LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"La certitude des pierres" - Jérôme Bonnetto

"Entre les âmes simples et justes comme eux et ces vicieux du palabre, il y aura toujours ça. Une tranchée".

Ségurian, village de montagne de quatre cents âmes, auxquelles s’ajoutent les milliers qui reposent au cimetière.

 "On dit parfois que les vivants ne font pas le poids". 

Un pays à l'intérieur d'un autre pays, indissociable d'une sécheresse qui n'est pas que celle d'un climat propice aux cyprès et aux oliviers. On en est, de ce village, avec un sentiment d'appartenance atavique qu'on ne saurait pas très bien exprimer, mais qu'on sent dans son ventre. Ici, c'est la terre qui décide, et les seules règles qui vaillent sont celles, tacites, qu’imposent des pratiques ancestrales qui se transmettent de père en fils. Comme chez les Anfosso, où l’aîné mâle hérite depuis plusieurs générations non seulement de l’entreprise de construction familiale, mais aussi de la passion pour la chasse, désormais inscrite dans leur ADN. Et ils ne sont pas les seuls : à Ségurian, un habitant sur quatre est chasseur.

Les Levasseur eux, ne comptent qu’une seule génération sous la terre de Ségurian. Autant dire qu’ils restent des pièces rapportées, des "estrangers" comme on dit ici, qui ont encore à faire leurs preuves. Leur fils Guillaume, après avoir baroudé quelques années au loin, est de retour, en quête de fusion entre sa vie et son travail, entre l’homme et la nature. Il se dit qu'il pourrait être heureux ici. Il a des projets et le caractère pour les mener à bien. C’est un chêne, Guillaume, un grand gaillard, travailleur, entier et résolu. Un physique de déménageur breton, mais le verbe de l'intello -c’est qu’il a fait des études-, ce mot qu'on ne prononce ici que du bout des lèvres de peur de se salir la bouche.

Aussi, quand il se lance dans l’élevage de chèvres, ça titille la méfiance. Des chèvres à Ségurian ? Si on laisse faire, bientôt "les aiguilles tourneront à l'envers, les sources se tariront, et l'ogre viendra manger les enfants" ! Mais on se contente de rester circonspect, l’affaire périclitera d’elle-même, dans un an on n’en parlera plus. Sauf que loin de péricliter, l’affaire prospère, et finit par empiéter sur le territoire des chasseurs. Aux premiers heurts relativement contenus, Guillaume se montrant conciliant mais refusant de céder puisqu’il est après tout dans son bon droit, succède bientôt un affrontement à la violence croissante. Les chasseurs s'échauffent, se prennent pour les cow-boys des westerns vus à la télé les soirs d'été, défendant leur territoire et leur virilité à coup de hargne et de vulgarité. Engagé dans un combat dont il exècre les règles, celui que tous surnomment "le berger" découvre peu à peu en lui des marécages de haine contre lesquels il s’efforce de résister.

Mais le combat est inégal : Guillaume est isolé, doit fait face au silence, voire à l’hostilité de l’ensemble du village. On a là deux mondes irréconciliables, un fossé que la peur de l’autre, le rejet de sa différence rendent infranchissable. Ici, la valeur d'un homme se mesure à son odeur de transpiration et de poussière, et si le berger est vaillant, on n’accepte pas qu’il sache aussi bien manier le verbe que la houlette. Entre la main et la tête, il faut choisir… 

Un roman âpre et intense, auquel la plume de Jérôme Bonnetto instille un lyrisme qui jamais ne déborde, son écriture précise et imagée laissant une empreinte forte et durable.

Commentaires

  1. J'ai l'impression que c'est une tendance de plus en plus forte ce genre d'histoire bien virile au fin fond des campagnes ou des montagnes. A voir ...

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    1. Oui, le noir rural est maintenant presque un genre à part entière, c'est vrai...

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  2. tiens, connais pas mais ça a l'air intéressant...

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    1. Ca l'est, oui, c'est âpre, tendu... la fin n'est pas une surprise mais elle reste glaçante.

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  3. Comme le dit Aifelle, on parle de tendance? Idem pour l'enfant et un parent isolé dans le bois, dont Gallmeister a le secret!

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    1. Oui, on pourrait s'interroger sur ces tendances d'ailleurs, sur ce qu'elles disent des angoisses ou des obsessions de notre temps ..

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  4. je ne connais pas du tout! même si la chasse et surtout les chasseurs me hérissent un peu le poil :-)

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    1. Et ceux du roman ne risquent pas de te réconcilier avec les chasseurs, ils sont horribles... mais c'est un excellent roman !

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