LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"Les quatre vies d’Arseni" - Evgueni Vodolazkine

"L’intelligence, c’est les yeux de l’âme. Quand ces yeux sont abimés l’âme devient aveugle."

Bienvenue au cœur de la Russie médiévale et de ses croyances qui sembleront bien exotiques aux yeux du lecteur contemporain : on y est par exemple convaincu de l’imminence de la fin du monde ou que vivent, dans de lointaines contrées, des hommes à tête de chien. Il faut dire que les distances y sont beaucoup plus longues qu’aujourd’hui, et que le temps et l’organisation que réclament les voyages limitent les rencontres avec ce mystérieux autre qui vit dans d’autres régions du monde. C’est aussi un temps où l’omniprésence de la mort la rend familière au point de pouvoir s'entretenir avec elle, où les grandes épidémies de peste prélèvent régulièrement leur macabre et considérable quote-part. La spiritualité religieuse y est très forte et imprègne naturellement chacun, le ramenant à l’humilité de sa condition. Elle se mêle spontanément à l’acceptation de la dimension surnaturelle que l’on prête à certains événements ou aux pouvoirs magiques que l’on prête à certains individus, tels les starets ou les guérisseurs.

Arseni est de ces derniers. Ce roman nous conte son destin.

Orphelin, il est élevé par son oncle Kristophor, à la fois rebouteux et philosophe, herboriste et érudit, qui lui transmet sa connaissance des plantes. Il grandit, en compagnie d’un loup apprivoisé, dans l’odeur des herbes innombrables qui sèchent au plafond de leur isba. A sa mort, Arseni prend naturellement la relève, fort des enseignements de son oncle et de ses prédispositions naturelles. Ses mains sont "celles d’un musicien qui aurait reçu le don de jouer du plus extraordinaire des instruments : le corps humain". Sa parole est rare mais elle est d’or : il a le pouvoir de prédire ce qu’il va advenir des malades.

Un drame à l’origine d’un chagrin et d’une culpabilité insondables change le cours de sa vie. Arseni quitte son village natal de Roukino et prend la route, allant de bourgade en bourgade, soignant les malades de la peste ou soulageant la douleur des mourants, lui-même semblant inatteignable par la maladie. C’est ainsi qu’il acquiert, au fil d’un périple au cours duquel il changera trois fois de nom, qui le fera côtoyer des princes comme des miséreux et l’emmènera jusqu’à Jérusalem, une renommée qui ne cessera de grandir, au point qu’il ne pourra la fuir.

Infatigable, toujours disponible, Arseni est pourtant un désespéré. C’est ce désespoir même qui le pousse. Parce qu’il s’obstine à vouloir racheter une faute qu’il juge impardonnable, il a fait le vœu de renoncer à lui-même, de se consacrer au bien non pour rattraper le poids de ses péchés parce qu’il sait que c’est impossible, mais pour essayer de compenser un peu ce qui a été, par sa faute, perdu.

Aussi, au-delà de la dimension aventureuse qui rend ce roman passionnant, Evgueni Vodolazkine nous livre le portrait complexe d’un homme à la fois extraordinaire et torturé, auquel le lecteur s’attache irrémédiablement. Le contexte de l’intrigue n’est pas en reste : l’auteur fait revivre, en une évocation aussi profuse qu’énergique, un univers où se côtoient rudesse et mysticisme, nous faisant parcourir steppes et forêts, villages misérables et petites villes commerçantes, où l’on croise riches ou pauvres, paysans, prêtres ou boutiquiers... 

Un grand roman, aussi terrible que merveilleux.


Une idée piochée chez Nathalie, et une nouvelle participation au Mois de l'Europe de l'Est, chez Patrice et Eva


Petit Bac 2022, catégorie "CHIFFRE"

Commentaires

  1. Ah j’avais beaucoup aussi cette plongée dans la Russie médiévale ! J’ai vu qu’un nouveau titre de l’auteur venait de paraître mais j’ai plutôt noté des titres plus anciens (pour plus tard).

