseux de grévistes, et clamer son admiration pour l’entreprenariat), mais on se demande parfois pourquoi il nous y emmène… jusqu’à cette conclusion d’une violence extrême, plombée d’une ambiance quasi apocalyptique, démontrant la reddition de la conscience du mal, niant le pouvoir de l’humanisme.
Commentaires
Un texte fort en tous cas, et dont je soupçonne l'empreinte durable...
J'avais lu les premières pages lorsqu'il est paru. Le thème ne m'appelait pas, mais le style aurait pu me retenir. Comme j'avais sous la main, à l'époque, d'autres romans qu'il me tentait trop, j'ai abandonné Querelle à son sort.