"Mâchoires" - Mónica Ojeda
"Être la fille (…) revenait à être la mort de sa mère."
Fille d’un ministre et d’une célèbre avocate militante anti-IVG, Fernanda est une jeune représentante de l’élite équatorienne. A ce titre elle fréquente le meilleur lycée privé de sa ville, où l’on inculque à des élèves exclusivement féminines que leur destin se résume à être mères et à aller à la rencontre de Dieu. C’est aussi une adolescente perturbée, qui suit une psychanalyse, où il est notamment question de ses comportements sexuels précoces et de la culpabilité qu’a ancrée en elle la mort par noyade et sous ses yeux de son petit frère, lorsqu’elle avait cinq ans. Mais si traumatisme il y a, il est soigneusement dissimulé sous l’insolence et l’assurance que lui confère son statut de fille privilégiée. C’est une adolescente capricieuse, sournoise et malveillante.
A la tête, avec sa meilleure amie Annelise, d’un petit groupe de filles, elles ont pris possession d’une vieille maison abandonnée où elles se livrent à des rituels pour se faire peur et se lancent des défis parfois réellement dangereux. Nourries de la culture des creepypastas*, elles s’en inspirent pour s’abreuver d’histoires terrifiantes de leur invention, Annelise étant dans ce domaine la maitresse du jeu, s’appuyant sur l’évocation de métamorphoses physiques qui leur sont, en tant qu’adolescentes, familières, pour alimenter d’horrifiques et sanglants récits.
La professeure, c’est Clara López Valverde, jeune trentenaire obsédée par le souvenir de sa mère décédée, pour laquelle elle a toujours éprouvé une fascination pathologique et malsaine, se traduisant notamment par l’imitation systématique de l’apparence et du comportement maternels. Elle s’habille d’ailleurs exclusivement avec les vêtements de la défunte, allant jusqu’à reproduire la claudication que sa scoliose provoquait chez cette dernière.
Lorsqu’elle intègre le lycée où étudient Fernanda et ses camarades, elle se remet à peine d’un traumatisme dû à sa séquestration dans sa propre maison par deux élèves de l’école publique où elle enseignait auparavant. La précarité de son équilibre psychique menace à tout moment de la faire basculer dans l’angoisse, bascule que sa révulsion pour la féminité survoltée et la puissance organique que dégagent les corps adolescents des lycéennes malpropres et impolies qui sentent les règles et la sueur, pourrait bien accélérer…
Un affrontement sournois et persistant s’installe entre la professeure et ses élèves, mais aussi entre les élèves elles-mêmes, dont la pseudo-innocence dissimule calculs perfides, désir de domination et cruauté. Le climat devient lourd, poisseux, et sourdement inquiétant, alimenté par l’indéfinition dangereuse que représente l’adolescence, entre vide et puissance susceptible d’exploser dans n’importe quelle direction, de faire émerger le plus beau comme le plus vil. Les amitiés se soudent dans la peur et le sang, empreintes d’un désir de transgression où s’entremêlent trouble charnel et sororité.
"C’était cela, une sœur : une alliée contre les origines."
Mónica Ojeda nous livre avec "Mâchoires" un texte sulfureux, qui suscite autant de fascination que de répulsion. Rien, dans cet univers féminin, ne semble sacré. Les relations -mères-filles notamment-y sont corrompues par diverses formes de violence ou de perversion. L’écriture est d’une vigueur et d’une spontanéité qui servent parfaitement le propos.
Figure toi que ce livre est à la médiathèque, mais j'ai craint l'ambiance pesante, au moins!
RépondreSupprimerEt j'n apprends sur les creepypastas...
Mais c'est cette ambiance qui fait en grande partie la force du récit.... et moi aussi, j'ai appris ce qu'étaient les creepypastas, dont j'ignorais tout. Ceci dit, je ne suis pas très étonnée par leur succès : j'ai moi-même eu une période de fascination pour le gore quand j'étais jeune qui se traduisait par une attirance pour des livres ou films d'horreur.. une appétence qu'exploite l'auteure pour nourrir son intrigue d'une dimension horrifique..
