"Maille à maille" - Simone Righetti
"Il m'avait fallu tricoter, maille après maille, pour apaiser mes tourments."
Déportée à Auschwitz avec ses parents alors qu’elle n’a que trois ans, Sarah est sauvée de la mort par un officier nazi qui, en cachette, l’offre comme poupée à sa fille handicapée. Karl cède à tous les caprices d’Erika, infirme depuis que, bébé, elle est tombée des bras de sa mère. Une maladresse que son mari n’a jamais pardonnée à Martha, qui, devenue esclave de sa fille, en paie le prix fort. C’est dans ce contexte malsain qu’arrive Sarah, rebaptisée Gerda par celle à qui elle va dorénavant servir de jouet, enfermée en permanence dans la Villa Aimable Séjour - ! - où plane une odeur persistante qui lui donne la nausée, dont elle comprendra plus tard que c’était celle des cadavres brulant dans les fours du camp voisin.
Pendant de longs mois, elle subit les humeurs et les tyranniques lubies d’Erika, devant se soumettre à des jeux cruels et humiliants alternant avec des démonstrations d’affection souvent aussi brutales. Les seuls moments de véritable tendresse lui sont prodigués par Poisson, la domestique de la famille, ainsi surnommée par Erika parce qu’elle est sourde.
Toutes deux seront laissées là à l’approche des russes. Recueillies par la Croix Rouge, leurs chemins bientôt se séparent. Ignorante de sa véritable identité et de ce que sont devenus ses parents, Gerda est placée en orphelinat. Devenue adulte, s’efforçant de ne jamais se faire remarquer, elle vit dans une insensibilité protectrice, restant indifférente à tout pour ne pas tomber dans le vide, celui de son identité perdue, d’une personnalité qu’elle ne sait définir sans se référer à ces premières années où elle fut le jouet d’une autre, dont elle serait la création.
Elle peine par ailleurs à composer avec l’ambivalence que le souvenir d’Erika suscite en elle. Les rares moments d’affection que lui a donné la fillette, même s’il ne s’agissait que de simulacres, la relation de dépendance qui les liait, et à laquelle elle doit d’avoir eu la vie sauve, ont ancré en elle un attachement à sa tortionnaire qu’elle n’ose s’avouer mais dont elle ne peut se défaire.
Il lui faudra le secours d’une thérapie pour parvenir à accepter ce paradoxe, et pour envisager une possible réconciliation avec elle-même.
Comment se construire quand ses premiers souvenirs reposent sur la sujétion à une relation toxique et perverse, et que ceux de vos origines ne sont que béance ? Comment accepter la possible cohabitation, chez un même individu, de la tendresse et de l’ignominie, ainsi que ses propres ambigüités ? Telles sont les questions que pose ce roman à l'écriture sobre et fluide, à l’intrigue aussi originale que glaçante, qui s’applique à mettre en évidence la complexité des mécanismes qui lient les êtres.
Une découverte surprenante et intéressante, quoique légèrement ternie par certaines maladresses stylistiques relevées ici et là -notamment une alternance peu pertinente du "je" et du "elle".
Avec cette lecture que j’ai eu le plaisir de faire en commun avec Eva et Patrice, je participe :
- aux lectures communes autour de l’Holocauste, organisées par les blogs Et si on bouquinait un peu ? & Passage à l’Est !
- à l’activité Lire autour du handicap :
Une histoire bien tordue, mais il s'est passé tellement de choses tordues pendant cette guerre .. l'esprit humain est très inventif dans ce domaine là.
RépondreSupprimerC'est une fiction, mais oui, cela reste crédible, malheureusement...
SupprimerUn sujet original, mais pesant, non?
RépondreSupprimerOui, très.. après le livre est court, l'écriture très simple, cela permet de faire passer le propos plus "facilement", si je peux me permettre..
SupprimerJe dois encore relire mon billet avant de publier :-), mais j'ai trouvé ce roman très fort. Je n'ai pas relevé les mêmes choses sur le procédé narratif ; pour moi, il s'agit d'une "prise en main" progressive de Sarah sur son destin, en passsant du "elle" au "je". Un très belle découverte. Tu poses les bonnes questions sur la complexité des mécanismes. Heureux d'avoir fait cette lecture en commun !
RépondreSupprimerCe n'est pas tant l'utilisation des deux pronoms qui m'a gênée, que les moments où c'est fait, il m'a semblé que ce n'était pas toujours très cohérent, mais ceci dit, cela dénote peut-être la confusion qui règne dans l'esprit de l'héroïne.
SupprimerMerci en tous cas pour cette proposition de lecture d'un roman injustement méconnu, je suis ravie de la découverte !
Une approche originale à ce sujet des camps et des vies d'après. Comme la reconstruction a dû être dure pour tous les enfants qui y ont survécu sans avoir de souvenirs de "l'avant". Je regrette de n'avoir pas pu me joindre à vous, mais je suis curieuse de voir l'avis de Patrice, y compris sur le procédé narratif.
RépondreSupprimerC'est en effet un roman original, et fort, l'auteure met au service du propos une simplicité et une spontanéité qui le rendent d'autant plus frappant.
SupprimerIl doit être difficile à lire... Ta remarque sur la question des souvenirs et des origines m'a immédiatement fait penser à "La race des orphelins" d'Oscar Lalo que je te conseille de lire, si tu en as l'occasion. L'approche n'est pas la même puisque l'auteur ne traite pas des survivants des camps mais des enfants programmés à naître dans les Lebensborn. Il n'empêche qu'il soulève certains parallèles -osés certes- mais pas dénués de pertinence pour autant.
RépondreSupprimerJe note, d'autant plus que je viens de lire "Sonnenschein", "roman documentaire" où il est en partie question des Lebensborn (et où sont retranscrits des témoignages, poignants, de victimes de ce projet complètement dément) et que ce sujet m'intéresse depuis bien longtemps ..
SupprimerQuel sujet glaçant...
RépondreSupprimerOui, la barbarie est imaginative...
SupprimerOh la la ! Quel sujet ! Terrifiant !
RépondreSupprimerEn effet...
SupprimerIl ne doit pas être très facile à lire mais je le note, il m'intéresse.
RépondreSupprimerDaphné
Il aborde de manière originale et avec beaucoup de sensibilité l'horreur de l'Holocauste. Je garderai de cette lecture cette notion d’ambivalence, la manière dont les individus peuvent abriter en eux la tendresse comme la cruauté, et le douloureux parcours de Gerda/Sarah pour se reconstruire en acceptant les sentiments contradictoires qui la hantent.
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