LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"Les grandes espérances" - Charles Dickens

"La propreté est comme la religion, bien des gens la rendent insupportable en l'exagérant".

Les grandes espérances sont celles qui, de manière inattendue, sont promises à Pip, le jeune narrateur. Orphelin de condition modeste, ce dernier est élevé "à la main" par Mrs Gargery, sa sœur de vingt ans son aînée. Comprenez par là qu’elle l’a lourde et dure, la main, ce dont son époux Joe pourrait lui aussi témoigner. Forgeron, Joe est ce que l’on appelle une bonne pâte. Pip éprouve pour cet homme gentil, généreux et sans malice un amour et une admiration sans bornes.

La dure et laborieuse routine du jeune garçon, ainsi adoucie par le lien qui l’attache à son beau-frère, est bouleversée par deux événements extraordinaires. Le premier, terrifiant, consiste en sa rencontre avec un forçat en fuite et dissimulé dans les marais à proximité du logis des Gargery, qui oblige Pip à lui procurer de la nourriture et une lime. Le second tient dans une autre rencontre qui va le bouleverser tout autant, bien que de manière différente : convié par l’entremise de l’oncle Pumblechook, vague membre de sa famille, chez la riche Miss Havisham afin de la distraire, il découvre en son hôtesse une vieille femme aussi effrayante que pathétique, affublée d’une robe de mariée affreusement décatie qu’elle ne quitte jamais, qui vit recluse dans une labyrinthique demeure sombre et poussiéreuse dont toutes les horloges sont arrêtées à neuf heures vingt. Mais surtout, il y rencontre la pupille de cette dernière, Estelle, belle jeune fille dont il tombe immédiatement amoureux. Las, la donzelle, élevée par Miss Havisham pour exercer sa vengeance sur un sexe masculin qui l’a humiliée, se montre avec Pip extrêmement hautaine, capricieuse et cruelle.

Après quelques mois passés à visiter régulièrement la vieille dame, Pip reprend ses habitudes, et entame son apprentissage auprès de Joe, lorsqu’un nouvel événement incroyable vient bouleverser son existence : un bienfaiteur secret a décidé de le prendre sous son aile, et d’assurer à grand frais son éducation, en l’élevant "en jeune homme comme il faut".

Les voici donc, ces grandes espérances qui vont permettre à Pip d’acquérir cette instruction et ces bonnes manières qui lui manquaient tant depuis que sa fréquentation de la maison Havisham lui a fait mesurer son ignorance et sa rusticité. Avec elles, Pip voit le comportement de son entourage changer : lui qui ne "valait pas le sixième d’un sou", selon l’oncle Pumblechook, dont la sœur se plaignait sans cesse des sacrifices qu’il lui imposait, devient le centre d’intérêt, l’objet de toutes les courbettes. Il mesure ainsi l’opportunisme et la vénalité de ses proches. Seul Joe, fidèle à lui-même, continue de faire preuve envers le garçon d’une affection sincère et désintéressée. Pip change, lui aussi. Parti à Londres, où il fait de nouvelles connaissances, il est pris d’une honte pour le milieu dont il est issu, et malgré ses promesses, délaisse de plus en plus son beau-frère, ce qui finit par lui porter lourdement sur la conscience.

"Les grandes espérances" est ainsi un roman d’apprentissage, et celui d’une élévation sociale qui se révèle finalement source de désillusion, mais aussi porteuse d’une saine morale sur la hiérarchie opposant valeurs humaines et valeurs matérielles. Et c’est surtout un grand moment de plaisir que nous procure là Charles Dickens, en grande partie grâce à son narrateur, qui colore le récit d’un ton enlevé, drôle, par le regard à la fois candide et lucide qu’il porte sur les gens et les situations. Aussi, malgré la dureté qui préside à l’évocation du petit monde qu’il met en scène -celui des Gargery, brutal et laborieux, tirant le diable par la queue, marqué par l’illettrisme, mais aussi celui d’une petite bourgeoisie gangrenée par la cupidité et l’hypocrisie-, le regard rigolard et plein de dérision qu’y porte le héros, nous le fait découvrir de manière fort réjouissante, et le rend très vivant.

Par ailleurs, le roman est peuplé de personnages secondaires haut-en-couleurs dont Pip, avec sa saine et sincère curiosité, met en évidence la singularité, nous les rendant ainsi profondément marquants.

Bref, un classique que j’avais tort de craindre, et une bien belle découverte !

Commentaires

  1. Faut que je m’y colle à Dickens… indispensable mais je n’ai encore rien lu pour le moment.
    Nathalie

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    1. C'était ma première lecture de cet auteur, que je craignais un peu.. je ne sais pas pour ses autres titres, mais tu peux y aller sans crainte avec celui-là, il se dévore !

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  2. J l'ai lu il y a si longtemps, faudrait le relire. Je l'ai ici sur les étagères...

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    1. Je suis sûre que tu trouveras à cette relecture un plaisir intact.

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  3. Quelle belle chronique ! un classique que je souhaite bien découvrir 🙂
    Bonne journée.

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    1. Bonne idée, et comme souvent avec les classiques, il faut franchir le pas pour se rendre compte qu'il est non seulement très abordable, mais aussi fort plaisant..

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  4. J'ai eu beaucoup de mal avec ce titre que j'ai abandonné en route. Ce n'était peut-être pas le bon moment... je devrais peut-être l'audiolire, ça m'ennuierait moins...