SupprimerJ'ai beau avoir adoré les nouvelles de Mariana Enriquez, j'ai l'impression qu'avec cette nouvelle autrice, on passe encore à un échelon supérieur dans le sordide. J'hésite, du coup !
RépondreSupprimerJe ne suis pas certaine que le roman de Monica Ojeda soit plus impressionnant que les nouvelles d'Enriquez, qui semblent quand même assez glauques.
SupprimerJe ne pense pas que ce soit pour moi. Trop tordu et horrifique !
RépondreSupprimerJe ne pesne pas non plus !
SupprimerJ'ai hâte que mes blogueuses préférées quittent la littérature d'Amérique latine ! j'ai trop de mal à m'y intéresser
RépondreSupprimerComment ça tu as hâte ?!! Mais non, moi j'attends plein de billets latinos !! Tu finiras peut-être par trouver un titre qui pourrait te convenir ? Mario Vargas Llosa te plairait, je pense.
Supprimerà voir s'il est à la bibliothèque!
RépondreSupprimerN'hésite pas en tous cas, c'est un texte original et intense..
SupprimerAh c’est une littérature qui ressuscite des monstres.On peut comprendre que le côté gothique ,le cru et le malsain puissent rebuter,surtout dans les relations intrafamiliales.
RépondreSupprimerBon,je vais voir si je trouve une BD à chroniquer,plutôt de bon ton😉
Moi j'aime bien ces ambiances un peu glauques, surtout quand un auteur s'en empare avec talent et sans verser dans le grand-guignolesque.. et moi aussi j'ai lu une BD latino, que je chroniquerai en fin de mois..
SupprimerJ'ai lu ce roman en juin dernier. J'ai trouvé sa construction originale mais l'intrigue et les personnages sont très perturbants.
RépondreSupprimerOui, c'est perturbant, mais c'est en partie ce qui fait la force de ce titre, non ?
SupprimerOui, absolument
SupprimerRien que le titre est tout un programme ! Et comme j'aime bien être perturbée de temps en temps, je note ce titre. En plus, je n'avais jamais entendu parler de creepypasta, je ne demande ce que cela peut recouvrir comme imaginaire ...
RépondreSupprimerJe pense qu'il pourrait te plaire. Au-delà de l'atmosphère, la construction en est assez habile, et la narration originale..
SupprimerOh! Tu m'amuses ! C 'est ton "j'adore "qui me fait rire après toutes les horreurs que tu viens d'expliquer sur ces adolescentes et leur professeur ! Peut-être qu'il pourrait me plaire !
RépondreSupprimerIl y a une sorte d'effet miroir assez drôle en effet avec cette lecture = en décrivant l'appétence de ces jeunes filles pour l'horreur et le sanguinolent, elle m'a fait renouer avec cette attirance que j'éprouvais moi-même adolescente !! C'est très malin quand j'y pense...
SupprimerPeut-être une lecture un peu trop dérangeante pour moi.
RépondreSupprimerCeci dit, merci de nous présenter des livres qui sortent de l'ordinaire, c'est toujours bien de les mettre en avant.
J'ai personnellement une appétence pour l'originalité et le sordide (et je ne suis pas sûre que cela se soigne !)...
SupprimerJe ne sais pas si ça ce soigne mais il ne faut pas ^^ sinon qui va nous faire découvrir des livres qui sortent des sentiers battus...
SupprimerMerci, je me sentirai dorénavant bien moins coupable quand je m'adonnerai à des lectures un peu glauques !
SupprimerL'anonyme, c'est claudialucia ! Je n'avais pas vu que je ne publiais pas sous mon nom. Cela m'arrive dans mon blog aussi ( blogspot fonctionne mal en ce moment !); l'effet miroir, c'est tout à fait ça !
RépondreSupprimerTu n'as pas besoin de signer, je t'avais reconnue !!
SupprimerJe lis ton commentaire et je sais tout de suite que malgré tout ce que tu as pu y trouver d'intéressant, ce roman n'est pas pour moi. Je ne suis pas particulièrement intéressée par les complexes relations mères-filles et je fuis les ambiances glauques, alors, c'est cuit. Mais merci pour ton billet qui me permet au moins de savoir ce qu'a écrit cette auteure dont j'ignorais tout.
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