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    1. Et puis ça fait du bien de sortir du 20e siècle parce que la littérature des pays de l'Europe de l'Est n'est pas toujours très légère !

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    2. Comme toi, je vais creuser la bibliographie de cet auteur : si tout est à l'avenant de ce titre, cela n'augure que du bon ! Et je te rejoins sur ton 2e commentaire = le fait de se plonger dans le passé est dépaysant, et nous évade, finalement..

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  2. Ton roman est assez intrigant pour que je note. Qu'a-t'il fait de si terrible ce pauvre Arseni ?

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    1. Il faut lire non pas "ton roman", mais "ton résumé" ...

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    2. J'avais compris (je serais bien incapable d'écrire un tel roman, ou même un roman tout court, d'ailleurs ! :)..

      Et bien sûr, il est hors de question que je dévoile l'intrigue !! J'avais relevé que Nathalie, dans son excellent billet, en disait très peu sur l'histoire, et j'ai voulu faire comme elle : l'un des intérêts de la lecture est de découvrir ses multiples rebondissements...

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  3. Oui, moi aussi, je serais trés curieux de savoir ce qu'il a fait. C'est une excursion dans le Moyen-Âge qui s'annonce passionnante, merci pour ce billet très intéressant ! Patrice

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    1. Et donc même réponse !! vous n'avez plus qu'à le lire, tous les 2... mais c'est un conseil d'ami, car c'est une excellente lecture .. :)

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  4. Ma curiosité est piquée. Les romans historiques passionnants et bien ficelés m'attirent de plus en plus.

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    1. Le contexte historique n'est pas très développé, mais l'ambiance, et ce que l'on "voit" de la vie quotidienne restituent fort bien l'esprit de l'époque, notamment cette spiritualité omniprésente. Un très très bon titre !

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  5. Tu en parles si bien que je ne peux résister ! Je le commande !

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  6. Réponses
    1. Complètement ! Il est passionnant, immersif, j'ai adoré !
      Et merci pour ta visite Eimelle, je me fais toujours rare chez toi car je n'ai pas accès, depuis mon PC du boulot (qui est celui que j'utilise quasi en permanence) à ton blog...

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  7. Oh, il est sorti en poche ! Il me tente beaucoup, c'est vrai que ça change.

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  8. Ah déjà Russie médiévale, ça me parle beaucoup. Je ne crois pas avoir rien lu de la Russie dans ce contexte. Peut-être pour le prochain mois de l'Europe de l'Est.

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    1. Très bonne idée, c'est un excellent titre, je suis sûre qu'il te plaira !

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  9. il est dans ma PAL depuis un certain temps! je note qu'il est sorti en poche donc c'est le moment :-)

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    1. Exactement ! Et le dépaysement qu'il procure, comme on l'évoque ci-dessus avec Nathalie, fait du bien ..

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  10. Si tu me dis "Russie médiévale", ça ne m'attire pas forcément mais en lisant ton billet, je revois mon a priori.

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    1. Tu as raison de dépasser ton a priori, car il n'a rien de vieillot, et n'est pas empoussiéré par cette atmosphère obscure que l'on a tendance à associer au Moyen-Age... ce n'est vraiment pas non plus ma période de prédilection, mais là, il y a une énergie dans la narration, et une ambiance un peu surnaturelle qui rendent l'ensemble original et très prenant.

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  11. Moi, en ce moment, je fais provision chez toi de futurs coups de coeur ! En plus, j'adore le Moyen Age et cette sorte de pensée magique qui semblait dominer les rapports avec le monde, loin de notre rationalité parfois si plombante !

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    1. J'espère que la récolte sera fructueuse pour toi ! Mais je crois sincèrement que ce titre te plaira : il est à la fois épique et profond, émouvant et distrayant..

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  12. Oui, tu avais raison, il est fait pour moi ! Ce que j'ai pu aimer ce livre ! Maintenant, il me reste à écrire un billet et ce livre est tellement riche que je ne sais pas comment m'en dépatouiller ! Et le tien est si bien fait qu'il me suffirait de te citer ! Ce que je ferai ! mais bon, il faut que m'y mette ? Par où commencer ?

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