"Médaillons"- Zofia Nałkowska
L’ouvrage est la compilation de huit textes, huit expériences représentant une des facettes de la réalité quasi inconcevable qui est révélée, celle de l’énormité et de la brièveté des opérations de mise à mort dont la Pologne fut le théâtre.
Les chapitres se succèdent sans transition, livrant la parole des victimes : déportés, partisans, habitants de ghetto. Beaucoup ont perdu des proches, ou gardé, au-delà du traumatisme, des séquelles physiques. Une femme est devenue borgne à cause d’une balle perdue, une autre a sacrifié ses dents pour pouvoir manger. Leurs témoignages évoquent la faim, le froid, les pendaisons, les fusillades, et la volonté de survivre, pour raconter, pour que le monde sache.
Ils nous emmènent dans des lieux macabres, camps rigoureusement organisés pour l’extermination de masse selon un processus réfléchi ou enclaves confidentielles cachées parmi les bois et les collines, où la barbarie se pratiquait à l’aide de dispositifs simples et économiques mais aussi de méthodes plus personnelles, dignes d’amateurs, correspondant aux prédilections personnelles des auteurs des crimes. On retiendra entre autres cet institut universitaire qui a abrité une usine secrète de savon fabriqué à partir de graisse humaine, ou ce château dans la cour duquel stationnaient des camions à gaz.
Mais on y entend aussi les témoins de l’événement, ceux qui de l’autre côté du mur du ghetto de Varsovie, ont entendu les déflagrations, les cris et les pleurs, ont vu les maisons brûler ; ceux qui n’ont pas osé secourir cette femme qui, après avoir sauté d’un convoi en marche, a été condamnée par ses blessures à attendre, le long de la voie ferrée, que la mort ou les allemands surviennent.
Souvent, la parole de ces "spectateurs", qui n’ont pas aidé par crainte des représailles et ont par leur passivité et leur silence participé à l’assentiment tacite et collectif, exprime un antisémitisme ordinaire et décomplexé, auquel se mêle un vague malaise face à l’horreur et à l’ampleur de ce qui est révélé. Ils expliquent avoir supporté l'idée de cette terrible réalité car elle ne leur parvenait que par fragments, et non complètement ou en une seule fois, et que sa dimension inconcevable même permettait de la tenir à distance.
Ce qui fait de "Médaillons" un ouvrage remarquable, c’est le moment où il a été écrit. Les témoignages recueillis par la commission le sont quasiment "à chaud", sans le recul et l’analyse que permettront les années et la connaissance croissante de la barbarie nazie. Le lecteur d’aujourd’hui s’étonnera ainsi parfois de certaines "vérités" caricaturales ou tronquées, notamment celle qui dresse le portrait type de bourreaux nazis recrutés parmi lie de la société (délinquants, meurtriers, voleurs). Mais il trouvera surtout très intéressante la spontanéité que ce moment confère aux récits, que Zofia Nałkowska rend parfaitement par une écriture sèche et par le fait que ses textes nous sont livrés de manière brute, sans aucune précision quant à leur contexte ou à leur genèse.
Elle oscille toutefois, par moments, entre document et fiction, faisant de son recueil une œuvre hybride, principalement constituée de la transcription fidèle des propos des témoins, mais aussi de courts essais ou de faits à partir desquels l’auteure extrapole en inventant des dialogues, en imaginant pensées et réflexions.
A lire.
Et c'est ma première participation à l'édition 2022 du Mois de l'Europe de l'Est, organisé par Eva & Patrice.
Commentaires
Un recueil vraiment très intéressant, bien que parfois déstabilisant car l'absence de contexte ou d'explications peut rendre certains textes d'emblée confus. La post -ou la pré?, je ne sais plus...-face explique, elle, très bien le contexte, et apporte un éclairage bienvenu et d'autant plus instructif sur la genèse de l'ouvrage et sur ce qui fait sa singularité.