LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"La partita" - Alberto Ongaro

"(...) la peur est l'instrument de connaissance le plus puissant qui soit."

De retour d’un exil forcé à Corfou, Francesco Sacredo retrouve sa ville natale de Venise exceptionnellement prise dans les glaces, plombée d’un calme mortifère, inhabituel et oppressant, comme annonçant la très mauvaise surprise qui l’y attend : sa famille est ruinée, son père, un flambeur qu’il tient en piètre estime, ayant dilapidé sa fortune au jeu. Cela fait trois mois que l’incorrigible flambeur affronte la comtesse Mathilde von Wallenstein, qui a raflé la quasi-totalité de leur prodigieux patrimoine. Cette dernière propose un marché à Francesco : remettre en jeu toutes leurs richesses, en ajoutant la personne même du jeune homme à la mise ; récupérer la fortune perdue ou entériner la ruine et de surcroit devenir la propriété de cette charismatique allemande, qui se révèle aussi invincible que mystérieuse, aussi magnétique que repoussante. Des rumeurs inquiétantes voire terrifiantes circulent au sujet de cette femme borgne et vieillissante : elle aurait déjà dépouillé plusieurs hommes riches, conclu un pacte avec le Diable, bénéficierait d’appuis en très haut-lieu.

Sans surprise, Francesco joue, et perd. Mais plutôt que d’honorer sa part de contrat, il prend la fuite. C’est le début d’une poursuite interminable, la comtesse ayant lancé à ses trousses les frères Podestà, duo de bandits sanguinaires dont le héros tente de manière quasi obsessionnelle d’anticiper les plans, ruminant hypothèses et extrapolations. Il perçoit leur présence partout et en perd le sommeil, ainsi que le lui a prédit la comtesse avant sa fuite.

Un refuge provisoire succédant à l’autre, la cavale est ponctuée de rencontres plus ou moins bénéfiques, mais régulièrement atypiques, et souvent féminines, car notre héros ne délaisse pas, malgré les dangers, les plaisirs de la séduction, ayant l’heur de croiser des donzelles peu farouches. Citons par ailleurs parmi les quidams évoqués trois nains richissimes mais rejetés de tous les cercles mondains en raison de leur insoutenable laideur ; un abbé escroc improvisé prothésiste dentaire ; une fillette de quatre ans mariée à un prince octogénaire…

Vient un moment où le héros ne sait plus de quoi il est pris au piège : d’une véritable poursuite assistée des pouvoirs surnaturels de la comtesse, ou de sa propre peur, de sa propre imagination ? 

Toujours est-il qu’il s’acharne à jouer sa partie, d’abord pour échapper aux Podestà, puis, comme s’il avait conclu un obscur et inconscient pacte avec lui-même, s’obligeant à poursuivre indéfiniment le jeu, se condamnant à une fuite perpétuelle. 

L’aventure est ainsi empreinte d’une dimension psychologique forte, qui la rend d’autant plus prenante. Les personnages qui la peuplent sont par ailleurs bien campés et leur originalité enchantent le lecteur. J’ai beaucoup apprécié les héroïnes qui, loin de servir de faire-valoir ou d’être considérées comme de faibles et douces créatures, s’imposent par leur intelligence et leur volonté.

Mon seul et léger regret, c’est que l’aspect surnaturel que laisse supposer le début du récit, notamment à travers le personnage de la comtesse, ne soit par la suite pas vraiment exploité.


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Petit Bac 2022, catégorie ART

Commentaires

  1. Ah je note si je tombe dessus, comme c'est un auteur que j'aime bien. Le hasard fait que je publie jeudi mon billet sur La Taverne.
    nathalie

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    1. Ce n'est pas mon préféré de l'auteur, mais il est plaisant à lire. Et j'attends avec impatience ton avis sur "La taverne..." (c'est celui-là, mon préféré !).

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  2. un inconnu total ! merci pour la découverte, même si je n'irai pas plus loin

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    1. Dommage, il vaut le détour... mais peut-être n'est-ce pas en effet le genre d'écrivain auquel tu pourrais accrocher.

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  3. Réponses
    1. Oui, merci ! C'était des vacances reposantes, entre baignades en rivière, randonnées (mais pas trop violentes), visites de villages en vieilles pierres..

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  4. Toit comme toi, je crois, j'avais beaucoup apprécié Rumba. Il a longtemps. Je n'ai plus relu Ongaro depuis. C'est sûrement l'occasion. Merci.

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    1. Oui, c'est l'occasion, et je t'incite à poursuivre avec "La taverne du doge Loredan", qui devrait te plaire...

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  5. On dirait qu'il y a une atmosphère assez particulière dans ce roman, c'est difficile de se rendre compte. Il est à la bibliothèque, mais consultable sur place ! il va falloir que je creuse cette bizzarerie.

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    1. Tu as raison sur l'atmosphère, difficile à retranscrire en effet... c'est un roman relativement court, et qui se lit très facilement, n'hésite pas à te lancer !

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  6. Un auteur que tu me fais découvrir ( et pourtant, je te suis depuis longtemps !) Je vais jeter un oeil sur la taverne ( mais je suis encore coincée dans L'obscène oiseau pour le moment ...)

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    1. Oui, "La taverne..." est très très bon (original, labyrinthique sans être illisible...) ! Et coincée dans "L'obscène oiseau..." ? .. j'attends avec autant d'impatience que d'angoisse ton verdict, car c'est un roman risqué à conseiller. Et je sais qu'il n'est pas facile... mais quel texte !!

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  7. Bah je n'ai pas reçu d'avis de publication sur ma boite mail... Comment cela se fait-il ? Je vais creuser... Sinon, je ne connaissais pas du tout cet auteur.

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    1. Je ne cherche plus à comprendre les mystères et les dysfonctionnements de blogger ...
      Et il faut lire "La taverne du doge Loredan" !

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  8. Je ne connais pas non plus cet auteur. Je ne sais pas s'il se trouve facilement car il est édité par une petite maison, non ? Je ne suis pas contre ce genre de découverte mais à cette période de l'année, il y a trop de tentations !

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    1. Dans la librairie où je m'approvisionne, ses titres sont dispos : les éditions Anacharsis ont un format poche et proposent ses principaux titres dans ce format. Ils peuvent être commandés si les librairies ne les ont pas en rayon :). Mais c'est un auteur à découvrir, il est brillant.

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  9. Chouette maison d’édition qui propose de belles découvertes livresques.
    J’adore leurs auteurs italiens entre autres.
    Oui c’est un auteur à découvrir.

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    1. Zut, je réalise avoir oublié de répondre à ce commentaire !
      Je confirme : j'aime beaucoup aussi les Editions Anacharsis, et leurs propositions originales (j'ai découvert notamment grâce à eux, hormis Ongaro, Charlie Galibert et Franck Manuel).

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