"Effacer les hommes" - Jean-Christophe Tixier
"Il ne s’agissait pas seulement d’un monde où les femmes agissaient comme des hommes, mais d’un monde où les femmes effaçaient les hommes."
Victoire est née à Paris, où elle a vécu jusqu’à ses vingt ans. En 1936, elle y est ouvrière, une condition qui déjà lui pèse. A l’occasion des premiers congés payés, elle découvre ce coin perdu d’Aveyron qu’elle ne quittera plus. Elle y a rencontré Joseph, un viticulteur plus âgé qu’elle et père de deux enfants : Louis, grand adolescent, et la petite Marie. Elle le convainc de vendre ses vignes, qui réclament beaucoup, rapportent peu et que les gens d’ici disent mal acquises, pour acheter une auberge.
Trente ans plus tard, très affaiblie par la maladie, elle garde le lit. L’auberge dorénavant décrépite héberge comme unique client l’ingénieur hydraulique qui supervise la vidange du barrage. Trois autres personnes cohabitent dans cette atmosphère de mort prochaine, y ajoutant la tension de leurs rancœurs ou de leurs désirs refoulés.
Marie, la fille de Joseph, est devenue Sœur Marie-Clément-Maurice. Elle revient chez elle pour la première fois depuis son départ, vingt ans auparavant, contenant difficilement sa haine envers une belle-mère qu’elle juge responsable de la mort de son père et du départ de son frère, qui n’a plus jamais donné de nouvelles, mais qu’elle espère pourtant toujours voir revenir. C’est une femme mal dans sa peau, que son obsession pour la nourriture a rendue obèse. Elle est déchirée entre un passé dont elle ne parvient pas à se libérer et la nécessité, pour survivre, de se projeter dans l’avenir, entre l’attachement à une terre qui définit les hommes et leur assure une place et son engagement religieux, qui constitue à la fois une fuite et un refuge.
Eve, la nièce que Victoire a adoptée après le suicide de sa sœur, lui ressemble. Différente des filles d’ici, pataudes et soumises, elle est belle et pleine de vie, avide de liberté et d’indépendance. Elle ne pense qu’à quitter ce trou perdu, où elle tourne en rond, pour partir à Paris. Comme sa tante qui découvrait, avec les congés payés, la possibilité d’un ailleurs et d’une émancipation, elle est stimulée par son jeune âge et les mutations de son temps, écoute les Rolling Stones, et rêve de ressembler à Barbarella, cette héroïne de bande dessinée sauvage et libérée.
Mais il y a Ange, son frère simple d’esprit et crasseux, habité d’une tension ravageuse que seul l’alcool permet de calmer. A la mort de Victoire, qui veut lui léguer l’auberge -et doit pour cela manœuvrer habilement pour s’assurer l’accord de Marie-, il reviendra à Eve de s’en occuper. Comment concilier obligations familiales et soif de liberté ? Est-ce que ce jeune ingénieur qui loge à l’auberge ne pourrait pas servir ses projets de fuite ?
Commentaires