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    1. Ah bon ?!! Je l'ai trouvé passionnant au contraire, très inventif, et souvent drôle. J'ai un gros faible pour Miss Havisham, à la fois si grotesque et si sublime ! C'est une bonne idée de le tenter "à l'oral". Il y a eu récemment un podcast sur France Culture consistant en lecture d'extraits de la nouvelle traduction (en 15 épisodes de 25 minutes). J'en ai écouté certains, mais je ne sais pas si c'est adapté à ceux qui ne l'auraient pas lu.. (https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-les-grandes-esperances-de-charles-dickens?p=2)

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  5. je vais le mettre sur ma liseuse je me laisserai volontiers partir dans cette histoire que j'avais trouvée bien compliquée dans ma jeunesse (il y a donc longtemps)

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    1. Je suis sûre que la relecture sera plus fluide ! L'histoire est certes pleine de rebondissements, mais comme on la suit toujours du côté de Pip, on n'y est jamais perdu.

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  6. Je n'ai pas lu Dickens, et je ne suis pas sûre de me lancer maintenant.

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    1. C'était une première pour moi, et je ne le regrette pas. Tu devrais tenter, j'ai passé un excellent moment !

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  7. Figure-toi que je n'ai encore jamais lu Dickens, et, comme les grands esprits se rencontrent, je l'ai déclaré Bonne Résolution 2023 fin décembre :)

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    1. Moi qui avais presque honte d'avouer que je ne l'avais pas lu, je vois que je n'étais pas seule !! J'ai hâte de lire le résultat de ta future expérience.

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  8. Je l'ai lu il y a un moment maintenant, j'étais à la fac, mais j'en garde encore un souvenir fort de lecture savoureuse, comme quasiment tous les Dickens que j'ai lus.

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    1. Oui, c'est ça, c'est savoureux, et comme tu confirmes que le reste est à l'avenant, je vais continuer !

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  9. Après David Copperfield c'est mon roman préféré de Dickens, j'ai tellement aimé Pip et à ma première lecture j'avais 12 ans j'ai tremblé pour lui et ce bagnard terrible dans les premières pages puis je me suis enthousiasmé pour Miss Havisham mais pas Estella que j'ai détesté vraiment :)))

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    1. J'ai eu le même ressenti pour ces personnages, et tu décris bien la sensation que procure cette lecture : le texte est très vivant, et nous immerge vraiment dans les situations, qui nous font en effet vibrer, rire, ou trembler comme tu l'écris. Du coup, je note David Copperfield.

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  10. Ah ! Mais j'adore Dickens ! Et Les Grandes espérances, c'est un de mes préférés. La robe de mariée de Miss Havisham qui tombe en lambeaux...

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    1. Oui, je crois que c'est le personnage qui me marquera le plus durablement...

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    2. Je le comprends bien et c'est pareil pour moi. Cette femme qui n'a de cesse de se venger, qui reste dans son statut de victime et qui trouve sa raison d'être dans le fait de détruire, détruire...

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    3. Et puis elle est très "palpable" si l'on peut dire, notamment par sa singularité et son outrance : dès que le narrateur en parle, on la visualise parfaitement, elle a aspect à la fois grotesque et magnifique qui marque durablement..

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  11. J'aime les romans d'apprentissage ! Celui-ci est marquant, avec des personnages qui s'élèvent socialement et sont sujets à des questions profondes : d'où ils viennent, où ils vont. Le tout dans l’univers londonien du 19ème siècle.

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    1. C'est bien résumé ! C'est un roman dense, riche par son contexte et son analyse de la psychologie des personnages, mais jamais ennuyeux..

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  12. Cela fait des années que je projette de lire Dickens. Comme tu le dis, on se laisse souvent (à tort) impressionner par les Classiques

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    1. C'est ça, on s'en fait tout un monde, alors que très souvent, le plaisir et le divertissement sont aussi au rendez-vous...

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  13. Un roman incontournable que je comptais lire pendant les vacances de Noël et j'ai finalement lu autre chose. Je compte vraiment le découvrir au plus vite.

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    1. Je suis sûre qu'il te plaira ! De mon côté, je n'ai plus qu'à poursuivre, sans doute avec David Copperfield.

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  14. Ce roman, mon préféré de Dickens, ce que j'ai pu l'aimer et le lire et le relire ! Tu as fait une belle découverte !

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    1. Oh que oui ! Je ne sais pas si je le relirai, mais il est sûr que je relirai Dickens, en tous cas !

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  15. J'ai dû le lire, parce que mon exemplaire Grasset (Cahiers rouges, un de mes tout premiers livres sérieux!) est assez usé, mais j'ai surtout en tête les images du film avec surtout Miss Havisham et le terrifiant Magwitch! Je ne me souvenais pas qu'il y avait aussi un dénommé Pumblechook, c'est une raison de plus pour le relire avec des yeux d'adulte. Je plussoie pour David Copperfield, ce roman est si riche et plein de personnages inoubliables.

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    1. M. Magwitch ? Ah mais oui, bien sûr, le forçat, j'avais oublié son nom, mais comme il en utilise deux, on dira que j'ai une excuse, hein ?! J'aimerais bien voir le film, maintenant, rien que pour Miss Havisham...

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  16. C'est un auteur qui ne m'a jamais spécialement attiré. Tu me fais changer d'avis !

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