LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"Joe Speedboot" - Tommy Wieringa

"Ne parler de rien mais ne jamais oublier. Car nous n’oublions rien et accumulons en silence des informations sur ceux qui nous entourent. Entre nous courent des liens invisibles qui nous séparent ou nous unissent, dont un étranger ne saura rien, aussi longtemps qu’il vive ici…"

Lomark est un village comme tant d’autres, constitué pêle-mêle d’une rivière qui déborde l’hiver, d'une entreprise -les Bitumes Bethléem- qui fait vivre nombre de ses familles, d’un réseau de potins, et d’un coq figurant dans ses armoiries, emblème mis à toutes les sauces (cousu sur du linge, prenant la forme de pâtisseries, s’affichant sur la vaisselle…) par des concitoyens pour lesquels il concrétise la fierté collective d’un passé imaginaire. Il faut y vivre depuis plusieurs générations pour qu’on vous dise d’ici. 

Joe Speedboot y déboule tel une météorite. En venant s’encastrer dans le salon des propriétaires des Bitumes susnommés, la voiture conduite par son père fait de lui à la fois un orphelin et une légende dès son arrivée dans la bourgade. Et son comportement ne fait qu’entretenir son aura de mystère, tout en suscitant la méfiance de ses nouveaux concitoyens, du moins celle des adultes, l’adolescent exerçant sur ses camarades une profonde fascination. Tout le monde ignore le véritable prénom de celui qui s’est choisi un patronyme en accord avec son énergique personnalité. Joe, c’est une force qui se libère, un inventif audacieux pour qui rien n’est impossible, doté d’une capacité de concentration hors normes. Fasciné par la mécanique et la beauté du mouvement, ignorant de la peur et des conventions, il occulte toute entrave à la réalisation de ses idées. Il fabrique ainsi des bombes dont les explosions alimentent sa réputation de voyou, et entreprend à 15 ans la construction d’un avion…

C’est du moins ainsi qu’il nous est présenté par Frans, le narrateur, avec une verve exprimant l’admiration qu’il éprouve pour ce garçon qui apporte à Lomark un vent de nouveauté et de fraîcheur. Il faut dire que lui-même est aux antipodes de la force motrice générée par son camarade : subissant les graves séquelles d’un coma prolongé, il est condamné à vivre en fauteuil roulant, avec son seul bras droit intact, des litres de bave coulant en permanence de sa bouche, et pour s’exprimer un vague grommellement spasmodiquement interrompu par des cris disgracieux dont il n’a aucune maîtrise.

Mais Frans a toute sa tête -et une tête bien faite-, et il bouge. A bord du fauteuil manœuvré par son unique bras valide qui en développe une force extraordinaire, il est de tous les parages et toujours à l’affût, grimpant et dévalant par monts et par vaux, absorbant le monde "comme un python se taperait un porcelet". Rien ne lui échappe, ainsi que le prouve le journal dans lequel il détaille, jour après jour, les événements dont il est témoin ou auxquels il participe, y exprimant ses émotions d’adolescent, sa passion pour les samouraïs, ses premiers émois amoureux… L’amitié y occupe une place prédominante, autour d’un quatuor formé par Joe, Frans, Christof (fils du propriétaire de la maison dans le mur de laquelle le père de Joe a trouvé la mort) et du gentil et séduisant Engel.

On pourrait donc dire de "Joe Speedboot" qu’il s’agit d’un roman initiatique, mais je n’aime pas ce terme, que je trouve galvaudé et trop fourre-tout… ce n’est pas non plus un roman sur les contraintes liées au handicap, celui du narrateur passant presque pour accessoire tant il est étranger à tout auto-apitoiement, et déploie dans la relation de ses aventures et celles de ses camarades un humour et une énergie profondément réjouissants. Porté par une écriture qui traduit à merveille l’amour que porte le narrateur à la langue, le récit oscille entre truculence et envolées à dimension philosophique, et la tragédie, quand elle survient, se pare d’un sens de la dérision qui lui dénie toute gravité.

C’est drôle, enlevé, intelligent et touchant.


Une idée de lecture piochée chez Patrice et Eva, et une première participation à l’activité que nous vous proposons jusqu’en décembre de 2022 : LIRE AUTOUR DU HANDICAP. N’hésitez pas à nous rejoindre !


Petit Bac 2022, catégorie PRENOM


Commentaires

  1. Pour ces lectures autour du handicap, j'ai déjà plein d'idées, après, faut y penser.

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    1. Le fait de voir des billets évoquant l'activité est un bon moyen de s'en souvenir...

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  2. je te lisais et je me disais y a un truc qui va pas dans le titre (le nom qu'il s'est choisi) en fait c'est Speedboot en néerlandais (langue de l'auteur) et Speedboat en anglais (et d'ailleurs traduit ainsi sur la version anglaise) ce qui veut dire vedette/hors bord ....donc c'est logique, par contre en français speedboot ne veut rien dire ..
    bref, je vois que as trouvé un livre pas mal du tout pour ton challenge ! tu commences fort :-)

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    1. Oui, mais Joe Vedette, ça ne sonne pas aussi bien .. et puis il me semble qu'à un moment le narrateur explique la signification de Speedboot. Et oui, une belle découverte, c'est drôle et touchant, jamais pathétique, mais pas non plus angélique. C'est même d'ailleurs carrément méchant, par moments. Bref, très bon !

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  3. Je ne me rends pas très bien compte de ce que ça donne, et à vrai dire l'histoire ne m'accroche pas franchement.

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    1. L'histoire n'a pas tellement d'importance à vrai dire. C'est la voix du narrateur qui nous tient, et la manière à la fois sincère et lucide dont il décrit le monde qui l'entoure. J'ai vraiment passé un très bon moment en sa compagnie !

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  4. J'admire ton talent pour trouver des livres que je n'ai vu nulle part ailleurs (dans mon coin de l'internet). Il y a vraiment une touche Ingannmic.

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    1. Un talent que l'on doit ici à Eva, en l'occurrence ! Et la plupart des titres que je lis, je les déniche sur les blogs, sachant que je suis souvent attirée par ceux dont on parle peu..

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  5. TIens, voilà un roman qui semble réjouissant et touchant à la fois. je note, merci! :)

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    1. Oui, c'est bien résumé, c'est un titre aussi profond que distrayant, j'espère que tu passeras à sa lecture un aussi bon moment que moi.

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  6. Oh la la ça me donne terriblement envie de lire ce livre...
    Si tu vas sur mon profil fb, tu verras des livres que j'ai achetés récemment, d'occasion, et ils sont pour la plupart dans ta liste... si tu as envie d'une LC...

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  7. Excellente idée de lecture :-). Je me souviens qu'Eva avait été charmé à la lecture de ce livre. Je retrouve les mêmes qualificatifs en lisant ton billet. Voilà une belle contribution "Autour du handicap". A bientôt. Patrice

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    1. Je dois d'ailleurs remercier Eva, qui m'a suggéré ce titre, il est en effet excellent !

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